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mardi 4 mai 2021

« Le religion française » de Jean-François Colosimo (2019)

À l'automne 973, Guillaume le Libérateur, comte d'Avignon, réunit autour de lui les nobles du Midi et leur fit jurer de chasser jusqu'au dernier les Sarrasins qui, subitement revenus, s'étaient implantés dans les hauteurs du golfe de Saint-Tropez parmi les sombres chênaies et châtaigneraies que l'on nomme aujourd'hui le Massif des Maures. Emmenée par un caïd arabe, leur horde comptait les Wisigoths d'Espagne (…) ainsi que des Kabyles de l’Atlas qui avaient passé les colonnes d'Hercule en quête d'une meilleure fortune, tous retenant d'abord en Allah le dieu bénisseur des razzias. Ils venaient de prendre en otage Dom Mayeul, l’abbé de Cluny, et de l'échanger contre une rançon colossale.

Un comptoir fluvial à l'usage des Phocéens de Marseille qui, selon Artemidore d’Éphèse, en nommèrent les hauteurs habitées Avenion, la « seigneurie des souffles violents », battues et rebattues par ce vent maître qu’est le mistral (…) Une colonie romaine, latinisée en Avennio par les lieutenants de César et prisée par Hadrien qui aima cette Vallis Clausa, ou « vallée clause » et Vaucluse à venir…


Qui prêterait des traits apocalyptiques à aujourd'hui devrait méditer que l’époque ne consistait alors qu'en un vaste cortège de calamités, épidémies, brigandages, sectarismes, croisades et guerres, dont celle de Cent Ans, répondant une odeur proprement pestilentielle de fin du monde…


(…) sept pontifes qui vécurent à Avignon de 1309 à 1378 équipe, tous légitimes, furent aussi tous français (…)

Tout en établissant une mission en Chine, Clément VI créa une chaire universitaire d'hébreu, de grec, d’araméen et d'arabe à Oxford, Cologne, Salamanque mais aussi, et en premier lieu, à Paris, à la Sorbonne (…)

Réunissant les meilleurs architectes, artisans, artistes et archiviste de son temps, Benoit XII fit de son palais ce qui s'apparenterait aujourd'hui à un centre d'avant-garde tout en contresignant, sans hasard aucun, l'avènement doctrinal du Purgatoire, cet espace-temps médiat entre l'Enfer et le Paradis qui fit de l’homme un voyageur comme jamais, découvreur de lui-même au fur et à mesure de ses avancées dans le monde inconnu (…) 

Clément VI se porta en protection des juifs que la rumeur populaire accusait de propager la peste noire et que la populace, déjà, vouait aux pogroms (…)

Quant à Urbain V, il encouragea personnellement à aller de l'avant François Pétrarque dont la redécouverte de la littérature antique préparait la voie à l'éclosion de l'humanisme renaissant.


Là vit le jour système centralisé, administratif et cérémoniaire, incluant la cour, la garde, le cabinet, le trésor, l'impôt, le tribunal, l'hôpital et la charité, que les États séculier ne tarderaient pas à emprunter. De même, par leur diplomatie raisonnée, en tâchant (…) de mobiliser les princes contre le Turc qui avait mis pied dans les Balkans, les papes d'Avignon instillèrent la conscience, au sein des nations européennes en gestation, d’une communauté à tout le moins de destin face au péril de leur extinction. D'entre elles, par effet de proximité, la France fut la première à comprendre que, plutôt de s'opposer à l'autorité pontificale, il lui fallait l’imiter, en adoptant ses mœurs, ses insignes et ses ambitions pour mieux la concurrencer.


La ville (…) fut, après Paris, un des premiers foyers maçonniques.


Comme ailleurs on profana et on détruisit de 1789 à 1794 - votée en 1792, la démolition du Palais des Papes laissa place à sa transformation en caserne et prison.


(…) Les juifs avaient (…) pu subsister dans le Comtat Venaissin (…) ils avaient formé une famille en soi du judaïsme, se distinguant par un établissement, un rituel et un parler propre, le shuadit


Néanmoins, des siècles durant, pour la cité des papes, le protestant figura l'ennemi, puis l'étranger, puis l'indésirable.


(…) Avignon n’en était pas moins demeurée, selon le mot de Francis Ponge, la ville la plus italienne de France (…) Peu importait l’incommodité de notre sort, nous étions d’Avignon et nous en étions fiers (…) Nous n'étions pas racistes, ignorant et l'idée et le terme, l'école nous invitant à laisser le folklore à la maison et nous évitant le piège racialiste de l'antiracisme professionnel et militant qui viendrait balayer la franchise de nos familiarités.


On ne glorifiait pas alors, dans mon enfance, le « vivre ensemble » pour séparer les défunts en des carrés dont la fonction est d'exclure l'altérité…


(…) culte et culture s’édifient et s’effondrent de concert.


Les tribunaux sont ainsi devenus l’arène privilégiée d’identitarismes qui y exposent la rivalité mimétique et la compétition victimaire qu’à pu décrire le natif d’Avignon qu’était René Girard.


