Pris dans l’étau Écho, notre vocabulaire s’est réduit à l’os. Chacun s’exprime à l’économie : il gère ses enfants, investit un lieu, s’approprie une idée, affronte un challenge, souffre d’un déficit d’image mais jouit d’un capital de relations, qu’il booste pour rester bankable et garder la cote, en jouant gagnant-gagnant. Son oui à une invitation à déjeuner est un « vendu, j’achète »…
L’économie est une vulgate où
l’endoctrinement s’appelle « explication », laquelle n’est pas une
heure d’instruction religieuse par semaine mais une catéchèse quotidienne et
cathodique. Toujours plus de décryptages, « caps sur l’information »
et sagas attenantes. Une seule devise pour ces émissions à venir : « De
la pédagogie, pas d’idéologie ». Comme tous les idéologues, l’économiste
attitré déteste les idéologies. Il est, lui, dans le réel.
Le professionnel absorbe le
vocationnel ; le contrat, la mission ; le job, le hobby. Là où on
espérait, on escompte. Le bénévole tourne au zozo.
Les armées ont perdu depuis 1989
les deux tiers de leurs effectifs. Plus qu’un dégraissage, c’est un délitement
par rabattement de l’institution sur le modèle « entreprise »,
affectant surtout l’armée de terre, où l’on parle dorénavant en termes de « contrats
opérationnels » (…) Les sociétés militaires privées ont déjà été testées
face à la piraterie. La sécurité en mer et la maîtrise des océans, espace
traditionnel de déploiement des puissances régaliennes, seront désormais entre
des mains mercenaires.
Ne parlons pas de l’extravagante
ruée vers l’art, domaine d’activité où au Salon a succédé la Foire, Bâle,
Cologne, Chicago, à la salle d’exposition, le showroom, et à l’émotion, le bon
placement ; où de francs businessmen come Damien Hirst ou Jeff Koons
tiennent le haut du pavé ; où le duopole Sotheby’s et Christie’s régule le
système des trois M (Marché-Musée-Média).
Le dressage commence tôt :
dès la classe de troisième, où le stage en entreprise est une obligation, pour
que la business school, où les plus
compétitifs iront après leur bac, ait affaire à des catéchumènes bien
prédisposés.
Aussi un chasseur de têtes
figure-t-il parmi les trois membres permanents du jury de l’ENA, pour apprécier
le potentiel d’adaptation des candidats à l’économie de marché.
Le commun est en surplomb ou
n’est pas. Il se trouve que les hommes ne peuvent s’unir qu’en quelque chose
qui les dépasse.
Stressante et ressassante, l’info
continue bombarde de mauvais chiffres et de faux évènements des individus à
l’épiderme d’autant plus vulnérable qu’il est privé d’isolant ou d’armure, à
défaut de cette couche immunisante et protectrice que procure à leurs adeptes
une doctrine, une foi ou tout simplement une conviction.
« Il faut épouser son
temps », lança un jour Daumier à son ami Ingres, qu’il jugeait pour trop
madérisé. « Et si le temps a tort ? » lui répliqua ce dernier.
Bonne question, que ne doivent surtout pas se poser les élus du suffrage
universel, qui ne peuvent que préférer avoir tort aujourd’hui que raison le
lendemain. Pas le choix : les élections sont au coin de la rue.
Un gage de réussite, savoir
s’adapter aux circonstances ? Ni la République, ni la Résistance n’ont été
des faits d’adaptation, et le socialisme encore moins. S’adapter, en 1940,
c’était collaborer.
Comme si un mondialisation
techno-économique pouvait engendrer à elle seule une culture commune et
pourquoi pas une gouvernance mondiale, comme si une connexion internet
suffisait à créer un lien de fraternité.
Il arrive en effet que le
business ne fasse pas le bonheur, et qu’on ait besoin, en point de fuite, de
grandes choses inutiles.
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