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vendredi 26 juin 2015

« Les massacres de la révolution culturelle » (2002) Textes réunis par Song Yongyi

… en 1968 des violences et des massacres furent perpétrés après la mise en place des comités révolutionnaires et au nom du nouvel appareil d’Etat (…) les assassins qui avaient abusé de la violence et les auteurs de tueries sanglantes étaient pour la plupart des militaires, des miliciens armés et des apparatchiks du Parti…

(…) environ 48 000 membres du Parti étaient des assassins.

(…) les « cinq espèces noires », également appelées « cinq catégories noires », elles désignent les propriétaires fonciers, les paysans riches, les contre-révolutionnaires , les mauvais éléments et les « droitiers ». Un « droitier » est un individu faisant preuve d’une sensibilité politique trop bourgeoise selon les critères maoïstes.

Selon les statistiques, 0,5% de la population fut tuée, soit environ trois millions de personnes !

En août 1966, la « destruction des quatre vieilleries » (vieilles idées, culture, coutumes et habitude) par les Gardes rouges de Pékin entra dans un phase de fureur.

(…) le 18 mars 1967, partout dans les rues était affiché l’avis publié par le comité de contrôle des Affaires militaires du bureau de la Sécurité publique (plus connu sous le nom d’ « Avis du 18 mars ») qui stipulait que onze espèces d’individus et leur famille devaient être déportées à la campagne. L’expression « onze espèces d’individus », qui entra rapidement dans le vocabulaire courant, désignait : les propriétaires terriens, les capitalistes, les membres de bandes de malfaiteurs, les contre-révolutionnaires, les mauvais éléments, les officier réactionnaires, les policiers et gendarmes fantoches, et les espions.

La Révolution culturelle fur officiellement lancée le 1er mai 1966. Dans les premiers jours du mois de juin, les organisations de Gardes rouges, fortement imprégnées d’idéaux féodaux, firent leur apparition dans les écoles secondaires. On les appela par la suite les « vieux gardes rouges ». Pour adhérer au groupe, il fallait être issu d’une famille influente (…) Dans les établissements scolaires, ils tabassèrent les directeurs et les enseignants et, non contents de « mettre en pièces » le « système éducatif réactionnaire », orientèrent leur surplus d’énergie contre la société en lançant le mouvement de « perquisition et confiscation ».

Le 18 août, Mao Zedong accueillit les « vieux Gardes rouges » sur la place Tian’anmen.

Après le « 18 août », la notoriété des Gardes rouges ne cessa de grandir. Leur ignorance, leurs préjugés et, de plus, le pouvoir illimité qui leur avait été conféré les ravalèrent au rang de bêtes sauvages et anéantirent leur conscience. Les « perquisitions » consistaient à pénétrer chez les gens, à confisquer leurs biens et à les détruire.

A Dongsi, un vieux couple de « capitalistes » fut frappé jusqu’à l’agonie par les Gardes rouges qui, ensuite, forcèrent son fils à prendre le relais ; Ce dernier, élève dans un lycée, brisa le crâne de son père à l’aide d’haltères puis sombra dans la folie.

Plusieurs milliers de collégiens portant treillis, les armes à la main, montèrent dans des bus spécialement affrétés par l’Etat et convergèrent vers le quartier où avait eu lieu l’incident. Le  « nettoyage  par le sang » y dura sept jours. Beaucoup de gens furent sauvagement tabassés et un bon nombre mourut de mort violente.

(…) on obligea chaque famille des environs à verser, par le col du chemisier d’une veuve vivant seule, une Thermos d’eau bouillante jusqu’à ce que sa peau tombât en lambeaux.

Les Shao (…) avaient entreposé chez eux de grandes quantités d’huile de sésame et de sucre blanc. Les Gardes rouges contraignirent les membres de cette famille à ingurgiter l’huile et à ingérer le sucre.

