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dimanche 5 mai 2024

« Être père avec Saint Joseph » de Fabrice Hadjadj (2021)

Pour satisfaire ceux qui accordent tout crédit à la génétique, on peut poser la question : d'où vient le chromosome Y de Jésus ? L'Esprit Saint n'a pas d'ADN. Dans cette conception miraculeuse, Dieu peut très bien avoir formé Jésus en ajoutant aux gamètes de Marie celles de son époux, sans qu'il y ait eu union sexuelle.

Mais la race de Caïn est tout entière engloutie après le Déluge. La multitude humaine trouve sa filiation en Noé, qui est descendant d'un autre fils d'Ève - second départ : Adam connut encore sa femme ; elle enfanta un fils, et elle appela du nom de Seth, car Dieu m'a donné un autre fils à la place d'Abel que Caïn a tué (Gn 4, 25).


La généalogie de Joseph, et non de Marie, est présentée comme celle de Jésus. La mère fait entrer dans la chair, elle porte l'enfant dans son sein. Le père fait entrer dans la suite des générations, il reconnaît l'enfant devant l'état civil (…)

Pourtant, dans la généalogie de Joseph, David est présenté comme un adultère et un assassin. L'évangéliste nous rappelle qu'il engendra Salomon avec la femme d’Urie (Mt 1,6). Pendant que ce fidèle soldat combat pour lui, David couche avec sa femme, puis commandite son meurtre, maquillé en mort au champ d'honneur.

Salomon le sage, escamoté dans la généalogie selon Luc, n'est certainement pas le moins fou. Gendre de Pharaon, plein d'orgueil d'avoir édifié le Temple comme une super-pyramide, il a assez de santé pour prendre sept cents épouses princières et trois cents concubines.

Jeune, il demande à l'Éternel un cœur intelligent (1 R 3,9). Vieux, ses femmes détournent son cœur vers d'autres dieux (1 R 11, 4). Il bâtit des sanctuaires pour Kemosh, l'abomination de Moab, et pour Moloch, l'abomination des ammonites. Pour finir, on découvre le pot aux roses : toutes ses splendides constructions ont imposé une corvée à ses sujets. Ce retour à l'esclavage pour l'édification du Temple entraîne après lui le schisme d'Israël, sa division en deux royaumes fratricides (il est vrai que Salomon avait lui-même commencé son règne en faisant tuer son demi-frère aîné, Adonias, malgré la prière de Bethsabée).

Deux monarques de la dynastie davidique se distinguent par leur formidable atrocité. Achaz, après avoir fait passer son fils au feu, change le Temple du Seigneur en lieu de culte au roi d'Assyrie, à qui il dira, par peur du roi d'Aram : « Je suis ton serviteur et ton fils » (2 R 16, 3-7). 

Manassé, qui fait aussi rôtir son aîné, plaça dans le Temple l'idole d'Ashéra, qu'il avait faite, et répandit le sang innocent en si grande quantité qu'il inonda Jérusalem d'un bout à l'autre (2 R 21, 5-16).

Voilà les ancêtres de Joseph. L'héritage est bien lourd. II y a de quoi vouloir rompre avec cette humanité qui n'en finit pas de se vautrer dans la boue (…)

À la fin de certaines journées, cela me tente. Plus spécialement au moment des élections présidentielles. Je visionne avec convoitise un documentaire sur les macaques de Bornéo. Je renonce à être fils (…) Mais renoncer à être fils, c'est renoncer à être père. Quand on n'assume pas l'impureté de l'histoire, on n'est pas prêt à la relancer par une nouvelle naissance, c'est-à-dire avec une nouvelle liberté, capable du pire et du meilleur, du monstre et du saint, d'Abel ou de Caïn (…)

On s'en aperçoit d'emblée avec Ézéchias et Josias, respectivement fils et petit-fils des deux atroces que sont Achaz et Manassé. L'un et l'autre vont soudainement faire ce qui est droit aux yeux du Seigneur (…) Ézéchias (…) est pourtant fils d'Achaz et père de Manassé, juste coincé entre deux injustes.


La fracture d'Israël en deux royaumes, celui de Joseph et celui de Juda, est la plaie de l'histoire juive, toujours béante. Un lecteur de la Bible s'en souvient. Aussi, quand il voit mentionné, au seuil de l'Évangile, un Joseph de la tribu de Juda, charpentier de surcroît, il tend l'oreille : un tel nom unit les deux morceaux de bois comme une croix.


