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mardi 27 janvier 2015

« Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive » de Christophe Donner (2014)

« Oui ! Moi, Jean-Pierre Rassam, je vais te dire ce qui se passe dans la tête de Godard. Jean-Luc est devenu fou. Ravagé par la célébrité, pourri par les mondanités. Son film est désespérant, à pleurer, il ne poursuit qu’une seule idée : ne pas être compris. Parce que c’est le chic suprême ! Et le meilleur moyen de ne pas être compris, c’est de n’y rien comprendre soi-même : compter sur le hasard des rimes et des allitérations pour provoquer chez le spectateur une sorte de compréhension fortuite, miraculeuse, évidemment illusoire. Fuir le sens, et tout ce qui pourrait ressembler à une explication simple, honnête (…) Les dévots sont des veaux ! Révoltez-vous contre Godard, merde ! »
Demain, Rassam soutiendra le contraire. Ça n’a aucune importance. Le pour et le contre sont d’égale valeur. Seule compte sa propre faculté de convaincre.

A Cannes (…) la révolution est en marche (…) Avec le mélange d’engagement révolutionnaire désespéré et la distance humoristique qu’il convient de prendre vis-à-vis de tout mouvement de masse, par essence vulgaire, Godard trouve les mots justes : « Nous avons conquis en trente secondes le Palais du festival et nous n’en sortirons que par la force des esquimaux Gervais ! »

En désespoir de cause, Rassam va trouver Orson Welles :
-       Parlez, Maître ! Sinon Forman est foutu.
-       Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive.

Godard triomphe. Polanski n’a jamais beaucoup apprécié le réalisateur d’A bout de souffle, jamais été sensible à son amateurisme revendiqué, mais de le voir déguisé en substitut du procureur de cette république des films révolutionnaires, ça lui ôte définitivement tout respect.

A la Sorbonne, où il croyait retrouver la même adulation de sa personne que sur les campus des universités américaines («We want God - art !»), il découvre un graffiti sur les murs : « Godard, le plus con des Suisses prochinois. » Il comprend que ce mouvement ne sera pas son Guernica, et dans ces conditions, il vaut mieux prendre ses distances.

En 1930, Gulbekian s’est permis de négocier directement avec l’Etat soviétique exsangue le rachat de quelques-uns des plus précieux trésors du musée de l’Ermitage, des Rembrandt, des Titien, des Raphael. En deux décennies de shopping, Gulbekian a constitué ce que Maurice Rheims considérait comme « la plus grande collection d’art de la planète. »

(Rassam à Berri :)
Non, je t’ai vu, le premier soir, comment tu mangeais tes profiteroles. Tu ne profites pas. J’ai cru qu’Anne-Marie arriverait à te décoincer. Impossible. Et je t’ai vu à Cannes, tu prends tout au sérieux. Regarde : moi, depuis la mort d’Annie, tu crois que je suis heureux ? Pas une seconde. Je suis triste comme les pierres, ça ne m’empêche pas de m’envoyer des putes entre deux lignes de coke, je profite, c’est pas plus compliqué que ça.

(A Prague, lors de l’invasion soviétique en 1968 :)
-       On fait une chose im-por-tante ! Et tant pis si on se fait tuer. Et c’est pas grave si ton film est nul.
-       Il n’est pas nul.
-       T’as raison. Un film, c’est jamais nul. Ce sont les films qu’on ne fait pas qui sont nuls.

(A New York)
Les mecs font des films comme d’autres font de la musique, des bœufs sur le toit, dans les appartements, partout, ça tourne, ça fume, ça cause, tout le monde est jeune et défoncé à mort, raconte Rassam, on peut faire du fric et être à l’avant-garde, déjanté, artiste, révolutionnaire. J’ai toujours été new-yorkais, en somme.

(Rassam à Berri :) 
-       Si Arlette avait été là, elle t’aurait dit : « Il ne suffit pas d’être autobiographique pour être sincère. » (…) Maurice aurait ajouté : « Il ne suffit pas d’être sincère pour avoir du talent. »
-       C’est aussi ce que tu penses, Jean-Pierre ?
-       Je pense que personne n’a encore réussi à se mettre soi-même en scène, au cinéma. C’est trop difficile (…) tu veux être toi-même te filmant en train d’être toi-même. C’est de la folie. Il faudrait que tu saches comment les gens te voient. Personne ne sait faire ça. A part Borges. Et parce qu’il est aveugle. On ne peut pas savoir comment les gens nous voient, sinon, on deviendrait fou. Ceux à qui ça arrivent, ils se suicident.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Rassam monte sa société, Vicco Films. Il loue des bureaux sur les Champs-Élysées, prend une chambre au Plaza Athénée, car c’est là qu’est l’argent, au bar, où il croise en effet tout ce que le monde arabe connaît d’émirs et de sultans en mal de distractions. Il leur annonce la couleur :
-       J’ai un projet avec Godard.
La phrase magique. Il ne sait pas quel film produire avec Godard, mais il va le produire.

(Berri à propos de Rassam :)
Est-ce que je dois accepter de me faire cracher dessus par ce révolutionnaire de salon ce fils à papa c’est facile pour lui de faire des films des bides des Godard il s’en fout de perdre du fric papa sera toujours là pour laisser une valise de dollars avant de repartir dans ses champs de pétrole toujours un émir pour lui laisser un chèque de la Ligue arabe au bar du Plaza…

Les professionnels se frottent les yeux : qu’est-ce qui se passe ? Qui est ce type que personne ne connaît, qui n’a pas fait d’école de cinéma, n’a pas été l’assistant de Braunberger pendant vingt ans, n’a pas siégé dix ans à la commission d’avance sur recettes, n’a pas déposé le bilan sept fois dans sa vie avant de parler, ce type qui a tout juste trente ans et sort de son chapeau deux films en même temps, comme ça, clac et clac, et avec des salles pourries, une campagne publicitaire improbable, une critique partagée, très partagée, arrive deux fois en tête du box-office ! Qui est cet énergumène ?

Le Fonds de soutien… Mais on sait pertinemment qu’il y a des combines, certains membres octroyant des avances à des maisons de production dans lesquelles ils ont eux-mêmes un projet en préparation. Toutes les configurations de conflits d’intérêt sont possibles, du copinage à la corruption pure et simple. Je suis le seul à le dire ouvertement, parce que je suis le seul à pouvoir me passer de ce système pervers.


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