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mercredi 10 mars 2021

« Aussi noire que soit ma nuit, je reviendrai vers toi » de Jean-Pierre Marongiu (2020)

On peut affirmer, pour peu qu'on accepte les statistiques gouvernementales, que le territoire est peuplé de trois millions d’âmes. Les Qatariens sont environ au nombre de 270 000. Le reste, en grande partie Indiens et Philippins, constitue les forces vives et laborieuse du pays.


Dehors, la température doit avoisiner les 30°, mais à l'intérieur de la prison, c'est le froid polaire. Les unités de climatisation sont poussées à la limite de leur capacité : il s'agit d'éviter la prolifération bactérienne.


Il faut savoir que 80 % de la population noire brésilienne vient d'Angola. Le pays fut vidé de ses habitants au XVIIIe siècle par les colons portugais. La samba brésilienne n’est rien d'autre que la fille adultérine du kizomba angolais ! C'est d’Angola que vint également le vaudou à Sao Paulo.


(…) la ville entière ressemblait à Disneyland ! Les palissades camouflant les travaux étaient peintes de paysages et de visages d'enfants radieux. Des odes à la culture locale prenant des allures de propagande pour un mode de vie néo-musulmane.


La fréquentation assidue des coffee-shops constitue l'une des pratiques les plus courues de l'Émirat avec les heures d’errance dans les centres commerciaux surclimatisés.


La tradition bédouine est responsable des ravages d'une consanguinité qui mettra sans doute plusieurs générations à se diluer. Des statistiques dont la divulgation est strictement interdite font état de 28 % de débilité congénitale, de malformations et autres tares génétiques.


Si on veut évaluer la force active de la population, il faut écarter les débiles, les enfants, les personnes agées et 90 % des femmes qui ne travailleront jamais. Le Qatar peut donc s'appuyer sur une population active d'environ 60 000 individus. Mais à ce chiffre, il convient d'appliquer les effets pervers du salaire d’État que perçoit chaque mâle adulte. La nécessité de travailler n'existant pas, seule 20 % de cette population postule pour une fonction dans les organismes nationaux. La réalité du Qatar, c'est 12 000 salariés nationaux, principalement dans le secteur administratif et bancaire.


Des étages entiers, dans les tours de siège sociaux, sont dédiés à la version industrielle des fermes traditionnelles : on y boit du qahoua en dissertant sur les résultats sportifs de la veille. Les quatre heures par jour de travail forcé sont entrecoupées par les prières et les discussions sociales. Le reste sert à l'analyse des marchés financiers internationaux. Cette activité constitue le troisième sport national au Qatar. Il ne se passe pas une heure sans que le Qatarien moderne ne consulte les tendances de son portefeuille d'actions à New York, à Tokyo ou à Londres.


Je jure que je n'avais rien contre l'islam en arrivant au Moyen-Orient, mais après huit ans, j'avoue ne plus en pouvoir de toutes ces simagrées.


La culture bédouine admet l’esclavage comme un mode de management.


Je réalisai en cette occasion, qui se répéta à l'infini, l'ampleur du sentiment d'infériorité des ressortissants du Moyen-Orient envers l’Occident. Et par voie de conséquence, la haine que celle-ci leur inspire à notre égard. Un autre des effets secondaires, mais probablement le plus pervers, de la colonisation.


Le block 2 est plein comme un œuf. Ils sont près de 120 à se presser dans les six cabines de douche, qui cumulent les fonctions de toilettes à la turque et de cabine… téléphonique.


La concurrence avec Dubaï est effrénée. Au point que les deux villes finissent par se ressembler comme deux grains de sable.


(…) un avocat étranger ne peut plaider au Qatar. Seul un avocat qatarien est autorisé à défendre les justiciables.


Les documents en arabe que m'avait fait signer Yahyah me reconnaissaient comme seul débiteur du montant réclamé ! La traduction en anglais stipulant que Cheikh Abdallah devait honorer cette somme au titre du transfert d'activité de Qatarmass n’était pas reconnue par le juge : seuls les documents en arabe faisaient foi.


