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lundi 26 octobre 2015

« L’enfer – Terreur et survie sous Pinochet - » de Luz Arce (2013)

Extrait de la préface de Bernardo Toro :
Seule l’occultation d’une telle expérience et de ce qu’elle vient nous rappeler, à savoir que beaucoup d’opposant au régime ont parlé sous la torture et collaboré avec les militaires, devait permettre au mythe de la résistance de se constituer et, comme il est arrivé en France occupée, de sauver l’honneur des Chiliens – complice passifs de la dictature pour la plupart.
L’hybridation du coupable et de la victime constitue au Chili un véritable refoulé historique dans la mesure où le peuple chilien est issu non des nobles araucans qui auraient résisté vaillamment au conquérants espagnols (comme le veut la légende), mais du métissage des deux. Le peuple chilien est, de par son origine, une sorte de monstre issu de l’accouplement criminel du bourreau et de la victime, viol ou connivence avec l’ennemi, que l’histoire s’est chargée de gommer à coup de légendes patriotiques.
Au Chili, la disparition n’a pas seulement affecté les corps. Le trouble provoqué par l’Enfer a entrainé la disparition pure et simple de l’ouvrage peu après sa publication. Effacement de traces quasi parfait qui a obligé ses traducteurs successifs à travailler à partir de photocopies. Tout porte à croire que cette épuration n’a pas été l’œuvre des seuls militaires ; pour des raisons aussi diverses que compréhensibles, ce livre mettait dans l’embarras l’ensemble de la société chilienne (…)
Les premiers à pardonner Luz Arce ont été les rescapés de l’enfer de la junte, ses pourfendeurs les plus farouches se trouvant parmi ceux qui se sont soumis passivement aux diktats de Pinochet, comme s’il s’agissait de compenser par l’intransigeance du jugement la passivité des actes.

Les statistiques signalent que la survie moyenne d’un militant clandestin est de six mois.

Dans la rue, il fallait se souvenir du sens de la circulation et marcher en sens inverses pour éviter d’être pris en filature par une voiture (…) Eviter aussi de croiser les regards, car il est plus facile de reconnaître quelqu’un quand on a vu son expression.

De plus, je ne tarderais pas à ressentir l’angoisse de celui qui sait que l’heure de la torture approche, ce qui est encore pire que la torture elle-même.

On m’avait beaucoup frappée. Je ne sentais plus mon visage, il était gonflé comme un ballon et j’avais toujours mal à la langue ; à force de recevoir du courant, elle ne tenait presque plus dans ma bouche.

A l’époque, à l’hôpital militaire, chaque seconde semblait se traîner péniblement. Au milieu de la peur et de l’incertitude, j’eus l’occasion de me confronter à moi-même comme jamais auparavant (…) Je continuais à fouiller en moi-même : je réfléchissais à ma relation avec mes parents. Et je compris avec émotion que je les aimais. Pour la première fois de ma vie, mes sentiments étaient pleins, comme un fleuve d’amour, sans rancœur, sans réflexion, juste de l’amour. Un amour tellement irrépressible qu’il me faisait mal.

Au milieu de ce chaos, une décision surgit. Sans doute, mon sort était-il joué, mais je pouvais encore réparer certaines erreurs. « Christ, mon ami ! Si tu es Dieu, merci de m’accorder la possibilité de cette réparation. Merci de me donner l’occasion de témoigner mon amour à mes parents et à mon fils. La prochaine fois que je verrai la mort, je n’aurais pas de dettes d’amour ». (…) Je n’arrêtais pas de dire merci. Je pouvais aimer mes parents, m’emplir intensément et insatiablement de la merveilleuse richesse de ma terre et des parfums de la vie de mon fils. Pourquoi avais-je été incapable de saisir cette beauté auparavant ?

Le soir, j’entendis du bruit. La lumière d’une lampe de poche filtrait à travers le trou de l’escalier. C’était l’un des gardes, il m’apportait des vêtements et un sandwich. J’ai ouvert le sac qu’il me tendait. Il y avait des cigarettes et un thermos (…) Soudain je me suis dit que je ne devais jamais oublier ces moments, pas seulement la douleur, mais tous mes sentiments. J’étais en train de découvrir des trésors, l’aide de ces garçons me faisait comprendre que, où que je l’on soit, il y a toujours de vrais êtres humains.

