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dimanche 23 juin 2024

« Les cloches de Nagasaki » de Takashi Nagai (1949)

Les bâtiments de l'université étaient situés entre trois cents et sept cents mètres de l'épicentre de l'explosion, donc à l'intérieur du périmètre directement affecté par la bombe.

C'était vraiment le monde après la mort. Alors qu'elle pressait ses mains contre ses yeux, tout devint complètement noir. Elle ouvrit les yeux et regarda autour d'elle. Il n'y avait pas le moindre bruit. Et il n'y avait pas un rayon de lumière dans cette obscurité totale.


Traversant le tas de débris pour aller dans le couloir, il fut complètement abasourdi. C'était comme s'il se trouvait pour la première fois dans une maison totalement inconnue. Le paysage entier était totalement transformé.


Des rafales de vent incessantes tourbillonnaient férocement de tous côtés (…) un solide et épais nuage noir avait envahi tout le ciel. Le soleil avait perdu sa luminosité et ressemblait à un disque brun rougeoyant. Il faisait nuit comme en plein soir et il faisait froid.


Il essaya de se dégager complètement et de se lever mais les poutres, les planches, les tuiles et la terre entassés au-dessus de lui étaient trop lourdes et il ne pouvait pas les bouger. Le son crépitant des flammes se rapprochait de plus en plus. « Je pourrais mourir brûlé d'une minute à l'autre », pensa-t-il. Et il poussa. Il poussa. Il rassembla toute la force de sa tête, de ses épaules, de son dos et de son corps tout entier, mais il était incapable de pousser une once de ce poids (…) Mais, à présent, il se souvenait des mots que le docteur Shi avait souvent dit à ses étudiants lors d'examens : « Quand vous n'arrivez pas à résoudre un problème, pensez au contraire. » Oui, c'était ça ! Dans un moment d'illumination, au lieu de penser aux débris au-dessus de lui, il commença à toucher de ses mains le sol en dessous de lui. Ses doigts trouvèrent une fissure entre les planches. 


Le 9 août 1945, à 11 h 2 du matin, une bombe atomique au plutonium explosa à environ cinq cents mètres au-dessus de Matsutyama, en plein centre du quartier d'Urakami à Nagasaki. Il s'en dégagea une énergie incroyable. Et cette énergie, ce souffle impétueux de l'explosion se déplaçant à la vitesse de deux mille mètres par seconde, réduisit en miettes, pulvérisa et fit exploser tout ce qui se trouvait sur son passage. Le vide créé au centre de l'explosion aspira tout ce qui était au sol, le souleva en haut dans le ciel et le reprojeta violemment ensuite contre le sol. Une chaleur d'environ 5 000° Celsius brûla les alentours. Des fragments de métal incandescent pleuvaient en boules de feu allumant des incendies partout.


La cathédrale d'Urakami, construite en briques rouges en 1895 consacrée à l'Immaculée Conception, culminait à soixante-quatre mètres C'était la plus grande église catholique d'Asie. Elle fut reconstruite en 1959.


Comme je devais garder une main fortement pressée contre ma propre blessure, je trouvai cela difficile de travailler. À chaque fois que j'enlevai cette main pour m'occuper de la blessure d'un patient, le sang jaillissait comme de l'encre rouge d'un pistolet à eau, éclaboussant le mur et l'épaule de l'infirmière en chef. Une artère de ma tempe avait été sectionnée. Mais comme il s'agissait d'une petite artère, je pensai que je pourrais tenir environ trois heures. Parfois je prenais mon propre pouls et continuais ensuite à soigner les patients.


Une jeune femme courait, serrant un enfant sans tête (…) Alors qu'elle courait, les vêtements d'une petite fille s'enflammèrent et elle tomba tordue en une boule de feu. Sur un toit enveloppé de flammes, je vis un homme qui dansait et chantait frénétiquement : il avait perdu la raison.


Mais, laissez-moi vous toucher un mot à propos de deux de nos infirmières. Hashimoto avait dix-sept ans et Tsubakiyama en avait seize.