Avec une pécheresse, on peut toujours s'arranger. Elle vous laisse dans votre tiédeur (ou dans votre fièvre), pourvu que vous la laissiez dans la sienne.


Après avoir soupé chez nous avec sa jeune épousée, un ami m'a écrit: « Nous étions heureux de cette soirée familiale qui nous a permis de faire la connaissance de tes enfants et de Siffreine [ma femme]. C'est très drôle, parce que vous êtes très différents l'un et l'autre de tempérament (mais sans doute très complémentaires) ! »

Je lui ai aussitôt répondu que j'étais heureux moi aussi, et que, si j'avais d'abord cherché les affinités et les ressemblances, j'aurais probablement épousé un homme.

Quant à la complémentarité, c'est-à-dire l'idée de former un tout organique ou un assemblage fonctionnel, comme le piston et la soupape dans le moteur à explosion, je pense que le mieux pour cela n'est pas le mariage, mais la société à responsabilité limitée, où chacun occupe son poste après avoir été recruté sur son expérience et ses qualifications.


Ainsi, chaque jour que Dieu fait, Elohim (pluriel employé comme singulier) sépare - la lumière d'avec les ténèbres, les eaux d'en haut d'avec les eaux d'en bas, la terre de la mer, les plantes selon leur espèce, les animaux selon leur espèce, et, last but not least, le mâle et la femelle dans l'humanité. La différence sexuelle se manifeste comme le couronnement de toutes les séparations. Elle sépare l'homme de la femme, et elle sépare l'homme de ses parents (Il quittera son père et sa mère...).

En somme, quand un homme divorce de sa femme, il cherche à ne plus endurer cette essentielle séparation : « C'est pour me retrouver moi-même », avoue-t-il puérilement. Le second récit de la Création fait mieux comprendre le caractère régressif de cette évasion. Adam commence seul, dans une sorte de plénitude : il cultive son jardin, comme un épicurien accompli, il nomme les animaux, il est maître et possesseur de la nature. Le Seigneur le déloge brusquement de cette souveraineté, agréable, sans doute, mais point bonne : Il n'est pas bon que l'homme soit seul (Gn 2, 18) (…) La femme est moins le complément qui permet à l'homme de former un tout que la blessure qui l'ouvre à l’infini (…)

Être une seule chair n'est pas faire bloc. La vérité du mariage n'est pas l'adéquation de l'homme et de la femme, mais leur alliance.


Le Catéchisme de l'Église catholique l'entend tout autrement ($ 2337) : « La chasteté signifie l'intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l'unité intérieure de l'homme dans son être corporel et spirituel. » Elle correspond donc, non à une mutilation, mais au vivant déploiement de la relation sexuelle (…)

Quand vous êtes viril, il ne s'agit pas que de travailler une image ou de connaître un rôle. Cela jaillit du fond de vous-même (…) Avant tout, ce n'est pas une question de biceps ni de pilosité, mais de creusement du désir, d'hospitalité à l'autre sexe, dans son hétérogénéité engageante et sa liberté imprévisible. C'est une question de tact et de retenue. Une force intérieure.

Selon le mot d'Albert Camus: « Un homme, ça s'empêche. Voilà ce que c'est un homme, ou sinon... » Sinon c'est une lavette. Celui qui, pareil au caniche devant le sucre, se dresse sur ses pattes arrière devant le premier décolleté venu, celui qui augmente son tableau de chasse, ignorant la personne derrière le trophée, celui-là n'est pas viril, mais veule et gluant.

La virilité est donc intimement liée à la chasteté (…)

Le viril est peut-être un dur, mais il n'a pas le cœur dur. Son cœur est doux et humble (Mt 11, 29), sachant tenir bon la barre au milieu des orages conjugaux.


En vain tu retardes le moment de ton repos,

Dieu comble son bien-aimé quand il dort (Psaume 126, 2) (…) Ce serait un contresens de réduire ce sommeil à un « lâcher prise ». Par le sommeil, on se laisse plutôt prendre. Et cette passivité n'est pas une simple privation de conscience. Elle est abandon à l'activité la plus fondamentale : être ici, recevoir l'existence, reposer comme de la bonne pâte pour le pétrin (…) ou, comme le dit l'épouse du Cantique (5, 2) : Je dors mais mon cœur veille. Car mon être ne dépend pas de ma pensée. Je suis sans en être la source. (…)

Cet ordre est rappelé par la Genèse : Il y eut un soir et il y eut un matin - et non pas il y eut un matin et il eut un soir. La journée commence et se prépare avec le coucher. Comme on fait son lit, on se lève.