Je me disais : « Oui, Luz, c’est bien toi, et ces gens que tu entends sont bien tes camarades, on est train de les torturer, ces cris que tu entends, ces cris qui te hérissent les poils disent une douleur qui est aussi la tienne, Luz, tu sais très bien qu’ils sont en train de briser en mille morceaux tes camarades, et tu as peur et tu transpires, car bientôt toi aussi tu vas crier, c’est l’adrénaline. »

Des nouveaux détenus qui avaient des postes importants dans le MIR venaient d’arriver (…) On était en train de les torturer sauvagement, ce qui voulait dire que pendant quelques heures on nous foutrait la paix. C’était une tranquillité aussi terrible que la torture elle-même, elle tenait au fait que « le grill était occupé » (…) Peu après, nous entendîmes des cris déchirants à briser le cœur, ce genre de cris qui vous replongent dans les pires souvenirs et qui restent à jamais gravés dans votre mémoire. Jamais dans ma vie je n’ai senti, connu ou entendu autant d’expressions de douleur.
Jamais je ne me suis sentie aussi éloignée de cette Luz qui pouvait faire face à tout sans baisser la tête qu’au cours de ces jours d’août 1974. J’avais la sensation qu’on m’avait arraché non seulement des morceaux de peau, mais aussi une partie de l’âme. On m’avait enlevé toute possibilité de rester moi-même, je ne saurais pas l’expliquer plus clairement. Les douleurs et les malaises physiques n’étaient pas tout, j’étais au-delà du désespoir (…) J’avais la sensation d’être perdue. Les cauchemars s’emparaient de moi en pleine journée. L’horreur était en train de me rendre folle.

(…) ils m’emmenèrent au deuxième étage, où Osvaldo Romo et un sous-officier de carabiniers alcoolique aux longs cheveux noirs parsemés de gris et aux yeux bleu clair me torturèrent une nouvelle fois. (…) ils m’appliquèrent les électrodes. Je leur dis des milliers de fois que je ne signerais pas (…) Je fus violées une nouvelle fois par au moins trois individus. J’imagine que j’avais perdu connaissance, car, quand je revins à moi, j’étais dans un coin du premier étage, sur un matelas, les yeux bandés et les mains attachées. Je suis restée là toute la nuit à pleurer, sans pouvoir dormir, en proie à une douleur inexprimable. J’étais défaite. Les mêmes cauchemars revenaient inlassablement, je rêvais que je manquais d’appui, j’avais l’impression que je devais m’accrocher à quelque chose, sentir autour de moi une présence qui atténuerait cette sensation de désolation.

La caserne Yucatan, rue de Londres, était un endroit rempli d’épouvante et de terreur. Tout sentait le sang, la merde et la mort (…) Le matin, ils nous sevraient du café seulement si un camarade avait de l’argent pour le payer (…) Les gardes préparèrent le café et insistèrent beaucoup sur le fait que nous devions tout boire.
Il avait un drôle de goût. Mais l’endroit était si sale que tout semblait étrange et visqueux. Je l’ai bu, il était chaud et me faisait du bien. Quelques jours plus tard, j’avais les lèvres gercées et irritées. D’autres camarades se plaignaient de la même chose. Les gardes, hilares, nous racontèrent qu’ils avaient préparé le café avec notre propre urine. Les toilettes du premier étage étant en panne, nous devions uriner dans un seau.

J’avais la tête lourde et l’impression d’avoir une langue immense, comme si elle était en tain de pousser jusqu’à ne plus tenir dans ma bouche.

La puanteur des centres de détention de la Dina était à l’intérieur de moi. Je la sentais toujours, imprégnée dans les narines, dans ma tête. C’est une odeur que je ne pourrai jamais oublier.

Mon obsession pour échapper aux emprises extérieures était telle que j’ai cessé de ressentir les effets du chaud et du froid. Cela a duré des années.

Sergio supporta pendant quatorze jours d’atroces tortures. Le garde qui surveillait ma porte m’a dit qu’on lui avait écrasé les testicules. Nous avons entendu ses cris quand c’est arrivé (…) Je me suis réveillée en sursaut à cause d’une plainte monocorde et rauque. L’entendre était insoutenable, vivre cette douleur dans sa propre chair devait être au-delà du supportable (…) Je pensais pouvoir différencier à l’époque les hurlements dus à l’électricité et ceux dus aux coups reçus. Sergio a enduré les deux. Je cessais de l’entendre uniquement quand ils le traînaient jusqu’à la salle de torture. Presque en pleurant, il suppliait : « S’il vous plaît, tuez-moi ! Tirez-moi une balle dans la tête, par pitié ! » Je ne peux pas écrire ces lignes sans pleurer.

