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jeudi 29 octobre 2015

« L’Église que j’espère », Pape François – Entretien avec le père Spadaro, S.J. (2013)

J’arrive à regarder les personnes individuellement, à entrer en contact de manière personnelle avec celles qui me font face. Je ne suis pas coutumier des masses. 

C’est un homme qui a trop les pieds sur terre, qui a trop de sens pratique pour se laisser emporter par de vagues rêveries, par des souvenirs nostalgiques, par ce qu’il a défini comme la « nébuleuse proustienne ». En revanche, il croit aux rêves, dans l’acception de lieux de rencontre avec Dieu, dans l’acception que leur donne la Bible.

J’ai choisi de m’y installer car, quand j’ai pris possession de l’appartement pontifical, j’ai entendu distinctement un « non » à l’intérieur de moi. L’appartement pontifical du Palais apostolique n’est pas luxueux. Il est ancien, fait avec goût ; mais pas luxueux. Cependant, il est comme un entonnoir à l’envers. S’il est grand et spacieux, son entrée est vraiment étroite. On y entre au compte-goutte et moi, sans les personnes, non, je ne peux pas vivre. J’ai besoin de vivre ma vie avec les autres.

J’ai toujours été frappé par la maxime décrivant la vision d’Ignace : « Ne pas être enfermé par le plus grand, mais être contenu par le plus petit, c’est cela qui est divin. » (…) Cette vertu du grand et du petit, c’est ce que j’appelle la magnanimité. A partir de l’espace où nous sommes, elle nous fait toujours regarder l’horizon. C’est faire les petites choses de tous les jours avec un grand cœur ouvert à Dieu et aux autres. C’est valoriser les petites choses à l’intérieur de grands horizons, ceux du Royaume de Dieu.
Cette maxime donne les critères nécessaires pour se disposer correctement en vue d’un discernement, pour sentir les choses de Dieu à partir de son « point de vue ».

Cette phrase fait partie d’une longue épitaphe littéraire qu’un jésuite anonyme a composée en l’honneur d’Ignace de Loyola. Elle avait tellement plu à Hölderlin qu’il en fit la devise de son Hyperion.

Dieu est caché dans ce qui est petit et dans ce qui est en train de croître, même si nous ne sommes pas en mesure de le voir.

Je me méfie en revanche des décisions prises de manière improvisée. Je me méfie toujours de la première décision, c’est-à-dire de la première chose qui me vient à l’esprit lorsque je dois prendre une décision. En général, elle est erronée. Je dois attendre, évaluer intérieurement, en prenant le temps nécessaire.

Le pape (…) insiste sur une figure connue surtout des jésuites, le bienheureux Pierre Favre (1506-1546), un Savoyard. C’est l’un des premiers compagnons de saint Ignace, à dire vrai le premier, avec lequel il partagea la même chambre alors qu’ils étaient tous les deux étudiants à la Sorbonne. (Dans cette chambre, il y avait un troisième étudiant, François Xavier).

Ignace est un mystique, pas un ascète (…) Le fait de souligner l’ascétisme, le silence et la pénitence est une déformation qui s’est diffusée dans la Compagnie, spécialement dans le milieu espagnol (…) Favre était un mystique.

En 1969, peu avant d’être ordonné prêtre, Jorge Marie (…) écrit une profession de foi personnelle (…) : « Je veux croire en Dieu le Père, qui m’aime comme un fils, et en Jésus, le Seigneur, qui a insufflé son esprit dans ma vie pour me faire sourire et me conduire ainsi au royaume de la vie éternelle (…) Et j’attends la surprise de chaque jour où se manifesteront l’amour, la force, la trahison et le péché qui seront mon lot jusqu’à ma rencontre définitive avec ce visage merveilleux que j’ignore, que je fuis sans cesse, mais que je veux connaître et aimer. Amen ».

Le discernement est ce processus spirituel qui permet de distinguer les élans spirituels qui nous mènent à Dieu de ceux qui nous éloignent de lui (…) Mais cela vaut aussi pour les processus historiques (…) Le discernement spirituel évangélique cherche donc à reconnaître la présence de l’Esprit dans la réalité humaine et culturelle (…) cette attitude ne redoute pas l’ambiguïté de la vie et elle y fait face avec courage.

Est-ce que je place vraiment le Christ au centre de ma vie ? Parce qu’il y a toujours la tentation de penser que c’est nous qui sommes au centre.

Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Eglise aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre et trop haut ! Nous devons soigner les blessures (…) Il faut commencer par le bas.
L’Eglise s’est parfois laissé enfermer dans des petites choses, de petits préceptes. Le plus important est la première annonce : « Jésus-Christ t’a sauvé ! ».

La priorité à considérer ne serait donc pas la faute, mais la souffrance. Et l’attitude de la rencontre non le jugement, mais la sollicitude. L’hôpital de campagne est en même temps une école de discernement pour notre monde (…) L’image de l’hôpital de campagne invite ainsi à quitter la traditionnelle asymétrie qui préside à la relation de soin – et peut-être à une façon d’être en Eglise à l’égard du monde. Il ne s’agit plus de parler du haut d’un savoir, d’un savoir-faire, d’un pouvoir – aussi précieux soient-ils. Il s’agit de descendre.
(Agata Zielinski)

Je rêve d’un Église mère et pasteur. Les ministres de l’Eglise doivent être miséricordieux, prendre soin des personnes, les accompagner comme le bon Samaritain qui lave et relève son prochain.

L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les conséquences morales (…) L’annonce de l’amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l’obligation morale et religieuse.

