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mardi 18 mars 2014

« Kennedy, une vie en clair-obscur » de Thomas Snégaroff (2013)

Un livre très populaire sorti en 1915, « The Care and feeding of Children » écrit par le docteur L. Emmett Holt. Parmi de très nombreux conseils, ce grand pédiatre conseille aux mères de ne pas jouer avec les bébés de moins de six mois et surtout de ne pas les embrasser : « La tuberculose, la diphtérie, la syphilis et beaucoup d’autres malades graves peuvent être transmises ainsi. »

Joe s’est également découvert une passion pour les femmes dans les années 1920. Rejeté de la société des Brahmanes bostoniens, le père Kennedy se jette avec délice dans la vie nocturne newyorkaise et hollywoodienne au moment où les mœurs se libèrent à vitesse grand V. Comme l’écrit le Saint-Louis Mirror, « it’s sex o-clock in America ». Les roaring twenties, le versant américain de nos « années folles » s’inscrivent d’abord dans une libération des corps. En enchaînant les conquêtes d’un soir, Joe Kennedy tourne ostensiblement le dos à une société à laquelle il a, en vain, tenté d’appartenir pendant de si longues années. L’aristocratie bostonienne ne le fait plus rêver. Elle le dégoûte. Il admire les sportifs, les acteurs, les starlettes, bref, les célébrités de la société de consommation – et non plus de conservation -, celles qui l’accueillent à bras ouverts, lui et ses dollars. A sa maîtresse, la comédienne Gloria Swanson, Joe Kennedy confie même : « Les Cabot et les Lodge, ça les tuerait d’aller au cinéma, ou de laisser leurs enfants y aller. Et c’est pourquoi leurs serviteurs en savent plus sur le monde qu’eux-mêmes ; la classe ouvrière devient de plus en plus intelligente chaque jour grâce à la radio et au cinéma. Ces arrogants banquiers de Black Bay (un quartier aristocratique de Boston) sont en train de laisser passer le bon wagon. »

… ce qui a rendu Jack célèbre, outre le fait d’être le fils de son père : « Why England slept ». Ce livre, sorti en juin 1940, s’est vendu, en effet, comme des petits pains : 80 000 exemplaires aux Etats-Unis et au Royaume-Uni permettant à Jack de s’offrir la Buick décapotable de ses rêves.

Arthur Krock et Henry Luce n’ont pas vraiment été subjugués par la qualité du texte au point d’en susciter la publication et d’en écrire la préface ! Ils ont agit par amitié envers Joseph Kennedy. Car pour les professeurs de Jack, ce mémoire est un texte honorable, sans plus (…) « Prémisse fondamentale jamais analysée, beaucoup trop long, verbeux, répétitif. Bibliographie inégale. Beaucoup d’erreurs typographiques. »
Pire encore, une fois publié, Joe envoie fièrement le livre à Harold Laski, le grand professeur socialiste anglais (…) : « Car si c’est le livre d’un garçon intelligent, il est très immature, sans structure, et il demeure presque en permanence  à la surface des choses. Dans une bonne université, une cinquantaine d’étudiants en dernière année font un livre comme celui-là, c’est leur travail normal de fin d’études. Je pense honnêtement qu’aucun éditeur n’aurait jeté un œil au livre de Jack s’il n’avait pas été votre fils, et si vous n’aviez pas été ambassadeur. »

Le premier à être contacté, c’est le fidèle Arthur Krock qui ne refuse jamais rien aux Kennedy. C’est lui qui reprend l’essentiel du manuscrit afin de le mettre en forme (…) Evidemment une fois sorti, le livre est vanté à la fois par le New York Times (de Krock) et Time-Life (de Luce). Pour en assurer la promotion, Joe paie de sa poche 250 exemplaires de presse, alors qu’à l’époque la norme est plutôt d’en envoyer une centaine. Puis, pour booster les ventes, le père de Jack achète des milliers d’exemplaires pour placer le livre de son fiston dans le classement des meilleures ventes et ainsi enclencher une mécanique vertueuse, ce qui fonctionne merveilleusement.

Le PT-109 est le seul navire de ce genre à avoir été coulé pendant la seconde guerre mondiale. Et John F. Kennedy en est le commandant. Il a été très léger, négligeant de poster un homme auprès de la radio et naviguant dans des eaux dangereuses avec ses moteurs éteints. Puis, panique, il a mis les gaz bien trop vite, causant probablement leur enrayement et la collision fatale qui s’en est suivie. La responsabilité de Jack est engagée dans cet accident fatal à deux hommes et à son navire.

Par timidité plus que par désintérêt, Jack est incapable d’engager la discussion avec les gens qu’il ne connaît pas. Pire encore, héritage certain de l’éducation de Rose, il déteste qu’on l’embrasse, qu’on le touche. Lui qui, par souci d’hygiène, peut se doucher plusieurs fois par jour, n’accepte que le contact dans l’intimité… Aux gens, ils donnent l’impression d’être froid et distant.

Jack dispose d’atouts solides. Et en premier lieu, son père, ses réseaux et ses dollars.

Parce que s’il y a une chose que Jack a comprise de lui-même, c’est que son pouvoir de séduction auprès des femmes peut se transformer dans les urnes…

Les femmes, Rose et ses filles, s’en occupent également. Elles sont la quintessence même du rêve américain pour les Bostoniennes et notamment celles d’origine irlandaise. Rose adore mener campagne pour son fils.