La communauté d’agglomération compte douze mosquées édifiées à partir des années 1990 (…) quatre des mosquées du Grand Avignon sont à classer parmi les centres de propagande islamiste, dont deux dans la ville même. Plus exactement dans sa périphérie, là où je naquis. Enquêtes et témoignages aboutissent au même constat, décrivant l’arc des quartiers hors-les-murs qui va de Monclar à la Reine-Jeanne en passant par la Rocade, comme une « cité salafiste » où le détournement des règles démocratiques et du statut associatif permet une entreprise d’enrôlement forcé dont le voilement de filles toujours plus fillettes n’est qu’une manifestation. Non pas une zone de non-droit, mais d’un droit coutumier alternatif où un ersatz de droit coranique sert la loi du plus fort.


Si nos gouvernements étaient avisés, ils verraient dans nos islamologues, dans l’école de pensée si française qu’ils forment, la première de nos forces spéciales.


Dans les statistiques nationales, aux chapitres population, profession, chômage, revenu, dette, imposition, pauvreté, délinquance, criminalité, Avignon affiche des chiffres calamiteux. Le centre s'est vidé, la périphérie s'est verrouillée, la commune s'est divisée. La ville reste d'exception, comme le proclament les prospectus, par les centaines de milliers de mètres carrés qu’occupent les monstrueux centres commerciaux qui défigurent ses deux entrées, au sud et au nord.


(…) ce parler qui a précisément pour extrême singularité d’éluder les accents toniques, autrement dit de ne pas accuser les accrocs et de ne pas retenir les reliefs, afin que le phrasé n’obscurcisse pas l’énoncé.


Greffé sur le vocable que la Bible applique à tous les peuples de la Terre hors Israël, nascion apparaît dans les chroniques normandes dès le XIIè siècle pour désigner toute communauté humaine parlant la même langue et partageant la même culture.


L’un, le divin et la loi, l’unique pouvoir qui rassemble sous lui les deux cléricatures du temple et du tribunal, qui consulte les légistes coutumiers et les légistes civils pour asseoir son droit, qui use des sacrificateurs et des scribes pour achever son devoir, mais qui est seul en dernier ressort à trancher du salut collectif : ces piliers de la Rome impériale vaudront pour la Rome papale et, par imitation pour la France.


Dès après la conversion de Constantin au IVè siècle, le droit canon, qui régule la vie de l'Église, va s'élaborer en parallèle du droit romain qui réglemente le cours de l'Empire et dans lequel les États qui du succéderont trouveront les sources de leurs droits civils (…) À rebours de la légende noire de l'alliance contre-nature entre l'autel et le trône, la concurrence est immédiatement âpre entre les deux justices.


Nation musulmane, la Turquie peut se targuer de disposer, depuis 1937, de la première constitution moderne à avoir affiché le mot laiklik dans son préambule (…) La Diyanet, la colossale direction centrale des affaires religieuses dont l'État a fait dès le début son bras armé, compte cent mille fonctionnaires et administre un budget de 2 milliards d'euros financé par l'impôt général dont bénéficie exclusivement la centaine de milliers d'imams et de mosquées qui ont statut publique. Elle n'a cessé de promouvoir la gestion du culte sunnite en outil politique d'exclusion des minorités, y compris musulmanes…


La Suède a renoncé au luthérianisme comme religion d'État en 2000, la Norvège en 2012, le Danemark tarde à les suivre et s'accrocher à son « église du peuple », mais dans ces trois pays (…) la sécularisation y est à son optimum puisque les huit citoyens sur dix qui sont baptisés protestants se déclarent dans leur grande majorité agnostiques et désireux de « s'éloigner de la religion pour se rapprocher de la spiritualité ».


La vénération est chrétienne, le culte politique.


(…) profanées les tombes royales de la basilique Saint-Denis, en un acte sauvage de « déchristianisation » d'autant plus accablant pour ses protagonistes que sur les trente-trois monarques ayant occupé le trône de France entre le Xe et le XVIIIIè siècle, seize, soit près d’un sur deux, ont été excommuniés par Rome, la plupart pour insoumission envers le magistère pontifical.


Non, nous ne sommes pas passés, à quelques dates récentes, de l'obscurité à la lumière. Non, les philosophes antiques et les théologiens médiévaux n’ignoraients pas ce que signifie la liberté de conscience, laquelle n'a pas surgi, la fonction créant dit-on l'organe, à l'étape supérieure de l'évolution nommée modernité. Non, la France n'a pas commencé en 52 av. J.-C., en 1789 après Jésus-Christ (…) mais en 987 par un sacré qui a décidé du rapport singulier qu'elle allait tisser entre religion et nation à la fois contre les féodalité et les empires (…) Cette France (…) édifiée dans une relation mimétique et critique, comme en un miroir inversé, à l'icône du pouvoir suprême, la souveraineté pontificale (…) Non les prémices de la laïcité n'ont pas été causées par les guerres de Religion mais elles ont été pensées par les Légistes médiévaux dont les Politiques renaissants ont été les légataires (…) Non, la vocation française à l'universalité ne peut être comprise sans se référer à sa relation complexe et contradictoire à la catholicité.


La question des mœurs, elle, est à jamais sans solution. D'une part, parce qu’en démocratie avancée, toute minorité agissante saura immanquablement s'arroger des droits particuliers face a une majorité inerte, incapable de se mouvoir mais aisée à émouvoir, si ce n'est à culpabiliser.

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