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lundi 28 avril 2014

« Artistes sans art ? » de Jean-Philippe Domecq (1999, 2005)

(…) le milieu international de l’art n’a pas besoin de liberté, de débat, pas besoin de regard critique. Tout ce qu’il lui faut, c’est qu’on le laisse maintenir à leur haute cote les œuvres en lesquelles il a investi. Et il a tous les moyens de maintenir la situation, de la faire perdurer suffisamment pour qu’à la fin, ayant empêché l’émergence de tout autre type d’œuvres, les générations à venir concluent que ç’aura été cela, finalement, la seconde moitié du XXè siècle.

Aujourd’hui encore, il reste très difficile de parler de l’art du siècle qui s’achève si l’on décide de l’apprécier sur pièces autant que sur ses intentions et non plus sur celles-ci avant tout.

Harold Rosenberg a depuis longtemps donné formule à cette trop schématique opposition : nous avons vécu, et avons assez abusé, de la tradition du nouveau.

(…) un réfrigérateur trônant sur coffre-fort – salle précédente : l’art c’est la vie en caractères d’enfant sur tableau noir – salle suivante : une toile fendue au rasoir, à côté d’une autre fendue au rasoir mais pas dans le même sens, à côté d’une autre fendue mais pas dans le même sens non plus (…) Plus loin sur une stèle : une boîte intitulée « Merde d’artiste », signée, datée, payée. Puis trois salles largement dégagées : des petits carrés de peinture d’identique format tous les trente centimètres, blancs dans la première salle, rouges dans la seconde, et noirs – noirs - dans la dernière (…) Mais comment ne pas imaginer le sourire de l’étudiant du vingt et unième siècle découvrant, au fin fond d’une médiathèque, les photos des œuvres que je viens d’échantillonner ? S’il n’y avait qu’elles… mais les écrits, les écrits qu’il a fallu pour que ces hallucinations aient force de réel…

Car, en aucun marché plus qu’en celui de l’art, les mots, la pensée esthétique, ne comptent autant. Pas d’argent gagné sur le marché d’art sans caution critique – autrement dit : la spéculation financière sur les œuvres dépend de la spéculation intellectuelle qui a les a promues.

Et puis pour rester fidèle à la logique théorisée par Bernard Venet : si la libération des a priori consiste à en finir avec la forme élaborée, pourquoi parle-t-il d’« œuvre » dans le cas de son « travail », et pourquoi se désigne-t-il comme « artiste » ? Qui dit « œuvre », dit élaboration, à partir d’un matériau ; et qui dit « artiste » dit intervention d’un certain faire sur ce matériau, quel qu’il soit. S’il s’agit de liberté, pourquoi Bernard Venet ne se libère-t-il pas aussi de ces notions, plutôt traditionnelles, d’ « œuvres » et « d’artiste » ? (…) S’il se libérait de l’autodécret qui le fait artiste, il n’aurait pas droit au musée, pas voix au chapitre. Et s’il n’avait plus voix (d’où son mot de « discours », qui est un des termes les plus usités par les artistes-théoriciens qui existent par cette vulgate), il n’aurait plus droit d’exposer. Pour la bonne raison que cette avant-garde a beau tendre à supprimer l’oppressante barrière entre la vie et l’art (autre préjugé théoricien constitutif de la vulgate), entre l’intérieur et l’extérieur du musée, la même avant-garde n’existe que parce qu’elle préserve cette délimitation minimale qui permet de se présenter comme « artiste », de parler d’ « œuvre », d’« art », d’« anti-art ».

Mieux vaudrait appeler « auto-artistes », cette catégorie d’individus, actuellement très fournie, qui ont tiré toute une carrière du geste par lequel Marcel Duchamp, en intronisant l’Urinoir comme objet de musée, avait signifié que l’acte artistique commence toujours par désigner à notre attention un objet, un sujet du réel. Mais cela n’est qu’une phase de l’initiative créatrice : la phase du choix qui prélude à la formalisation artistique. S’en tenir à cette phase préalable, et cela 75 ans après le geste ironique de Duchamp l’iconoclaste, c’est gérer la dérision – antinomie dans les termes.

Il est vrai qu’il n’y a pas d’indigence pour le minimalisme, par définition, car l’indigence voulue en est-elle encore une ? Non : elle est minimale…

Si l’intention envahit le champ du jugement esthétique, alors en effet tout peut se démontrer en toute cohérence et tout peut être art.

