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jeudi 23 mai 2019

« Poèmes à Lou » et "Poèmes à Madeleine" de Guillaume Apollinaire (1914-1916)


Faction

[…] Amour vous ne savez ce que c’est que l’absence
Et vous ne savez pas que l’on s’en sent mourir
Chaque heure infiniment augmente la souffrance
Et quand le jour finit on commence à souffrir
Et quand la nuit revient la peine recommence […]

L’attente

On attend le moment de gagner la victoire
On espère l’amour, on espère la gloire
On cueille des lilas
Derniers lilas pareils à des baisers très las

On attend des baisers plus doux que cette lune
Et les fleurs du printemps tombent l’une après l’une
La couille de Japonais rôtie et remplie de chiures de mouche
Le puceron du rosier
C’est une perspective mieux que celle de Nevsky
Une couleuvre avec un archevêque
Le pape est généralissime
[...]

L’amour, le dédain et l’espérance

… J’ai eu à moi, à ma disposition ton orgueil même quand je te tenais courbée et que tu subissais ma puissance et ma domination
J’ai cru prendre tout cela, ce n’était qu’un prestige…

A la partie la plus gracieuse 

Toi qui regardes sans sourire
Et de face en tournant le dos
Tu me sembles un beau navire
Voiles dehors… et quels dodos

Promet cet édredon de neige
Neige rose de Mézidon
Mars et Vénus, le reverrai-je
Cet édredon de Cupidon

Ô gracieuse et callipyge
Tous les culs sont de la Saint-Jean 
Le tien leur fait vraiment la pige
Déesse aux collines d’argent

D’argent qui serait de la crème
Et des feuilles de rose aussi
Aussi, belle croupe je t’aime
Et ta grâce est mon seul souci

Peu de choses

Combien qu’on a pu en tuer 
Ma foi 
C’est drôle que ça ne vous fasse rien 
Ma foi 
Une tablette de chocolat aux Boches 
Ma foi Feu 
Un camembert pour le logis aux Boches
Ma foi Feu
Chaque fois que tu dis feu ! le mot se change en acier qui éclate là-bas 
Ma foi 
Abritez-vous 
Ma foi 
Kra 
Ils répondent les salauds 
Drôle de langage ma foi


« Poèmes à Madeleine » (1915)

Le… Poème Secret

Voilà de quoi est fait le chant symphonique de l'amour qui bruit dans la conque de Vénus
Il y a le chant de l'amour de jadis
Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
Les cris d'amours des mortelles violées par les dieux
Les virilités des héros fabuleux érigées comme des cierges vont et viennent comme une rumeur obscène
Il y a aussi les cris de folie des bacchantes folles d'amour pour avoir mangé l'hippomane secrété par la vulve des juments en chaleur
Les cris d'amour des félins dans les jongles
La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales
Le fracas des marées
Le tonnerre des artilleries où la forme obscène des canons accomplit le terrible amour des peuples
Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté
Et le chant victorieux que les premiers rayons de soleil faisaient chanter à Memnon l'immobile
Il y a le cri des Sabines au moment de l'enlèvement
Le chant nuptial de la Sulamite
Je suis belle mais noire
Et le hurlement précieux de Jason
Quand il trouva la toison
Et le mortel chant du cygne quand son duvet se pressait entre les cuisses bleuâtres de Léda
Il y a le chant de tout l'amour du monde
Il y a entre tes cuisses adorées Madeleine
La rumeur de tout l'amour comme le chant sacré de la mer bruit tout entier dans le coquillage.

Il y a

Onirocritique

[…]
Les beaux gardes de la ville,
Tricotaient superbement ;
Puis, les portes de la ville
Se fermèrent lentement.

Mais j’avais la conscience des éternités différentes de l’homme et de la femme. Le ciel allaitait ses pards. J’aperçus alors sur ma main des taches cramoisies. Vers le matin, des pirates emmenèrent neuf vaisseaux ancrés dans le port. Les monarques s’égayaient. Et les femmes ne voulaient pleurer aucun mort. Elles préfèrent les vieux rois, plus forts en amour que les vieux chiens. Un sacrificateur désira être immolé au lieu de la victime. On lui ouvrit le ventre. J’y vis quatre I, quatre O, quatre D. On nous servit de la viande fraîche et je grandis subitement après en avoir mangé. Des singes pareils à leurs arbres violaient d’anciens tombeaux. J’appelai une de ces bêtes sur qui poussaient des feuilles de laurier. Elle m’apporta une tête faite d’une seule perle. Je la pris dans mes bras et l’interrogeai après l’avoir menacée de la rejeter dans la mer si elle ne me répondait pas. Cette perle était ignorante et la mer l’engloutit…

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