Faupin ne comprend pas non plus. Mais lui ne comprend jamais rien… Je m'aperçois qu'il n'est qu'un commercial juridique. Une profession que je découvre et qui ne doit exister, à ma connaissance, qu’au Qatar.


Je fus contacté par téléphone par une collaboratrice de l'émission [Capital présentée, sur M6 par Guy Lagache] et par le journaliste devant réaliser la séquence, Vincent Fourcade. Le titre de l'émission « Ils prennent des risques et ça marche » me laissa perplexe (…) cette émission où je qualifiai le Qatar de « mirage économique » et le sponsorship « d'esclavage moderne » déclencha une opération de destruction qui me conduisit de la lumière au plus obscur recoin de ma déchéance.


(…) Pro-Intel et Jason m'avaient fait perdre des mois de ma vie sans compter les emprunts fait à Angela et Nicolas, aux parents d'Isabelle, à mes parents… Tout ce qui nous restait d’économies était passé dans des tentatives d'évasion avortées…


Par la suite, je découvris que Mathieu Faupin n'était pas un avocat comme il le prétendait, mais un vague consultant juridique, recruté par le cabinet Soulaiti, en qualité d'agent commercial. Et cela afin de pénétrer les institutions françaises au Qatar : l’UFE, l’ambassade, le consulat, le cercle francophone, le cercle culturel, la chambre de commerce franco-qatarienne, le poste économique…


À l'extérieur du pays, on achetait tout ce qu’il était possible de l’être, subventionnant les œuvres caritatives, finançant le développement des zones urbaines, de préférence défavorisées, afin de pratiquer une politique d'islamisation discrète. On s'occupait de la vitrine en devenant propriétaire de tout ce qui brille ou assure une image de luxe : le football, les courses hippiques, les musées, les Champs-Élysées, les entreprises de fabrication d'équipement militaire et automobile. On finançait les campagnes politiques des uns et des autres pour, le cas échéant, avoir des leviers de pression.


Le café Lenôtre ouvrait ses rideaux à 9h. Qatariens et Qatariennes s'empiffraient de croissants au beurre en les trempant dans de l'huile d'olive au zatar. Un autre regard sur la France, pas le nôtre.


Les Algériens, Tunisiens et Marocains ne sont pour les Qatariens, rien d'autre que des paysans, des « fellahs ».


- Khalas ! Dix mois de prison et dix mille qataris riyals d'amende…

Je ne pus retenir une exclamation de colère.

- Quoi ? Mais c'est une parodie de justice ! Honte à vous et au Qatar ; vous vous dites musulman… vous devriez être enclin à plus de commisération en ce jour de l'Aïd !

– Justement, condamner un chrétien en ce jour saint est un acte de foi. Vous pouvez toujours faire appel. Insha’ Allah.


– Le ministre des Affaires Étrangères nous interdit d'intervenir dans les problèmes personnels des Français.

– Mais de quels problèmes personnels parlez-vous ? Je me suis fait escroquer par un membre de la famille royale du Qatar. Le système du sponsorship réduit les ressortissants français à l'esclavage, et vous considérez cela comme un problème personnel ?

– Jean-Pierre, ne me criez pas dessus ; je fais tout ce que je peux pour vous sortir de là ! Je n'ai fait que cela pendant deux jours, négligeant mes autres activités.

- Ah, oui, c’est vrai, les visas pour que vos « chers amis qatariens » viennent se saouler à Paris ! Vous avez raison, c’est très important…


Au Qatar, la classe moyenne n'existe que depuis quelques années à peine, et bien évidemment, elle n'est pas qatarienne.


(…) le gros des produits maritimes est importé du Bahreïn, d’Oman, parfois d'Arabie Saoudite. Depuis peu, certains articles sont estampillés Qatar : l'eau minérale, les dates ou quelques biscuits. En fait, il ne s'agit que de production reconditionnée au Qatar et provenant des autres pays du golfe.


– Ah, la lumière est éteinte, mon oncle doit être en rendez-vous, je l'appelle.

Le lieu était désert, si tu es à l'entrée d’Al Khor dans un terre-plein derrière une station-service. La ville était occupée à festoyer dans le soir d’un ramadan qui se terminerait sous peu. La discussion en arabe fut émaillée de trop de « insha’Allah" pour être honnête.