Lorsque le théoricien est complètement satisfait par une pièce d’art, il y a lieu de s’inquiéter pour elle, car cela veut dire qu’elle colle exactement aux mots dont il l’entoure. Or, quoi qu’on dise aujourd’hui, une œuvre digne d’attention a toujours outrepassé les commentaires qui l’ont précédée et suivie.

(…) proposer une forme de critique qui confronte son effort philosophique, sa tension conceptuelle, au concret de l’œuvre. Sachant que l’œuvre forte est précisément celle dont toujours quelque chose échappe à ce que d’elle les mots de la pensée ont pu saisir.

Peut-être est-on arrivé à une fin de cycle qui devrait prochainement permettre de réévaluer la valeur esthétique interne à l’œuvre de Picasso, que jusqu’à présent on a peu distinguée de sa valeur incontestablement libératrice pour l’art pictural dans son ensemble.

Qu’est-ce qui a justifié que l’art, à chaud, se soit mis à susciter de tels espoirs de rentabilité ? Y eut-il à cela quelques raisons spécifiquement artistique ? Il faudrait en conclure que l’art ces années-là serait tout à coup devenu « meilleur »… Même le moins cultivé des investisseurs sait qu’il n’y a pas de progrès en art.

(…) le fin spéculateur d’art contemporain, qui savait que (…) si là était l’art de notre temps, ce temps serait des plus brefs. D’aucuns jugent ce genre de jeu cynique. Comprenons qu’il puisse exciter. Il ne manque pas de sel en tout cas lorsqu’on pense à la sueur des chroniqueurs d’art qui eux pendant ce temps, pour mille fois moins d’argent, continuent à défendre bec et plume des œuvres et anti-œuvres dont ils croient que seuls les bourgeois les méprisent – quand, au contraire, ce sont ceux qui méprisèrent Manet qui aujourd’hui respectent Warhol.

… le discours sur l’art prime sur les œuvres comme jamais dans l’histoire.

Autant d’ « œuvres » qui n’ont pas fait plus qu’illustrer le discours critique qui les justifiait.

(…) un objet d’art toujours fut censé valoir plus que son projet intellectuel. Sans quoi, qu’est-ce qui justifie son existence à côté du projet ? Sans quoi effectivement il apparaît pour ce qu’il est : de la théorie appliquée.

Le plus drôle, si l’on peut dire, est que la même année 1990 vit un autre événement pictural qui confirme que les hommes décidément trouvent et trouveront toujours moyen d’être aveugles à l’art qui naît sous leurs yeux. Cette année-là, il y eut, au plan des célébrations artistiques mondiales, outre Warhol… Van Gogh – excusez du peu, le rapprochement est d’époque (…) Van Gogh passa inaperçu pour une raison symétriquement inverse de celle qui fait qu’au XXè siècle Warhol n’est pas passé inaperçu.

Cette fois l’élite de l’opinion esthétique ne se fera pas dire qu’elle a laissé passer Van Gogh et tant d’autres. Aussi est-elle prête à accueillir toute nouveauté, toute nouveauté a priori lui paraît significative. C’est la néophilie

Déjà avec Malevitch et son carré blanc sur fond blanc, à moins que ce soit le contraire, en tout cas avec ça on croyait avoir touché le fond, mais non, il y avait mieux : vous matraquer de sérigraphies infinies les images publicitaires les moins inventives et les moins évitables…

… comme les bourgeois du XIXè abêtis par le conservatisme esthétique, nous l’aurons été par néophilie systématique.

Comment l’ineptie Warhol peut-elle encore faire illusion, 25 ans après son « apparition » ?

Oui, personne l’an dernier n’eût osé dire que la rétrospective Warhol l’avait assommé d’ennui (…) je fus le seul à longer en moins de six minutes et demie les Marilyn à cent exemplaires, les Lizes, Maos, Campbell’s soup, etc… (…) Qu’une foule ait défilé pieusement devant pareils chefs-d’œuvre, cela restera comme une des grandes images d’endoctrinement culturel de notre temps.