D’abord, on enfermait ensemble ceux qui devaient être exécutés. Ensuite, on les faisait sortir, un à un, pour les liquider. Ceux qui se trouvaient encore à l’intérieur ne savaient rien du sort qui leur était réservé.

(…) époque où la lutte des classes battait son plein et où on demandait aux enfants de « riches propriétaires terriens » de frapper leurs parents. On couvrait de louanges ceux qui dénonçaient les « crimes » de leur père ou de leur mère et on les récompensait en les invitant à visiter le grand hall de l’Assemblée nationale populaire.

L’éducation qu’avaient reçues les « vieux Gardes rouges » et la propagande dont on les gavait relevaient toutes deux du principe suivant : « une classe doit en opprimer une autre. » Ils trouvaient donc naturel de persécuter, voire d’exécuter, les « ennemis de classe » et leurs rejetons.

Le 15 septembre 1966, Mao Zedong accueillit pour la troisième fois les Gardes rouges sur la place Tian ‘anmen. Lin Biao leur annonça : « Soldat Gardes rouges… les grandes lignes de votre lutte sont globalement justes. Le président Mao et la direction du Parti vous soutiennent ! (…) Tous ces dirigeants qui ont emprunté la voie capitaliste, toutes ces soi-disant sommités réactionnaires de la bourgeoisie, les vampires, les parasites, ont tous été exterminés grâce à vous. Vous avez agi avec justesse et talent ! ».

Les hommes de Daxin éliminèrent d’abord les plus jeunes des « cinq espèces noires », dans le secret le plus absolu afin de prévenir d’éventuelles émeutes. Puis ils tuèrent les plus vieux (…) Enfin les nourrissons étaient le plus souvent tranchés en deux.

(…) les cadres d’une brigade du village de XIliangge (…) doutant des ordres donnés lors de la réunion, se rendirent la nuit même (…) au comité de la municipalité de Pékin pour demander une entrevue avec les autorités, afin de savoir si ces décisions n’étaient pas contraires à l’esprit insufflé par le gouvernement central.

(…) à Dongliangge, on avait enterré quelqu’un vivant…

Lorsque nous faisions la queue pour entrer dans la cour, nous voyions des hommes vivants, ligotés et agenouillés et des cadavres étendus sur le sol, baignant dans leur sang (…) Ceux qui nous interrogeaient, les yeux injectés de mépris, étalaient leur puissance, tenant chacun dans une main un gourdin…

Les deux fils de la famille Chen implorèrent à genoux : « Ne nous tuez pas ! Nous ne vengerons pas notre père. » Sans lui laisser le temps de s’expliquer, un nommé Tian tua toute la famille à l’aide d’une masse à cochon. En fait, celui-ci avait contracté une dette auprès de cette famille et, en l’éliminant, il n’était plus obligé de l’honorer. Certains, à qui les « cinq espèces noires » avaient prêté des biens, s’empressèrent de les tuer pour ne pas avoir à les restituer. Pis encore, d’autres mirent la main sur leurs épouses et donnèrent à cet acte le doux nom de « changement de position sociale. »

Certains, également, tendaient un câble électrique devant la porte et quand la personne sortait, elle recevait une décharge. La famille était exterminée sans la moindre entrave.

A Macun, une grand-mère et son petits-fils furent enterrés vivants. Lorsque le meurtrier commença à jeter de la terre sur eux, le jeune enfant enfoui dans les bras de sa grand-mère cria : « Mamie, j’ai de la terre dans les yeux. » La vieille dame lui répondit, impuissante : « La douleur cessera dans un instant. »

Comme l’armée avait reçu l’autorisation de « soutenir les gauchistes » et que le gouvernement central se gardait bien de lui dire qui ils étaient, elle se fiait à son propre jugement. 