Le 10 août (…) La désolation régnait partout. Il ne restait pas un seul chien en vie qui remuait dans ce lieu de mort. Au milieu de la nuit, la cathédrale avait soudain pris feu envoyant d'énormes rideaux de flammes dans le ciel, comme pour mettre un point final à cette peine de mort (…)


Les objets noirs qui attirent la chaleur ont été particulièrement brûlés (…)

Le changement soudain de position des particules électriques au sein de l'atome crée des distorsions à l'intérieur des champs électriques et magnétiques, alors celles-ci sont irradiées comme par des ondes électromagnétiques (…) Les horribles rayons gamma transpercèrent les corps humains et les rayons infrarouges brûlèrent sévèrement les parties exposées.


(…) le travail du professeur Fermi en Italie. Elle a découvert que, si on fait en sorte qu'un neutron se déplaçant lentement heurte le noyau d'uranium, ce dernier se sépare en deux (…) Alors, la grande énergie atomique latente dans le noyau est relâchée et éclate (…) En un mot, quand le noyau se casse en deux, une partie de sa masse, en d'autres mots de la matière, disparaît et une énergie équivalente est générée. L'énergie de la bombe atomique vient de là.

(…) quand l'uranium subit une fission, il émet des rayons gamma et habituellement aussi deux particules de neutrons. Et ces deux neutrons, en heurtant les autres noyaux voisins, cause une fission à deux endroits. Alors deux autres neutrons sortent de ces noyaux et causent la fission de quatre noyaux. Ensuite 8, ensuite 16, 32, 64, 128, 256, 512, 1024, 2048, etc. (…)

S’il y a un autre élément mélangé à l'uranium, il ne se crée pas de fission quand le neutron l'atteint et par conséquent, la réaction en chaîne se termine. Donc, pour terminer la réaction, nous devons avoir une certaine quantité d'uranium pur 235. C'est très difficile à produire.


(…) c’était comme l'horrible gueule de bois qu'on peut expérimenter après avoir bu toute la nuit à une soirée du nouvel an (…) une expérience de violent mal de mer (…) C’était l'effet des rayons gamma (…) les rayons gamma passent facilement (…) à travers des murs en béton (…)

Les neutrons avaient également causé des blessures graves (…) l’action biologique des neutrons est beaucoup plus violente que celle des rayons gamma…


Nous étions un groupe de personnes dont les maisons, les logements avaient été brûlés. Nous n'avions aucun endroit où habiter ; nous n'avions aucun vêtement à nous mettre ; nous avions perdu nos êtres chers ; nous n'avions personne pour prendre soin de nous. Nous ressemblions exactement à ce que nous étions lorsque nous avions quitté le théâtre de la destruction atomique.

Et maintenant nous faisions nos tournées, pour soigner les malades.

Qui aurait pu deviner que nous étions un groupe de professeurs, de professeurs assistants, d'infirmières et d'étudiants - membres de l'université médicale ? Nos têtes étaient enveloppées de pansements et quelques-uns étaient tachés de sang. Certains d'entre nous marchaient en boitant sur des jambes blessées. Certains étaient blessés au torse et pouvaient à peine respirer. D'autres étaient mortellement pâles à cause de blessures radioactives. Pourtant, certains avaient perdu leurs lunettes et marchaient à l'aveuglette en trébuchant sur le chemin.


Il était maintenant clair que les blessures les plus graves, causées par les rayons radioactifs, étaient celles du système digestif. Des pustules apparaissaient autour de la bouche ainsi qu'une inflammation à l’intérieur.


Quand les radiations pénètrent dans le corps humain, elles ne stimulent pas le système nerveux, donc la personne ne sait même pas qu'elle a été irradiée. Elle n'en prend conscience que le jour où les symptômes apparaissent (…) La moelle épinière, les glandes lymphatiques et les glandes reproductrices sont les plus fragiles et peuvent être très abîmées.

La moelle épinière produit les cellules du sang (…) Cette augmentation du nombre de globules blancs anormaux est la cause de leucémies (…)

Quand la membrane muqueuse des organes digestifs est atteinte, cela crée des stomatites, des gastrites et des inflammations intestinales. Cela amène des diarrhées ressemblant à une dysenterie (…) Les poumons développent des pneumonies et les reins s'atrophient. Si la glande surrénale est abimée, la peau devient noire.

Un exemple de symptôme affectant le corps tout entier est la nausée liée aux radiations qui apparaît quelques heures après l'exposition et dure pendant quelques jours.Plus la personne est jeune, plus l'effet est violent.