On aura reconnu, dans ce genre de rhétorique, un des préjugés d’opinion esthétique qui font toute l’incompétence de la critique d’art dominante, un de ses lieux communs à pur effet de logique (…) soit : le faux paradoxe, la contradiction soulignée pour apparemment la surmonter, en fait l’inverser terme à terme, sorte de manichéisme à rebours, qui permet par exemple d’affirmer que : si ça a l’air de, c’est que justement ça n’est pas ce que ça a l’air d’être. Inversement : ça n’a pas l’air d’être de l’art, mais personne ne peut dire ce qu’est l’art, donc ça remet en cause les fondements de l’art. Application : Warhol ne fait pas de l’art, mais il le fait dans le champ de l’art, donc il « interpelle » l’art (garanti d’époque). Autre condensé d’époque : Warhol nous signifie que ce qu’il fait ne vaut rien, mais justement, c’est en artiste qu’il le dit, donc « ça pose question » à l’art.

(…) quel intérêt financier avaient les journaux à servir la soupe aux grands marchands, directeurs de musée et collectionneurs internationaux ? Aucun (…) Confortablement assis derrière leur bureau, jouissant de la possibilité de passer sous silence leur moindre contradicteur, ils étaient parfaitement libres de juger. Que les marchands vendent du vent tant qu’on les y encourage, quoi d’étonnant à cela : ce ne sont ni plus ni moins que des marchands ; Au moins risquent-ils leur fric. Mais que la presse, instrument de liberté, soit leur dupe, leurs relais… (…) Et puis, à la décharge des journalistes, pourquoi auraient-ils été plus lucides que les critiques d’art patentés qui, depuis que Leo Castelli, le king des galeries new-yorkaises, a promu Warhol, ont tout fait pour entretenir et perpétuer la bonne affaire ?

(…) ce dandy d’Andy avait craché le morceau : « Acheter est bien plus américain que penser, et je suis aussi américain que les autres. »

(…) analyse l’œuvre de Warhol à partir de la division du travail pratiquée par les publicitaires, ce qu’était Warhol à l’origine…

Ajoutez la loi du milieu à celle des générations : un grand journaliste ne touche pas à un grand critique d’art, on n’attaque que les jeunes et sans nom.
Étant entendu que tout cela s’opère en toute inconscience de cause. Le consensus d’élite opère à l’autosuggestion, sans qu’il y ait besoin de concertation (…) Tel sera en effet le constat obligé de l’étudiant de 2010 qui d’aventure aura à recenser les ouvrages et comptes rendus parus à l’occasion de la rétrospective : la proportion de paragraphes parlant vraiment des tableaux est de l’ordre de un centième.

Bêtise, oui, je persiste : parce qu’il y a beaucoup de bêtise à voire tant de pensée dépensée pour des choses aussi nulles.

Le ready-made de Duchamp a décidément une postérité malheureuse. Il n’aurait jamais dû cesser d’être pris pour ce qu’il fut à l’origine : une manière iconoclaste d’interroger l’art, de demander ce qui distingue l’art du reste des productions humaines. A partir de là malheureusement, depuis 1914, date du porte-bouteilles duchampien, des générations d’artistes et de théoriciens cherchèrent la réponse dans un perpétuel jeu à la limite entre art et non-art : pousser l’art le plus loin possible vers ce qu’il ne fut jamais, pour voir jusqu’où on pourra encore parler d’art.

Aussi loin qu’on remonte, l’histoire de l’art impose une évidence dont la lignée avant-gardiste du XXè siècle, depuis le cubisme, s’est détournée, pour sa perte : ce constat d’évidence qu’impose l’histoire de l’art, c’est que toujours les œuvres fortes ont dépassé les principes esthétiques qui leur ont servi de tremplin.

« Le tableau est rassemblement de structures, un fruit structurel » (un fruit structurel). « Mais étant il implique plus un monde qu’une structure ». Tout comme ça. On n’a qu’à vérifier dans le catalogue Dunoyer.
Heureux les prétentieux, il y a foule à leur secours…
(…) A un moment dans son Entretien, Dunoyer évoque l’artiste Robert Ryman, avec « tout le respect » qu’il a « pour son œuvre », tout en lui reprochant de ne pas la « différence fondamentale entre la totalité des étants et l’étant privilégié qu’est le tableau ». Bon. Quelques semaines plus tard, la chance nous est offerte de voir les œuvres de Robert Ryman au nouvel Espace d’art contemporain ouvert par Claude Berri, « près de chez Lacan » ne manquèrent pas de signaler certains. Et là, dans ce grand et clair espace, qu’est-ce qu’on voit ? Des toiles blanches (…) J’ai vu un jeune homme assis sur une des banquettes, avec l’air de la réflexion la plus intense devant une toile blanche. On se dit qu’il y a une folie vraiment de notre siècle dans ce qu’on nous a présenté comme art moderne.