Dans tout le bourg, on pouvait lire le slogan suivant : « Exterminons définitivement les « quatre catégories noires » (propriétaires terriens, réactionnaires, paysans riches et intellectuels) et préservons pour l’éternité toutes les générations rouges du pays (ouvriers, paysans « pauvres et moyen-pauvres »…) »

L’esprit candide, Jiang Xiaochu s’en vint défendre ses proches auprès de la brigade, en citant les propos de Mao Zedong : « Nul n’est responsable de son origine de classe car chacun a le pouvoir de choisir sa voie ». Il fut, à son tour, emprisonné et, comme les autres captifs, condamné à mourir.

Beaucoup d’autres résidents du district de Dao travaillant dans d’autres régions furent piégés par de faux télégrammes qui les priaient de « Revenir vite car mère malade »…

Les habitants de Dao n’osaient plus boire l’eau de la rivière, souillé qu’elle était par les cadavres. Le prix de l’eau vendue auprès des cinq puits de la ville se mit à flamber et ces points de ravitaillement furent pris d’assaut par la population.
Dans les rues, on pouvait lire le dazibao suivant : « Buvons l’eau de la rivière au nom de la révolution ! » Certains révolutionnaires forcenés appliquèrent ce slogan à la lettre.

On attend toujours que les dirigeants en place et les historiens concernés fournissent aux contemporains et aux générations futures des explications claires et concises quant à ces massacres. Cependant, plus de trente ans se sont écoulés et la population reste étonnamment muette, comme si rien ne s‘était produit, comme si tout cela n’était qu’une légende lointaine.

Au printemps de 1985, à propos des raisons qui avaient motivé son crime, un assassin déclara sans la moindre hésitation : « C’étaient des ennemis de classe et ils nous exploitaient (…) Comment le président Mao aurait-il pu se tromper ? »
Un autre criminel répondit plus simplement : « Quand mon chef me sommait de tuer, je le faisais et je le ferais encore s’il me le demandait aujourd’hui. »

Ce qui est curieux, c’est que des individus furent arrêtés et condamnés non pas parce qu’ils avaient dirigé les tueries pendant ce mois d’août sanglant ou tué de leurs propres mains un certain nombre de gens, mais parce que, malgré l’ordre explicite d’arrêter les massacres abusifs, ils n’en firent qu’à leur tête et continuèrent à commettre des crimes effroyables.

« Du début des massacres jusqu’à leur fin, aucun supérieur ne m’avait dit que tuer était un crime. On disait que la rébellion était juste et que la révolution n’était pas un délit ; on faisait confiance aux masses et on respectait leur esprit créatif… je ne pouvais pas devancer l’époque… »

Beaucoup de jeunes garçons et de jeunes filles de milieu aisé se jetèrent ainsi dans la révolution et rompirent les liens avec leur riche famille. Pendant la réforme agraire ou pendant la répression des contre-révolutionnaires, ils envoyèrent même leurs propres parents à l’abattoir afin de prouver leur radicalisme. Ces cas n’étaient pas rares.

Il arracha un sabre des mains d’un milicien, le brandit puis, sans cligner de l’œil, d’un seul coup, trancha la tête de sept personnes. La lame étant un peu émoussée, le sabre vint buter contre le cou de la huitième. Il se mit à jurer puis, comme s’il ameublissait la terre avec une binette, lui défonça le crâne. Il était couvert de sang de la tête aux pieds.

Il pénétra dans la maison de la famille qu’il avait désignée et, sans prononcer la moindre parole, tua d’un coup de gourdin l’aîné, celui-là même qui lui avait ouvert la porte. Le deuxième frère, apeuré, s’enfuit en courant. Hu le rattrapa, le souleva et le tua en le projetant violemment sur le sol. Il sortit le petit dernier du berceau et (…) attrapa l’enfant par les pieds, le jeta sur le sol du plus fort qu’il put. Le crâne éclata et la petite cervelle sanguinolente éclaboussa ses jambes.

Ce jour-là Hu Maochang reçut une prime de cinquante-cinq yuans, soit bien plus que ce qu’il avait obtenu en « point travail » au terme de l’année écoulée.

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