Un footballeur, Ouaddou, jouant à Nancy, était venu soutenir Zahir et Stéphane. Il avait lui aussi subi l’humiliation qatarienne. Il avait dû abandonner des mois de salaires afin de pouvoir quitter le territoire. Nous venions de faire éclater au grand jour la chape de plomb que le Qatar avait jusque-là imposée aux médias.


Il nous reçut avec un sourire éclatant qui, sous ces latitudes, correspond à une déclaration de guerre, et par un rot sonore.


Mes lettres à cœur ouvert, à l’âme déchirée, à cerveau brûlant au président de la République se sont heurtées à un mur d'indifférence qui confine au mépris. 

Deux ans de cohabitation avec des criminels. Deux ans à établir les distances de sécurité, à leur imposer le respect, ou à défaut ma violence.


Tous redoutent le transfert à Markesi, la prison centrale, celle dédiée aux longues peines, le lieu où il n'y a rien d'autre à attendre que la fin de la sentence (…) Dans mon cas… sept ans et deux mois (…) je ne veux pas quitter ce trou à rats, sans lumière du jour, hanté par les cafards. Je me surprends à y être attaché, j’y ai pris mes habitudes, aussi minimalistes soient-elle, je me suis habitué à la promiscuité, aux odeurs nauséabondes, aux sourires édentés, à la Cour des Miracles.


Je refuse. Je m'accroche à la grille, Ibrahim le gardien soudanais le plus infect et le plus craint de Mulaq se dirige vers moi, il me menace de sa matraque.


Les Marocains sont nombreux à évoluer dans l'administration pénitentiaire quatarienne. Il s'agit d'un contrat d'État. Et tout ceux qui l’ont signé se sont fait piéger par les deux gouvernements (…) Le Maroc exporte vers le Moyen-Orient ses étudiants aussitôt diplômés (…) éviter à tout prix la prolifération de jeunes gens éduqués dans les rues de Rabat est vital (…) Bien évidemment pour l'élite du monde arabe, le fait que les salaires à l’arrivée soient divisés par deux, que le logement individuel se transforme en appartement pour quatre dans des lotissements sécurisés, que le véhicule promis à chaque officier de sécurité se trouve être un minibus qui fait la navette du lotissement à la prison, tout cela n'est que broutille et contribue en une fraternité musulmane particulière, celle des dictateurs.


Après plus de deux ans, 135 jours exactement, de détention dans la geôle insalubre qu’est Mulaq, je réalise que ce qui me sépare encore de ce qu'ils sont, ce n'est ni l'injustice, ni ma nature, pas même mon éducation (…) Ce sont ces bribes de lois familiales, sociétales, maritales claniques qui n'appartiennent qu'à moi et à tous ceux de ma tribu. Ce sont les obligations comportementales qui constituent les routines inconscientes régissant la vie des familles et qui varient de l'une à l'autre comme les odeurs de cuisine.

Relever l'abattant des toilettes avant usage, je le fais même ici en prison quand il existe encore, débarrasser la table, sortir les ordures, tenir la porte aux dames, ne pas renifler, se moucher en s’isolant des regards, ne pas roter ou venter en public, tenir sa parole, être ponctuel, respecter les anciens, ne pas élever la voix à l'encontre de sa mère…


Principes parmi lesquels, celui de dormir la nuit et vivre le jour n'est pas des moindres. Je m'accroche à la vie diurne alors que les prisonniers vivent la nuit.


Les diplômes, je les ai troqués depuis deux ans de détention à Mulaq contre quelques onces d'intelligence pratique. Les survivants de catastrophe sont rarement des universitaires…


Au Qatar, le système judiciaire laisse toute latitude au juge de condamner sur la seule base de son intuition. Sa conviction intime s'affranchit de toute preuve ou de tout témoignage, l'impulsion divine avec laquelle tout fonctionnaire de justice ou de police est connecté, suffit, même en ce qui concerne les condamnations à mort… surtout celles-là.


- Jean-Pierre, un Jordanien a pu faire passer des rasoirs. Il les vend 250 riyals pièce.

- Quoi ! 60 euros ?