Le garçon était nu sur le grill. Quand je suis arrivée, ils étaient encore en train de retirer les câbles électriques : il venait d’être torturé. J’avais peur. On disait que si l’on avalait de l’eau juste après une séance de torture, on risquait de mourir.

C’est là qu’on a commencé à construire ce que les agents de la Dina appelaient les « boîtes » pour les détenus, les casas corvi ou « maisons Chili ». L’humour noir des Chiliens est vraiment incroyable. Il s’agissait de sortes de boîtes très petites ou un homme d’environ un mètre soixante-dix ne pouvait tenir qu’assis et avec les jambes pliées.

J’ai ressenti une colère indescriptible. Pour eux, nous n’étions qu’un « paquet », mais comme toujours, ils maniaient un double discours. D’un côté, nous devions acheter notre avenir en étant des êtres entièrement soumis mais, attention, efficaces ; de l’autre, nous étions toutes trois des femmes qui, ayant le même âge – 26 ans à ce moment-là, puisque nous étions nées en 1948 -, avaient commis tous les péchés qu’un femme de notre génération pouvait commettre. Nous étions des militantes marxistes et, par conséquent, des putes ; ma condition de femme séparée aggravait mon cas.

Vers 20 heures, un garde est entré avec notre repas. Il avait, comme d’habitude, les doigts dans la soupe. J’étais habituée.

J’ai essayé de rester naturelle, mais quand il m’embrassa, j’eus un mouvement de dégoût à cause de son odeur. Les pellicules et la saleté étaient visibles sur sa veste. Je sentais la nausée monter de mon ventre (…) Personne n’avait oublié qu’un jour, Rolf Wenderoth avait laissé les portes du centre ouvertes et avait demandé aux gardes de se cacher afin de tuer ceux qui tenteraient de s’enfuir.

Je me suis souvenue des histoires que le major m’avait racontées. Il avait, par exemple, gagné un concours qui consistait à envoyer le plus loin possible, et d’un seul coup de pied, un appelé du contingent qui avait commis une maladresse.

Un an après mon arrestation, on nous a transférées dans la cabane qui avait été construite pour nous (…) C’était une petite cabane en bois pleine de fentes par où entrait l’air froid de l’hiver. Mais être loin de l’endroit où l’on torturait nos camarades nous a permis de retrouver un peu de sérénité. Nous savions que les tortures se poursuivaient mais, au moins, nous n’entendions plus les hurlements. Une horreur en mois. Nous étions tout de même à côté de la tour où l’on m’avait pendue.

J’ai demandé à Wenderoth et aux filles d’apprendre à faire des piqûres, mais ils n’ont pas voulu. Lauriani est le seul qui a osé le faire. Quand la douleur était trop insupportable, je lui demandais de m’injecter du Valium. Bientôt mes bras ont été couverts de bosses et de bleus (…) Le capitaine revint avec un médecin. Le diagnostic tomba : pneumonie et surmenage. Cinq mois plus tôt, j’avais eu une pleurite (…) En cherchant la cause des maux de tête qui persistaient, même si je m’étais remise de ma pneumonie, on a détecté un diabète fonctionnel, on m’a également prescrit des lunettes. Mon problème au pied était irréversible, il fallait que j’attende que la douleur diminue avec le temps.

Quand quelqu’un méritait quelque chose qui pouvait mériter une sanction de la part des supérieurs de la Villa Grimaldi, le personnel prononçait cette phrase macabre :
-       On va t’emmener en hélicoptère.

De retour à la camionnette, un garde occupait le siège du conducteur de sorte que notre conversation ne pouvait être qu’« officielle ». Elle m’a demandé pourquoi je collaborais et je lui ai raconté ce qui m’était arrivé avec mon fils. Cela ne justifiait pas ma collaboration, mais il fallait bien que je lui dise quelque chose.

Il y avait des moments comme celui-ci où je croyais vraiment que le major pensait ce qu’il disait. Je n’ai jamais réussi à comprendre cette sorte de dédoublement, ce double discours : d’un côté, il voulait empêcher les abus et de l’autre, il donnait carte blanche pour qu’on réprime, agresse, torture, vole.