Le vocable grec poïeisis a une extension plus vaste que celui que nous lui accordons en français. Il désigne de manière générale la production qui vient de l'art ou de l'artisanat. En tant que charpentier, Joseph est poète. Mais sa poésie, avant de se réaliser sur des planches, se déploie dans les circonstances de la vie.


Chez Luc, l'annonce est faite à Marie ; chez Matthieu, elle est faite à Joseph. Chez Matthieu, donc, Joseph se tient au premier plan, tandis que chez Luc, il s'efface derrière sa femme.


Le nouveau-né n'est pas une unité. Il est l'unique.

Il ne prend pas place. Il donne lieu. On peut toujours l'évaluer comme un élément parmi d'autres dans le monde, mais ce monde n'est plus le même quand il est là. Ses parents reconfigurent autour de lui les montagnes et les étoiles. Celui qui aurait pu ne pas naître leur apparait comme celui sans qui ils ne sauraient plus vivre. C'est pourquoi toute anticipation dans un planning familial est trompeuse. On y prémédite sa vie avec l'enfant à partir de sa vie sans lui. On y subordonne sa naissance à des conditions sentimentales et financières, comme si sa naissance n'était pas un événement qui chamboule tout - je ne dis pas pour le mieux, car là encore, ce serait une évaluation phagocytante, mais pour le plus aventureux et le plus vivant.


Le psychanalyste Charles Melman estime que, par rapport au matriarcat, le patriarcat constitue un « progrès spirituel, progrès mental, puisqu'on est passé des règles de l'évidence à celles de la croyance ». L'identité de la mère relève d'un processus flagrant. Il n'y a pas d'identité du père, mais une désignation, un témoignage qui se déploie dans une relation où la parole donnée et la confiance en l’autres sont absolument décisives.

(…) D’une part, depuis la fécondation in vitro, la mère n'est plus si certaine, puisque celle qui fournit l'ovule peut être différente de celle qui accouche.

D'autre part, vous, papa supposé, pouvez faire un test génétique, et vous voilà scientifiquement certain. Enfin, dans la mesure où le test est fiable (…)

Il est difficile de rencontrer notre mère : elle nous enveloppe, elle n'est pas quelqu'un dans un lieu, mais te lieu où nous nageons dans une voluptueuse insouciance. Il faut que le père soit désigné par elle, qu'il nous nomme (…) Là où il y avait l'évidence qui saute aux yeux, l'osmose et la jouissance, il impose l'écart entre le mot et la chose (…)


La fuite en Égypte nous transporte aux temps où les Hébreux y étaient esclaves. Le massacre des innocents rappelle la mise à mort de leurs fils : Tout garçon qui vient de naître, vous le jetterez au fleuve, et toute fille, vous la laisserez en vie (Ex 1, 22). Ainsi parle Pharaon. Quant à Hérode, il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous (Mt 2, 16). Les deux chefs d'État tremblent, le premier à cause des fils d'Israël qui pullulent, le second à cause d'un fils d'Israël que les mages ont reconnu comme roi. Dans l'un et l'autre cas, un seul enfant échappe à l'extermination planifiée : Moïse, dans une arche de joncs, car le mot tebah, souvent traduit par « caisse », est celui employé dans la Genèse pour désigner le vaisseau construit par Noé ; Jésus, dans l'arche des bras de Joseph (…)

Ni le voyage ni le séjour en Égypte ne font l'objet d'une narration dans les Évangiles. De bonnes âmes se sont appliquées, au moins depuis le Ve siècle, à combler la lacune, comme si les silences de la parole de Dieu n'étaient pas plus révélateurs que nos remplissages. Un évangile apocryphe du pseudo-Matthieu fut ainsi rédigé, dont un épisode réapparaît dans la sourate XIX du Coran.

Jésus n'a que quelque mois, mais il dirige les opérations comme un fantastique tour-opérateur. Les palmiers se penchent pour donner leurs fruits à sa mère. Des lions et des léopards les escortent, et les chèvres trottent sans crainte au milieu des loups. Quand Joseph se plaint de la chaleur, le petit lui répond comme à un enfant, et abrège miraculeusement les étapes : tout d'un coup, les voici à Hermopolis, sur le Capitole. La Sainte Famille entre dans un temple, et, sans même qu'elles les effleure, ses 365 statues s'écrasent sur le sol et se brisent en mille morceaux. Le gouverneur vient constater les dégâts et se met à adorer l'« enfant maître ».