J'ai eu de la chance, paraît-il, le couteau s'est plié sur une côte et a ripé vers l'extérieur. Abou Azim est en transe, dès que j'ai été proprement bandé, il est venu me hurler aux oreilles en arabe des propos incompréhensibles dont le sens injurieux ne m'a pas échappé. Je l'ai gratifié en retour d'un doigt d'honneur, langage universel dont il doit certainement ignorer l'origine. En des temps reculés, les archers montraient leur index à leurs ennemis en un signe guerrier qui signifiait qu'ils étaient prêts à décocher une flèche mortelle.


En tout, c'est 2 350 000 €, en incluant le capital et le fonds de roulement que j'ai mobilisés sur mes propres deniers pour faire vivre le projet de mes rêves. Les économies de toute une vie y sont passés. Et mon associé secret, Sheikh Fayçal n'ayant pas investi un seul riyal dans l'affaire, à encaissé, au titre de la kafala, près d'un 1 450 000 €.


Je suis mort lors de ma dernière tentative. Après trente-cinq jours sans m'alimenter, mon corps s’est brusquement raidit et mon cœur a cessé de battre. Un instant seulement j'ai pu connaître la paix et cette fameuse lumière au bout du tunnel. Les infirmiers qui m'ont placé sous perfusion dès qu'ils ont pu me réanimer en injectant de l'adrénaline à même le cœur m’ont interdit cette quiétude.


Même les grâces de l’émir ne s’appliquent pas aux chequats. Chequats, c'est ainsi que sont désignés les prisonniers qui sont incarcérés pour avoir commis le délit suprême de chèque sans provision, la pire des offenses dans cette partie du monde. Les assassins, les violeurs, les escrocs, les pédophiles sont régulièrement graciés par l’émir…


Kushak subit les pires humiliations sans se plaindre pour me protéger, cela me rend fou. J’ai interpellé violemment Yasser, notre inutile superviseur, je l'ai menacé de faire un rapport au ministère de la justice, à Abou Azim lui-même. Yasser a eu un sourire amusé.

- Abou Azim ? C’est lui qui nous a envoyé le gamin pour que les prisonniers qatariens pédophiles se paient un peu de bon temps. Les familles dehors lui versent de l’argent tous les mois pour ça.


(…) l'incontournable Al-Jazeera dont les informations tout aussi biaisées sont l'expression de la vérité officielle et locale. Le flash d'information s'ouvre sur le sourire figé d'une présentatrice voilée, une de celles qui ont remplacé, dans la semaine, les journalistes féminines auxquelles la chaîne a imposé le port du hijab. Parmi celles qui ont refusé, certaines ont démissionné, les autres ont été limogées, leur popularité ou leurs compétences professionnelles ne les ont pas protégées (…) Exit le directeur général américain qui avait créé un clone de CNN dans ce coin du désert dont le monde ignorait alors jusqu'à l'existence. Quelques années plus tard, l'organe de désinformation qatarien n’avait plus rien à envier dans le domaine de la manipulation d'information à sa grande sœur américaine (…) Le Qatar par l'entremise de la seule chaîne d'information internationale arabe a contribué au développement du mouvement politique islamiste le plus radical et le plus structuré. Les supposés printemps arabes n’ont de révolution populaire que les mots que se paie parfois la presse occidentale, ils n'ont jamais été autre chose qu'une tentative de prise de pouvoir des extrémistes religieux sur les pays arabes et plus particulièrement sur la plus grande puissance militaire arabe : l'Égypte (…) Les journalistes de la chaîne manient en expert un faux-semblant de professionnalisme et d'empathie qui donne l'illusion d'une objectivité de bon aloi. Une retenue timide dont sont volontairement exemptés les invités sur plateau qui éructent les versets du Coran et les menaces envers tous ceux, Arabes ou Occidentaux, qui ne marchent pas dans les pas du prophète.


- Que se passe-t-il ?

- On dit qu’une trentaine de membres de l’Etat islamique, Daech, vont être transférés dans notre bloc.

- Des Syriens ?

- Non des Qatariens qui se sont enrôlés pour aller se battre en Syrie avec al-Baghdadi. Parmi eux, il y aurait des fils de certains ministres de l’émir.