François est le premier pape issu d’un ordre religieux depuis (…) 1831 (…)
Dans l’Eglise, les religieux sont appelés en particulier à être des prophètes qui témoignent de la manière dont Jésus a vécu sur cette terre, et qui annoncent comment le Règne de Dieu sera dans sa perfection.

La sainteté que le pape aime et dont il se sent proche est la sainteté « moyenne », commune, qui manifeste à la fois beaucoup de patience et beaucoup de constance dans le cheminement au jour le jour. Les icônes de cette sainteté sont sa grand-mère Rosa, la sœur infirmière qui lui a sauvé la vie, le vieux prêtre qui jette un regard en arrière sur sa vie de service. Cette « classe moyenne de la sainteté » n’a rien de médiocre, au contraire c’est elle qui peut se révéler riche et féconde.

Il faut une Eglise qui donne de nouveau de la chaleur, qui embrase le cœur.

C’est la sécurité de se fier à un peuple. Il y a toujours le danger qu’il y ait un fou, un vrai… oui qu’il y ait un fou qui tente quelque chose ; mais il y a aussi le Seigneur ! Mais établir un blindage entre l’évêque et le peuple est une folie, et je préfère cette folie qui consiste à être dehors (…) Quand on va voir quelqu’un qu’on aime beaucoup, des amis, qu’on a envie d’échanger, est-ce qu’on va leur rendre visite dans une caisse de verre ? Non. Je ne pouvais pas venir voir ce peuple, qui a un si grand cœur, derrière une caisse de verre. En voiture, quand on est dans les rues, je baisse la vitre pour pouvoir sortir la main et saluer. Bref, tout ou rien : ou bien on fait un voyage comme il faut le faire, avec la possibilité de communiquer, ou bien on ne le fait pas ; la communication à moitié ne fait pas de bien.

Pour moi, la proximité de l’Eglise est fondamentale. L’Eglise est mère et ni elle ni moi ne connaissons de maman « par correspondance. »

Dieu s’implique, s’immisce dans nos misères, s’approche de nos plaies et les guérit de ses mains et pour avoir des mains, il s’est fait homme. C’est un travail de Jésus, un travail personnel. Un homme a commis le péché, un homme vient le guérir. Proximité. Dieu ne nous sauve pas seulement par un décret, par une loi ; il nous sauve par la tendresse, les caresses, il nous sauve par sa vie, donnée pour nous.

Je ne parlerais pas, même pas pour un croyant, de vérité « absolue », en ce sens qu’est absolu ce qui est détaché, ce qui est privé de toute relation. Or, la vérité, selon la foi chrétienne, est l’amour de Dieu pour nous en Jésus-Christ. Donc, la vérité est une relation ! A tel point que même chacun de nous la saisit, la vérité, et l’exprime à partir de lui-même : de son histoire et de sa culture, du contexte dans lequel il vit etc… Cela ne signifie pas que la vérité soit variable et subjective, bien au contraire. Mais cela signifie qu’elle se donne à nous, toujours et uniquement, comme un chemin et une vie (…) La vérité de Dieu est « inépuisable », c’est un océan dont nous apercevons à peine le rivage.

Il faut une Église qui n’ait pas peur d’entrer dans leur nuit. Il faut une Église capable de les rencontrer sur leur chemin. Il faut une Église en mesure de se mêler à leurs conversations, il faut une Église qui sache dialoguer avec ces disciples, qui quittent Jérusalem, errent sans but, seuls, avec leur désenchantement…

Le pape François veut que l’Eglise soit sel et lumière, tout à la fois « phare » qui éclaire depuis une position élevée et stable, et « flambeau » qui évolue au milieu des hommes, qui les accompagne dans leur chemin semé d’embûches, quelle que soit la direction, pour éviter que la lumière ne soit plus pour beaucoup d’entre deux qu’un lointain souvenir.

Dieu est dans la vie de chacun (…) On peut on doit Le chercher dans toute vie humaine. Même si la vie d’une personne est un terrain plein d’épines et de mauvaises herbes, c’est toujours un espace dans lequel la bonne graine peut pousser. Il faut se fier à Dieu.

Jorge Mario Bergoglio indique une tâche essentielle : reconstruire l’imaginaire de la foi dans une société qui change, où les références symboliques et culturelles ne sont plus celles d’autrefois.

- Alors, Saint Père, la créativité, c’est important dans la vie d’une personne ? Il rit et me répond : «  Pour un jésuite, c’est extrêmement important. Un jésuite doit être créatif. »

La prière est toujours pour moi une prière « mémorieuse », pleine de mémoire, de souvenirs…

Les premières photos qui furent diffusées de lui après son élection le montraient dans un wagon de métro, un bus, ou attablé dans un petit restaurant de Buenos Aires. Et sa première interview en tant que telle est publiée par des revues « culturelles » et non dans une savante publication théologique (…) L’usage qui est fait du média actuellement à la mode, Twitter, qualifie les propos tenus : ce sont des gazouillis qui doivent être reçus comme tels et qui pourtant ont une toute autre portée que « les petits règlements de compte entre amis » qui sont formulés ordinairement par cet outil. Le chant d’un oiseau n’est-il pas ce qui peut donner du prix à toute une journée ?
(Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers)

Le pape, d’abord un pécheur ? Si l’on y prête vraiment attention, ces quelques mots sont d’une force inouïe. En effet, le pape, en se présentant ainsi dans son humanité, s’expose sans détour au regard des autres pour assurer, d’emblée, la relation à ce niveau d’égalité avec chaque personne (…)
N’est-ce pas à un traître et un assassin que l’Eglise primitive fut confiée ?
                                                            (Isabelle Le Bourgeois)

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