L’idée que Buren a passé sa vie à faire n’importe quoi et à nous l’imposer (trois volumes de ratiocinations représentent toute la stratégie qu’il a su déployer pour nous refiler ses bandes) l’effleure si peu que, parlant de ce qu’il fait, il emploie jusqu’à satiété le mot de « travail », qui revient comme une litanie du temps où il fallait absolument démontrer que le travail culturel présentait un front de classe commun avec le travail ouvrier (…) Buren devrait même passer à la postérité sous forme d’un prix Buren destiné aux écoles de commerce, pour avoir mieux que personne confirmé qu’un bon vendeur c’est celui qui vend du vent.

Et refuser « le pouvoir ne profite en fin de compte qu’au pouvoir lui-même ». Buren usera toujours de cette grosse ficelle. Le Palais-Royal est au bout.
On comprend, à partir du texte que nous venons de citer comment Buren y arrivera. En moulinant sans relâche le même corporatiste discours sur l’oppression orchestrée par les directeurs de musée. Surtout français, puisqu’ils ont tardé à l’accueillir, et Dieu sait s’il le ressort (…)

Buren s’est placé, ou retrouvé, à la croisée de deux rhétoriques dissuasives, apparemment contradictoires : la rhétorique terroriste soixante-huitarde et celle de la dissuasion consensuelle. Il est vrai que du faux dur au vrai mou, il y a continuité de fond.

Loin de nous ouvrir les yeux sur le monde, Buren nous oblige à voir une marque, la marque Buren…

Et jamais ceux qui tiennent le discours sur l’art, les chroniqueurs, commentateurs et critiques n’eurent plus de poids qu’au XXè siècle, où la part du discours sur l’art a primé sur les productions de l’art.

(…) souvenons-nous que la notion d’avant-garde vient du vocabulaire politique, via le credo révolutionnaire…

(…) pour qu’il y ait réaction, il faudrait qu’il y ait progrès – et qu’est-ce que vient faire le progrès en art (…) Nous sommes bien en présence de l’intégrisme progressiste auquel le siècle a sacrifié en maints domaines.

Au lieu que ce fût le jury du Salon d’Automne, qui choisissant les œuvres à exposer, portât seul la responsabilité de la censure, Napoléon II décida qu’on laisserait le public juge, en lui montrant les Refusés à côté de la sélection officielle. Napoléon III savait ce qu’il faisait, lui dont le coup d’Etat antiparlementaire avait été massivement approuvé par référendum, autrement dit par « réflexe » populaire antipolitique. Sachant que le petit peuple avait voté pour le coup d’Etat plus massivement encore que les bourgeois qui allaient prospérer comme jamais sous l’étouffoir conservateur du Second Empire, le pouvoir pouvait sans risque gager que « les gens » - comme disent les idéalistes et les démagogues » - refuseraient les Refusés deux fois plutôt qu’une, et cette fois sans qu’on pût parler de censure.

On confond l’égal droit d’expression de toutes les opinions avec une égalité de pertinence entre ces opinions (…) il est manifeste qu’aujourd’hui l’expression d'une hiérarchie est a priori taxée d’intolérance.

Etant donnés l’intimidation des esprits et la servitude volontaire qui sévissent dans les milieux d’art contemporain, on comprend que si peu de voix aient osé demander, depuis le temps, si par hasard certains artistes, conservateurs, et critiques ne se moquaient pas un peu du monde.

Loin de pointer l’attention vers ce qui les environne, les rayures de Buren captent toute l’attention à leur profit. Pourquoi ? Parce qu’à répéter toujours et partout le même signe minimal, on n’impose plus que ce signe et on vide l’environnement au profit du signe.

Des fins esprits font observer, savantes analyses à l’appui, que les séries de Marylin sont ironiques, et pas les portraits de Brejnev. Mais suffit-il qu’il y ait quelque irone, par mise en série ou même mise en abyme, pour que la portée en soit particulièrement intéressante ? Faudra-t-il niveler les degrés d’ironie ?

Ben nous montre qu’il existe un populisme en matière artistique.