La position du Qatar concernant l’Etat islamique a toujours été floue, al-Baghdadi ayant un invité d’honneur avant qu’il ne lance son jihad. Une partie de sa famille, dont deux de ses épouses et leur progéniture, bénéficie toujours de la grande hospitalité de Sheikh Tamim, une hospitalité VIP dans des complexes cinq étoiles. D’autres organisations terroristes ont pignon sur rue et circulent en toute liberté dans Doha aux frais de l’Etat. Les frères musulmans et les talibans possèdent des bureaux de représentation officielle qui se comportent en véritables ambassades (…)

Finalement la porte s’est ouverte et une longue file de barbus en robes noires a pénétré dans le bloc comme s’ils étaient en visite. Des sourires arrogants accrochés à leurs visages, leurs regards menaçants se vrillant sur tout ce qui ne portait pas de barbe. Il ne s’agissait pas d’hommes vaincus qui arrivaient, les chaînes aux pieds et le dos courbé, mais des conquérants provocateurs, des prédateurs évaluant leur nouveau territoire de chasse (…)

Le jour même, un porte-parole du chef de la délégation éructa les nouvelles règles auxquelles tout détenu de ce bloc devait se soumettre. La menace de décapitation fut prononcée à de nombreuses reprises (…)

Dès le premier jour, un Jordanien récalcitrant à donner son téléphone portable fut battu à mort en public. Son corps resta plusieurs jours au milieu du mess avant que l’odeur fût suffisamment insupportable aux narines des disciples du calife.

(…) nous n’avons plus vu l’ombre d’un gardien depuis son [la délégation de l’Etat islamique] arrivée.


Abou Wahid, mon gardien toulousain ne me quitta pas d'une semelle les vingt-quatre jours que dura l'occupation par Daesh du bloc 1 de la prison centrale de Doha. Il avait 26 ans quand il avait rejoint Mossoul en 2006 (…) Après Paris, Toulouse est avec Marseille et Strasbourg une des villes les plus radicalisées de France. Le salafisme y pousse comme les herbes folles dans les terrains vagues de la périphérie d'une ville qui ne sent plus la rose depuis longtemps, mais les fumées de kebab. Les mosquées dirigées par des imams fichés S (…) pullulent (…)

Gérard est fier de m'apprendre que les Français convertis constituent près de 10 % de l'armée de l’État islamique et que la France est le pays occidental le plus représenté.


John fut déchu de son titre de directeur du service géologie [de Qatar Petroluem] et devint donc, le jour même de la promulgation du décret par l'émir, l'assistant d'un jeune Qatarien, fils de bonne famille, éduqué à l’étranger et ayant fréquenté plus assidûment les terrains de golf et les night-clubs que les universités. Le jeune homme n’ayant aucune idée de sa fonction demanda candidement à John si le gaz liquide servait à recharger les briquets, puis demanda à John de continuer à faire comme s'il n'était pas là. De fait, Djibril ben Jassim ben Mohamed Al Mohanadi ne fit acte de présence que de façon épisodique, le jeudi généralement vers dix heures du matin pour signer quelques documents et boire un café avant de partir en week-end.


(…) Mohammed ben Salmane, MBS, a présenté sur la scène internationale son plan pour le Moyen-Orient et pour les trente prochaines années. Un plan mondialiste établi par l’agence américaine Mc Kinsey dont je n’ai eu de cesse depuis des années que de démontrer les dérives.


Al Jazeera a organisé un spectacle hollywoodien pour couvrir l’intervention du prince du Qatar à New York. Ce sont des heures de reportages et de débats pendant lesquels Tamin est présenté comme le Che Guevara du monde islamiste, le héros de tout un peuple de… trois cent mille personnes. Des odes à son nom, des images le montrant souriant et resplendissant de noblesse sont diffusées toutes les dix minutes en alternance avec les démonstrations de force de l’armée qatarienne (…) L’armée qatarienne est une plaisanterie. Une plaisanterie certes parfaitement et très chèrement équipée par les Etats-Unis, la France et l’Angleterre, mais ses soldats sont de nationalité pakistanaise ou soudanaise. Ils ne se battront jamais contre l’Arabie Saoudite, l’armée du prophète (…) Quant à l’état-major qatarien, d’une incompétence monumentale, il est sous le contrôle des consultants américains, français et anglais qui peuvent à tout instant clouer au sol les équipement sophistiqués qu’ils leur ont vendus. Même les fusils d’assaut peuvent être rendus muets sur une impulsion électronique, les nations occidentales ont su tirer les leçons des guerres du Golfe.