Bien que l'Église ici-bas soit militante (de miles, le « soldat »), le chrétien est souvent présenté comme le contraire du guerrier (…) Heureusement, Paul est traditionnellement représenté avec un glaive. C'est le glaive de l'Esprit (Ep 6,19) ou l'épée à deux tranchants de la Parole (He 4, 12).

C'est un glaive quand même, et non un appareil de massage (…) Tendre l'autre joue (Mt 5, 39) ne signifie pas tendre la joue de l'autre. Je peux gérer comme je veux les parties latérales de ma face. Je dois protéger celles des personnes qui me sont confiées. Seul le célibat permet d'éviter la nécessité physique de la boxe. Face à des agresseurs, les pères de famille ne peuvent pas se permettre de courir au martyre. Ce serait trop simple. Ils ont l'obligation de constituer des milices armées et de défendre jusqu'à leur belle-mère.


Nazareth (…) On quitte l'Égypte pour s'enterrer dans ce trou paumé (…) Que le roi des Juifs, reconnu comme tel par les mages, aille vivre jusqu'à trente ans dans un pareil trou, c'est la révélation de la royauté véritable - celle d'une vie cachée, mais rayonnant par son intensité et son exemple : La sagesse, sans sortir d'elle-même, renouvelle l'univers (Sg 7, 27).


C'était la doctrine de G. K. Chesterton et Hilaire Belloc : « Moins de capitalisme et plus de capitalistes. »

Le grand enjeu économique, selon nos deux penseurs anglais, n'est pas de bien distribuer les revenus, mais de bien distribuer les moyens de production. Plutôt d'avoir un salaire plus élevé qui donne accès à une consommation plus addictive, il s'agit d'avoir un domaine proportionné à ses forces (…) Seul ce qui est à notre échelle nous permet de nous élever (…) Le paradis s'entrevoit dans un jardin, pas dans l'espace intersidéral (…) L'essentiel n'est pas que le peu devienne beaucoup, mais de travailler pour sa maison. En allant à Nazareth, en ne lorgnant plus vers le trône du Juda, Joseph restaure cette royauté-là, celle du père et de la mère qui ont juste de quoi accueillir leurs amis et élever leurs enfants pour qu'un jour, à leur tour, ils fondent leur propre demeure. À Plum Creek, par exemple, autre trou perdu. C'est là que le roi Charles Ingalls a construit sa petite maison dans la prairie. Près de la rivère Waraju. Sans aucun accès internet.


Au désert, le Libérateur, père d'Israël, donne ses dix commandements, et neuf d'entre eux sont négatifs, sauf celui qui est au centre, à la fois le seul entièrement positif et le seul assorti d'une promesse : Honore ton père et ta mère afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu (Ex 20, 12). La terre que le Seigneur donne fait songer au jardin planté à l’origine (…) inter-dire, c'est dire de telle sorte que s'établit une relation entre deux personnes absolument distinctes. On retrouve ici la logique de la création : Dieu dit, puis il sépare, puis il voit que c'est bon, parce que l'on quitte la grande soupe originelle et que l'un peut enfin rencontrer l'autre.

(…) on ne peut vraiment se faire obéir sans prier.

Saint Thomas d'Aquin distingue deux types de causalités. La causalité par mode de commandement, et la causalité par mode de prière (…)

Le père n'est pas un éducateur spécialisé (…) C'est cette grâce qu'il s'agit avant tout d'apprendre dans la maison de Nazareth. Et cette grâce (…) se manifeste moins à travers les consignes acquises que dans le temps passé ensemble, juste comme ça, pour rien, à jouer, à bavarder, à faire des blagues... (…) Ils ne signifiaient pas : « C'est bien que tu réussisses à faire ce que je t'ordonne » mais : « Il est bon que tu sois là. »

La grâce n'est pas que gratuité, elle est encore remise d'une dette. Celui qui répéterait à son fils : « Je t'ai tout donné » ne lui donnerait pas l'essentiel : se reconnaître en dette à l'égard de son enfant (car (…) c’est grâce à son enfant qu'il est devenu père).


(…) le père (…) Sa première vocation est donc d'en faire un récit. De conserver la mémoire des promesses. De relayer le flambeau de l’espérance (…) raconter les actions du Seigneur (Ps 117, 17) (…) 

Les petites fables niaises spécialement dédiées aux enfants sont une invention du libéralisme : pour vendre davantage, il sectorise les marchés et disloque ce qui peut avoir une dimension réellement familiale. Cela n'est pas dans son intérêt qu'un même récit - celui de la Pâque - rassemble trois ou quatre générations autour de la table. Il faut que chaque âge ait sa consommation propre, que chaque individu soit compartimenté avec sa petite drogue payante pour lui faire oublier son isolement.