Le troisième jour, apparaissent habituellement les blessures sur les organes digestifs (…)

La deuxième semaine, certaines personnes commencèrent à avoir des hémorragies (…) 

Les pertes de cheveux commencèrent au cours de la troisième semaine. Lors de la quatrième semaine se déclenchèrent de graves symptômes à cause de la baisse des globules blancs (…) Les plaquettes sanguines des veines étaient détruites, ce qui créait des saignements.


L'injection de vitamine B et le sucre de raisin furent très efficaces contre les nausées.

Pour les brûlures, la thérapie par les eaux thermales était ce qui marchait le mieux.


Les tournées quotidiennes faites par notre équipe de secours pour donner ces traitements étaient un fardeau épuisant. Nous ne reçûmes pas un centime pour nos services.


- Nous ne pouvions résister à des peuples qui croyaient non pas en des dieux créés par l'homme mais qui croyaient au vrai Dieu (…) Va méditer dans la montagne ! Si tu restes dans le brouhaha de ce monde, tu vas tourner en rond sans jamais trouver ton chemin. Tu vas devenir le genre de personnes qui ne font que taper du pied et crier.


J'ai entendu que la seconde bombe atomique, calculée pour porter un coup fatal au potentiel de guerre du Japon, était destinée, à l'origine, à une autre ville.

Mais comme le ciel était couvert au-dessus de cette ville, il fut impossible aux pilotes américains de viser leur cible. Par conséquent, ils changèrent soudain leurs plans et décidèrent de lâcher la bombe sur la cible secondaire, Nagasaki. Cependant, il y eut un autre contretemps. Alors que la bombe tombait, des nuages et le vent la déplacèrent légèrement au nord des usines de munitions qu'elle était supposée viser et elle explosa au-dessus de la cathédrale (…)

N'y-a-t-il pas un profond rapport entre la destruction d'Urakami et la fin de la guerre ? Urakami, le seul lieu saint du Japon, n'a-t-il pas été choisi comme victime, tel un agneau innocent, pour être immolé et brûlé sur l'autel du sacrifice pour expier les péchés commis par l'humanité pendant la Seconde Guerre mondiale ? (…) Pendant la guerre, cette même église n'a jamais cessé de prier, nuit et jour, pour une paix durable. N'était-elle donc pas l'agneau sans tache qui devait être offert sur l'autel de Dieu ?


Habité d'une foi profonde, plein de courage et d'endurance, ce petit groupe de personnes qui connaît le bonheur de pleurer, souffre pour s'offrir en sacrifice pour les péchés du monde. Les personnes n'ayant pas la foi ne sont pas revenues.


(…) l’atome n'est pas solide non plus ; dans son centre, il y a plutôt un noyau atomique et, autour de celui-ci, des particules bêta sont en train de tourner en permanence (…) Il y a des particules appelées neutrons et protons à l'intérieur du noyau. Le proton est positif tandis que le neutron n'a pas de charge électrique.


(…) au lieu d'une explosion instantanée, on peut faire une fission progressive de l'atome et la contrôler, alors l'énergie atomique pourra servir à déplacer des bateaux, des trains ou des avions.


La cloche était tombée de cinquante mètres de haut, du haut de la tour de la cathédrale, mais elle n'était pas cassée (…) Cette cloche qui était restée muette depuis des années, depuis le début de la guerre* !

*Au Japon, pendant la seconde guerre mondiale, les traditions catholiques étaient considérées comme antipatriotiques et certaines, comme sonner les cloches, étaient interdites.


Préface :

L'autre expérience de vie déterminante pour Nagai fut le diagnostic de la leucémie qui l'avait frappé comme un coup de tonnerre en juin 1945, quelques mois avant le bombardement. Cette leucémie était probablement due à l'exposition aux rayons X en raison de son travail quotidien de radiologue (…) Nagai était le seul spécialiste en radiologie et en physique nucléaire parmi les cent quarante mille victimes du bombardement atomique de Nagasaki. Avec lui, le monde a eu cette chance d'avoir un observateur scientifique extrêmement averti pour témoigner de l'utilisation des armes nucléaires dans l'histoire humaine.

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