La raison pour laquelle le crime le plus répandu du Qatar, 70 % des personnes incarcérées, n'est pas soumis aux grâces princières provient du fait que les sponsors qatariens sont membres du diwan. Une grâce qui relâcherait et extraderait leurs supposés débiteurs qui emporteraient avec eux leur prétendues dettes, serait un affront et un manque-à-gagner.


Cela fait vingt jours que je suis dans le bloc 6 et je n'ai toujours pas de lit. Quand Hamed ne dort pas dans son lit, sa chambre sert de salle de shoot, il est impossible et dangereux d’y dormir. J’occupe une chaise en plastique sur le palier de l’escalier ; pour d’étranges raisons, c'est l'endroit le moins sale du bloc. J'ai la grippe, la fièvre m’empêche de trop réfléchir à ma condition, je ne sens plus mes jambes, je flotte, c'est presque agréable.

Il m’arrive de somnoler sur ma chaise, mais je lutte pour ne pas sombrer. J'ai dû repousser d’une ruade dans les testicules les assauts d'un Omanais armé d'une lame aussi coupante qu’un rasoir. Il tentait de me sectionner l'annulaire. Cela fait plus d'une semaine que je ne m'alimente plus, je vomis tout ce que j’avale.


(…) un prêtre catholique libanais (…) s'est un jour présenté aux portes de la prison centrale et a demandé à me voir sans autorisation ni information préalable. L’islam vénère les fous et saints hommes, le père Élias appartient à coup sûr aux deux catégories. La stupeur sans doute, ou bien une intervention du Très Haut, lui a permis de forcer l'entrée de la salle des opérations. Interloqué sans doute, l'officier de sécurité en faction ce jour-là m'a fait appeler.

Le père Élias était porteur des encouragements et de la bénédiction du pape François. Le Vatican l'avait récemment contacté en son diocèse de Beyrouth pour lui donner mission de venir me soutenir et de m'assurer de la compassion divine. Il me montra une bible luxueuse en cuir, reliée et enluminée à mon nom. Une bible dédicacée, en français, par le premier des catholiques en personne. La dédicace disait ceci : « Pour qui croit, rien n'est impossible. Pour qui espère, tout est permis. À celui qui aime, rien de mauvais ne peut arriver. À vous, Jean-Pierre, dont le nom est deux fois béni, Dieu vous adresse ce message : croyez, espérez et aimez. Francois »


Je me souviens avoir pensé au Rohypnol, une drogue du violeur, en écoutant Daoud. C'était l'une des activités favorites de la jeunesse dorée qatarienne de droguer et d'abuser de jeunes gens, filles ou garçons, généralement asiatiques. Ces derniers sont ensuite abandonnés après usage, meurtris et mutilés, dans des hôtels de luxe. Des centaines de fois, j'avais mis en garde Isabelle et les garçons de ne jamais rien accepter de la part de Qatariens inconnus.


Aucun ouvrage dans la bibliothèque carcérale ne devait être écrit par une femme, cette restriction s'appliquait également aux écoles et aux hôpitaux.


Parmi toutes les procédures que développent les détenus pour s'affranchir des contraintes carcérales, le papier carbone permet de déjouer le portique magnétique. Les faisceaux d'ondes électromagnétiques sont dispersés de façon aléatoire par la granulométrie du carbone et ne sont plus réfléchis sur les capteurs.


Ce qui ne pratique pas le ramadan sont ostracisés, insultés et parfois battus.


Au Qatar (…) le ramadan, c'est tout le contraire. Une grande partie des Qatariens, à tout le moins ceux qui demeurent au pays durant cette période, car 70 % des autochtones fuient le Moyen-Orient pour aller faire bombance en Europe, dorment le jour et se gavent comme des gorets la nuit. Le dernier jour du ramadan, on constate des visages bouffis de graisse et des postérieurs aux dimensions élargies.