Pendant des décennies, j’ai dû habiter avec une sorte de présence étrangère envahissante, faite de panique et de peur, qui a gouverné ma conscience et m’a forcées à oublier, à ne pas raconter, à me taire. Je m’évadais, en m’imaginant loin du chaos. Je voulais vivre en sécurité dans un monde où rien ne paraissait suffisamment protégé. Pendant ces années-là, je ne percevais que les symptômes de cette peur, le frisson qui parcourait mon corps et prenait possession de ma bouche jusqu’à la paralyser. Aujourd’hui, je sais qu’il est essentiel de trouver les mots et de raconter ce qui est arrivé, pas seulement pour moi mais pour l’ensemble de la société. Hier, la répression et la torture attaquaient la société, aujourd’hui c’est l’impunité qui la bafoue. L’impunité qui n’est rien d’autre que la poursuite de l’intimidation par-delà les dictatures, une forme plus sophistiquée de répression.

Marcos a donné à Barriga un faux lieu de rendez-vous. Il a dit qu’il devait retrouver un camarade rue Santa Monica. Une fois sur place, il a couru se réfugier dans les locaux du Comité pour la paix qui se trouvait à cet endroit. Il a reçu la protection de l’archevêché. Les médecins qui l’ont examiné ont constaté les traces de torture. Il est resté caché longtemps avant d’obtenir les papiers qui lui ont permis de quitter le pays.
Cet événement n’a pas arrangé la relation déjà conflictuelle entre l’Eglise et le gouvernement.

Nous pouvions aussi nous promener dans la rue. Personnellement, j’ai mis beaucoup de temps avant d’oser sortir toute seule. J’avis perdu l’habitude. La première fois que je suis allée dehors, j’ai eu le vertige. J’avais l’impression d’être saoule.

Les démarches entreprises par les Eglises chrétiennes, Helmut Frentz, Monseigneur Raul Silva Henriquez et leur Comité pour la paix étaient de véritables grains de riz dans les rouages de la Dina. A maintes reprises, l’organisation tenta de les effrayer pour empêcher leurs actions. Si elle n’y est jamais parvenue, c’est grâce au courage de Monseigneur Silva et des autres religieux et représentants de l’institution qui, en suivant l’enseignement des évangiles, ont mené un combat pour les droits de l’homme et pour la défense de la vie.

« Je me donne si l’envie me prend, mais jamais je ne me vends. » Cette phrase je l’ai dite pour la première fois au directeur de la Dina lors d’une réception où il m’avait invitée à danser.
-       Luz, tu es la plus belle de mes détenues.
-       Merci, mon colonel. Seulement je pensais que je n’étais plus une détenue, mais une fonctionnaire de la Dina.

La mort me semblait préférable, mais j’essayais de me raisonner en pensant : « Même si tu vis une seconde de plus, cette seconde représente le reste de ta vie, c’est on avenir. Le pire est déjà derrière toi, il fait partie de ta vie. Chaque heure qui passe, chaque jour est un triomphe, un cadeau, un motif de joie. »
Bien sûr, je ne croyais pas vraiment ce que je me disais, mais le seul fait de le pensait diminuait ma sensation de défaite.

La Dina a aidé le gouvernement dans presque tous les domaines, avec une poignée d’hommes, elle a perquisitionné volé, enlevé, torturé, tué et fait disparaître les opposants.

Peu à peu, le colonel se rendit compte que, malgré l’adhésion de quelques prêtres et du secteur le plus conservateur de l’Eglise catholique, la thèse d’une guerre d’anéantissement ne parviendrait jamais à convaincre le cardinal Silva Henriquez et les évêques les plus engagés dans la défense des secteurs sociaux marginaux. Il s’est donc tourné vers l’Eglise méthodiste pentecôtiste qui légitimait le projet de dictature. Le régime est alors devenu œcuménique. En 1976, le Te Deum a eu lieu dans la cathédrale méthodiste pentecôtiste située dans l’Alameda.

Les évêques Carlos Camus, Tomas Gonzales et Jorge Hourton étaient systématiquement surveillés, surtout après la déclaration de Camus, le 8 octobre 1975, dans laquelle il affirmait, en tant que secrétaire de la conférence épiscopale, que le chômage dépassait largement les 20% reconnus officiellement, que le pays était soumis à un climat de haine et que l’Eglise continuerait d’être attaquée, car elle prenait la défense des persécutés politiques, des chômeurs, des familles démunies, c’est-à-dire de la majorité des Chiliens.