La Bible a tout ce qui convient pour réjouir les petits et les grands : des cataclysmes, des fratricides, de l'anthropophagie, le frère qui viole la demi-sœur, le fils qui fait la guerre au père, le combat contre les géants ou les dragons, Samson qui cogne les méchants avec une mâchoire d'âne, Jérémie qui fait des pantomimes, Jonas prophète malgré lui qui prie dans le ventre de la baleine, les 450 prophètes de Baal égorgés sur leur autel, les 42 enfants qui se moquent d'Élisée et sont déchiquetés par deux ourses - autant de petits exorcismes pour traverser l'existence.

(…) Le mot « aventure » désigne à la fois la série des faits aventureux et le récit qui les raconte. L'un ne peut pas exister sans l'autre. Les acteurs ont besoin des conteurs, et réciproquement.


(…) Noé : Fais-toi une arche de bois de gopher, tu disposeras cette arche en nids d'oiseaux, et tu l'enduiras de kopher en dedans et au-dehors (Gn 6, 14). Il y a un jeu de mots sur gopher et kopher. On ne sait pas ce que gopher signifie. C'est un mot qui n'est planté qu'à cet endroit et ne se retrouve jamais ailleurs. Certains traduisent par « cyprès» ou par « cèdre », selon les essences évoquées pour la construction du Temple. Le plus probable (et le plus fort) est qu'il s'agit du bois d'un arbre à jamais perdu, englouti avec le monde antédiluvien - la relique de l'irréversible. Quant au mot kopher, il peut se traduire par « asphalte » ou « poix », mais il désigne aussi le « prix d'une rançon » (Ex 21, 30; 30, 12). Kopher sur gopher, c'est ce qui rachète sur ce qui est perdu.


Douze ans, chez les Juifs, c'est la majorité religieuse de la fille, non du garçon. Celui-ci n'est bar-mitsva (fils du commandement) qu'à treize ans (…)

C’est ce que l'on appelle le « sacrifice d'Abraham » (et non d'Isaac) : celui qui est mis à mort, ou à pire que la mort, ici, c'est bien Abraham. Pour ce vieillard de cent ans, immoler son fils - le fils de la promesse divine - est pire que mourir. Il préférerait mille fois offrir sa gorge au couteau plutôt que meurtrir celle de son enfant. Dieu lui demande l'impossible.

Il y va.

À leur âge, avec sa femme, l'impossible était déjà d'avoir un enfant. Il y avait là de quoi rire, comme dit Sarah (Gn 21, 6). Elle l'a donc appelé comme cela : Isaac, « De-quoi-rire » ou « C'est-une-blague » (…) Après trois jours de marche (nous retrouvons les trois jours de la recherche), lorsqu'il laisse ses serviteurs, il déclare : « Restez ici avec l'âne; moi et le jeune homme, nous irons jusque là-bas pour adorer, et nous reviendrons auprès de vous » (Gn 22, 5) (…) 

Jusqu’à cette montée vers le mont Moriyya (ce qui signifie précisément « ordre du Seigneur »), Abraham n'a pas encore été nommé « père » d'Isaac. Jusqu'ici, la Genèse désigne Isaac comme son fils, mais ne le désigne jamais lui, Abraham comme son père. Et c'est maintenant, alors qu'ils gravissent ensemble la pente de l'impossible, que ce nom lui est décerné par la bouche même de son enfant. 


Le père qui consola tant de fois son petit, voici qu'il donne maintenant à son grand de le consoler. Il a peur, et son fils le prend dans ses bras, le rassure, lui rappelle toutes les paroles de réconfort qu'il lui avait dites et qu'il semble avoir oubliées (…) 

Ceux qui s'euthanasient ou se suicident pour ne pas se montrer dans cette misère privent les leurs de cette offrande ultime.


Comme par hasard, celui qui demande à Pilate la permission de descendre Jésus de la croix (Jn 19, 38; Mc 15, 46) porte le nom du père : Joseph prit le corps, l’enveloppa d'un linceul blanc, et le déposa dans un sépulcre neuf, qu'il s’était fait tailler dans le roc. Puis il roula une grande pierre à l'entrée du sépulcre et s'en alla (Mt 27, 59-60).

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