(…) qu’il soit sophistiqué chez Buren ou populiste chez Ben, le discours de la contestation pour elle-même ne cache pas qu’une impuissance : il débouche logiquement sur la promotion de soi.

Où voit-on la moindre dénonciation dans les pièces de Boltanski ? Suffirait-il que l’artiste affiche des poncifs religieux pour que ceux-ci soient dénoncés ? Auquel cas on comprend qu’il suffise pareillement aux commentaires critiques de dire pour démontrer (…) Boltanski se réfère constamment à l’Holocauste. Or, toute référence à l’holocauste produit sur notre esprit un secret effet d’aveuglement, de vue brouillé par l’impensable (…) Ainsi Boltanski impose-t-il tacitement le silence à la pensée et voile-t-il la vue devant ses autels funéraires.

A force en effet de chercher, depuis l’irruption de la photographie, le critère minimal qui permettait de définir ce qui reste à la peinture, puis à l’art, l’œuvre fut tuée par le discours sur l’art.

C’est traiter l’œuvre en illustration que de lui demander peu sur le plan des effets formels du moment qu’elle invite à une réflexion sur l’art. La critique en est venue là parce que, mobilisée par la question « qu’est-ce que l’art ? ». A la suite des bouleversements culturels et techniques qui ont défait les anciennes grilles d’appréciation esthétiques, elle a remis en cause, toujours plus radicalement, la notion d’œuvre.

Castelli va lancer, pour les sixties, ce qui sera sa grande affaire, son produit d’exportation mondial, le Pop’ art (…) Il apparaît que Castelli va embarquer le marché d’art mondialisé dans une perpétuelle croisière de nouveauté en nouveauté à partir du Pop ‘art qui est la peinture de la consommation par excellence.

Les choses pouvaient-elles être plus claires : Warhol peint des dollars en série et pendant que les intellectuels des années 1960 y voyaient contestation du capitalisme, Castelli empochait.

En 1965, l’exposition Warhol au musée de Philadelphie est prise d’assaut par des milliers de jeunes. Qui d’ailleurs s’étonnerait que la jeunesse a priori soit conformiste en art ? A peine cultivée, toute jeunesse est prédisposée à prendre au premier degré ce qui satisfait sa vision immédiate. Le Pop’art lui proposa cela : ce que la jeunesse voyait tous les jours en bandes dessinées et dans les médias lui fut présenté comme art nouveau.

Castelli inaugure également une nouvelle stratégie de communication qui aujourd’hui paraît banale (…) On a beau dire, mais quand on traite toute le monde en « ami », ça crée ce qu’on appelle le consensus artistique.

(…) le poncif historiciste qui prévaut dans la perception de l’art moderne : cela a eu lieu, donc cela a de la valeur. Où l’on voit la conséquence directe de ce nouveau critère d’évaluation que nous avions nommé l’événement. Dont Castelli devint le meilleur agent.

La génération des expressionnistes abstraits usa et abusa, pour expliquer leur démarche, d’une rhétorique de l’intériorité « brute » qui explique ensuite la réaction contraire.

La multiplication d’évènements qui firent actualité produisit l’illusion d’une multiplication d’évènements historiques, et la cote des œuvres fut évaluée à proportion de ces micro-événements, grossis à la loupe sur le court terme de quarante années. A long terme, leur apport esthétique apparaîtra pour ce qu’il fût, minime…

(…) après le Pop’art, retour à l’intériorité mais cette fois non pulsionnelle puisque la pulsionnelle avait été le domaine des expressionnistes abstraits. Donc intériorité intellectuelle, abstraitement cérébrale : cela donne en droite ligne le minimal et le conceptuel.


Se situant à la périphérie des mouvements d’avant-garde qui ont marqué l’histoire de la peinture moderne en Amérique et dans le monde, Edward Hopper aura laissé une des représentations les plus intimes de l’homme du vingtième siècle (…) il restitue le suspens de l’attention précisément parce qu’il pose le regard, donc l’arrête étant donné la fixité inhérente à la peinture, sur des zones du réel auxquelles nous sommes trop habitués pour y prêter attention (…) il accède à son monde, par la filiation qu’il assume avec une peinture déjà classique lorsqu’il est jeune (l’impressionnisme), par la lecture, par l’intégration à la peinture de procédés du 7ème art. En ce dernier point seulement Hopper pratique un brusque saut dans l’innovation, il est l’un des premiers à le faire.

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