J'ai emporté dans ma tente, le couteau fabriqué avec un fragment de montant de porte en métal, longuement usé, poli, aiguisé sur le béton de la cour. Ce couteau de cuisine nous sert pour les légumes, il servira pour de la viande ce soir. Ce soir, il s’abreuvera à mes veines. Ce soir je ferai couler mon sang… toute la nuit (…)

Je me tourne vers toi, Seigneur. Tu vois, je meurs en anarchiste, je décide du lieu et de l’heure, tu n'as pas dénié m'accorder un regard, alors ton paradis… conserve-le pour les vertueux, les bien-pensants parce que je sais que les innocents n’y ont pas leur place. Et puisqu'il le faut, c'est à toi, Marie, que j'adresse ma dernière prière. Toi la mère, toi l'épouse, toi la femme… Je te salue Marie…

Comme toujours dans ma vie, c'est toujours quand j'abandonne que le vent tourne. À moins que ce ne soit moi qui lui tournait le dos jusque-là. Baader arrache la couverture qui sert de porte à ma tente. Il est radieux, puis aperçoit le couteau et son visage s’obscurcit ; en une poussée des mollets, il escalade l'échelle, s’assoit à mes côtés et avec une infinie douceur l'ôte de mes mains.

– Monsieur Jean-Pierre. Il faut vous préparer, vous êtes libres !


Les images, largement diffusées et commentées sur Al-Jazeera, de la jungle de Calais avait attiré les quolibets de Sheikh Talal. Comment la France pouvait-elle se comporter de la sorte et laisser les gens vivre comme des animaux ?

Ce que je découvris en arrivant au centre de déportation de Doha dépassait en horreur tout ce que j'avais pu voir dans les bidonvilles de Soweto ou dans ceux de Rocha Pinto en Angola. Des milliers de gens, de toutes les nationalités confondues, unis dans la crasse, attendent dans un espace à ciel ouvert qu’on les rapatrie chez eux. Il n'y a pas de blocs sanitaires, pas d'électricité, pas d'eau potable. Un tuyau d'arrosage dispense un famélique filet d'eau marronnasse devant servir à faire sa toilette (…) Les excréments et les ordures sont repoussées dans des rigoles creusées à la pelle. Les énormes Lucilia caesar, les mouches vertes pour les uns, dorées pour les autres et plus vulgairement pour moi, les mouches à merde, font un raffut incessant de base aérienne, il faut tenir un mouchoir sur la bouche pour ne pas en avaler.

C’est un camp de réfugiés de guerre. J'aperçois les pieds squelettiques d'un cadavre qui dépasse d'un drap maculé de sang, qu’une âme moins indifférente lui a jeté dessus. Il est mort depuis des jours, l’odeur est insupportable, je m'éloigne, détournant le regard… comme les autres. Une fois par jour, un camion vient délivrer des bidons d'eau jugée potable au goût de pisse et des biscuits rances. C'est la cohue, j'assiste à des scènes d'une violence inouïe pour un peu d’eau.


Je n'ose imaginer les taux d’usurier qu’applique Ayoub à ces pauvres gens. La plupart viennent d'effectuer de longues peines de prison simplement parce que leur sponsor local, leur kafil, ne voulait pas payer leur salaire. C'est un sport national au Qatar, on recrute des ouvriers auprès d'agences négrières de placement, on les exploite durant des mois, des années souvent, et quand vient l’heure de les rémunérer, on les transfère au centre de déportation.


(…) je suis Jean-Pierre Marongiu, j'ai survécu à toutes les embûches que la vie s’est ingéniée à jeter sur mon chemin, ce n'est pas la force ou le courage qui me définit, c'est la détermination à essayer d'être tout simplement… un type bien.


La France, (…) C'est cette idée de liberté, d'indépendance d'esprit, d'équité et de fermeté de l'âme qui a conduit nos pas sur le parvis de Notre-Dame de Paris. Nous y avons fait la première photographie de notre couple enfin réuni.


Tout a une autre saveur, tout est important, plus rien ne m'indiffère.

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