Pour rendre le travail de la Dina plus légitime, le colonel se servait de toutes sortes d’artifices (…) Il s’efforçait de prouver que la Dina était l’organisme le mieux adapté pour combattre les opposants et qu’il devait rester unique. Des conflits surgirent rapidement avec les autres appareils répressifs. Il mena alors des actions de contre-espionnage auprès des autres branches de l’armée. Il élargit le rayon d’activité de la Dina en créant le groupe Condor et en envoyant des agents à l’étranger (…) A son apogée, la Dina était devenu une institution tentaculaire et difficile à contrôler.

A l’intérieur de la Dina, Manuel Contreras était totalement surestimé (…) Le colonel croyait, en effet, en sa « bonne étoile », celle qui lui permettait de remplir sa « mission ». Cette excessive confiance en lui-même finit par l’aveugler. Ses plus proches collaborateurs l’entouraient comme une cour princière, en flattant son ego.

L’officier me donna un dossier avec toute l’information qui confirmait que j’avais été fonctionnaire de la Dina, puis du CNI. Il contenait mes CV, ma lettre de démission au CNI, présentée en octobre 1979 et acceptée en mars 1980, toutes les catés d’identité que j’avais eues tant à la Dina qu’au CNI (…) Il y avait aussi une liasse de document échangés entre le sous-directeur de l’extérieur et la direction du CNI qui contenait des évaluations tant professionnelles que personnelles ainsi que les inconvénients et les avantages de me tuer au Chili, à l’étranger, ou bien de me laisser vivante et d’accepter ma démission.

(…) le CNI était médiocre. Son seul pouvoir résidait en réalité dans la peur qu’il suscitait. C’était précisément cette médiocrité qui m’avait permis de rester en vie. Il était facile pour moi de paraître « intelligente » au milieu de toute cette force brutale.

D’un côté, j’avais la ferme intention d’accomplir correctement mon travail et de survivre, mais quand je pensais que j’allais vivre pendant trois dans la clandestinité loin de mon fils, j’étais effondrée.

Tout ce qui m’est arrivé n’était que l’histoire de ma lutte pour la survie (…) Ce jour-là, j’ai dit au Seigneur : « Oui, mon nom est Luz, Luz Arce, la délatrice, la traîtresse, la fonctionnaire de la Dina et du CNI. »

Je fis mon entrée à la fin de la confrontation (…) Au cours de la confrontation avec moi (…) suivant les conseils de ses avocats, il tenta d’éviter que je fasse référence à des choses personnelles. Visiblement, il lui était plus difficile de reconnaître ses faiblesses personnelles que d’avoir arrêté et torturé des gens, ouvert la poitrine de son ancien camarade de  l’école militaire, Claudio Thauby, et Dieu sait quelles autres atrocités.

Les gestes, les paroles, les cris et la torture auxquels Miguel Krassnoff Martchenko m’avait soumise restent liée dans ma mémoire au souvenir du « Troglo ». En 1992, je fus, avec plus d’une douzaine d’autres témoins, confrontée à Krassnoff (…) Il était là, plus âgé et faisant preuve d’une grande capacité de dédoublement. Très courtois et bien élevé envers madame Olivares, il se montra insolent envers moi. Par moments, lorsqu’il se penchait devant la juge comme devant un supérieur, son attitude semblait soumise (…) Je dois avouer qu’au début, mon cœur battait très vite, j’avais la gorge sèche (…) Je m’aperçus que j’avais adopté la même manière de m’asseoir qu’après une séance de torture. La seule présence de cet homme m’avait fait prendre une position quasi fœtale. Je me penchai en avant…

Procès après procès, je rompais les liens de terreur qui me reliaient au passé.

Au cours des années où j’étais incapable de faire face à des souvenirs, il me semblait que plus mes paroles collaient à la réalité, plus elles devenaient incompréhensibles. Je ne pouvais pas exprimer ce que j’avais vécu, quelque chose en moi ne voulait pas accepter cette violence, cet anéantissement, cette absence totale de droits. Je voulais croire que tout cela n’était pas réel, qu’à un moment de ma vie j’étais devenue folle (…) J’avais l’impression que le monde qui m’habitait intérieurement ne pouvait que générer effroi, rejet et une atroce condamnation. J’avais vécu cet opprobre, cette honte.

1 commentaire:

  1. Yo creo de toda evidencia que esta persona "Luz Arce" es una psicopata manipuladora que se hace pasar por victima, es una enferma trastornada..

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