Eunice : « Papa, crois-tu vraiment que Jack puisse être député ? »
Jack : « Tu dois te souvenir que ce qui compte, ce n’est pas qui tu es, mais ce que les gens croient que tu es. »
A l’image de Franklin D. Roosevelt qui avait réussi à gagner une image de virilité et de force grâce à une habile rhétorique faisant oublier son handicap physique, Jack devient le symbole même du courage et la vitalité alors même que pas une journée se passe sans que son corps ne le fasse souffrir.

Neville (son adversaire aux primaires démocrates) : « Je n’aurais jamais pu gagner contre un million de dollars. »

La conquête d’un siège de sénateur dans le Massachusetts contre le républicain Henry Cabot Lodge Jr. La campagne est entièrement financée par les deniers familiaux (…) Joseph arrose de dollars les chaînes de télévision pour qu’elles diffusent les discours de Jack, ce qui, à l’époque, est extrêmement rare (…) Joseph donne un demi-million de dollars au Boston Post dans un arrangement secret avec l’éditeur du titre conservateur, John Fox (…) Le journal est sur le point d’annoncer son soutien à Lodge quand Joseph se décide à sauver l’avenir du titre à la santé financière chancelante… Et évidemment, le Boston Post ne soutient pas Lodge.

Les trois filles, Eunice, Pat et Jean, trouvent Jackie atrocement snob, avec une voix enfantine ridicule, et pire que tout, nulle en sport, ce qui, à Hyannis Port est tout simplement rédhibitoire.

C’est un de ses traits de caractère : il déteste la contemplation.

McCarthy, le sénateur républicain du Wisconsin, est un ami de la famille Kennedy. Invité au mariage de Bobby en 1951, il convie la plupart des Kennedy à son mariage l’année suivante, dont Jack. Plus jeunes, Pat et Eunice avaient même flirté avec McCarthy (…)
Il doit ou presque à l’argent de son père et n’a pas osé se confronter à lui lors du vote censurant son ami Joseph McCarthy. Pas vraiment un parangon de courage politique.

Joe Kennedy (…) achète, de même que son cousin Joe Kane des milliers d’exemplaires pour le classer dans la liste des best-sellers et encourager ainsi les ventes. Une pratique efficace et déjà éprouvée pour « Why England Slept ». Pour parachever le triomphe  de son fils, Joe appelle ce bon vieux Arthur Krock, membre du Conseil d’Administration du très prestigieux prix Pullitzer (…) Et comme par magie le Conseil d’administration offre pour l’année 1957, le prix Pulitzer à « Profiles in Courage » écrit par John F. Kennedy !

(…) le 7 décembre 1957, lorsque sur ABC dans le "Mike Wallace Interview », le célèbre journaliste Drew Pearson s’indigne que Kennedy soit « le seul homme de l’histoire que je connaisse qui ait gagné le prix Pulitzer pour un livre écrit par un autre que lui, ce qui en dit long sur sa façon de construire ses relations publiques », Jack devient fou de rage.

En 1960, Jack débauchera Robert McNamara de chez Ford pour en faire son ministre de la Défense. McNamara viendra en partie parce qu’il avait été impressionné et transporté par la lecture de Profiles in Courage. Dans l’intimité, le président lui jurera, les yeux dans les yeux, être l’unique auteur de ce livre. Dans le monde de Jack Kennedy, la vie rêvée et la ville réelle se confondent. Il suffit qu’une chose soit énoncée pour qu’elle devienne vraie.

Papa Kennedy obtient que son fils soit le narrateur du film démocrate, « The Pursuit of Happiness », présenté lors de la Convention. Selon la rumeur, Joe aurait dépensé un demi-million de dollars pour produire le film à cette condition, alors que beaucoup de démocrates auraient préféré la voix mythique d’Eleanor Roosevelt.

Nixon arrive le premier dans les studios de CBS. Il boite. Il vient de se cogner à nouveau le genou dans la portière de sa voiture et pour ne rien gâcher, il est fiévreux. Il porte un costume gris, parfaitement raccord avec le teint de sa peau. Ses joues sont creusées (…)
Ce que tout le monde ignore alors, c’est que depuis quelques jours, un homme brun et discret a fait son apparition dans l’entourage de Kennedy. Max Jacobson, un médecin berlinois réfugié aux Etats-Unis depuis 1936 qui s’est fait connaître en administrant des pilules miracles, mélanges d’amphétamines, de vitamines, de stéroïdes, d’enzymes, d’hormones et même de placenta humain. Effet garanti ! De nombreuses stars hollywoodiennes, telles Anthony Quin, Marlene Dietrich ou Yul Brynner ne jurent que par celui qu’elles surnomment « Miracle Max ». L’écrivain Truman Capote résume parfaitement l’effet des pilules magiques : « Euphorie intense. Vous vous sentez comme Superman. Vous volez. Les idées arrivent à la vitesse de la lumière. Vous tenez 72 heures de suite… »
Dans le plus grand secret, Max Jacobson commence à approvisionner Jack. Pour la première fois depuis si longtemps, il ne ressent aucune douleur, aucune fatigue. Jacobson, que Jack surnomme « Dr Feelgood » viendra 34 fois à la Maison Blanche entre janvier 1961 et mai 1962 (…)
A quelques minutes de la prise d’antenne, la production propose aux deux candidats de se faire maquiller. Kennedy refuse le premier. C’est inutile. Il est prêt. Malgré une évidente nécessité, Nixon n’a d’autre choix que de refuser à son tour.

A peine plus de 100 000 voix d’écart séparent les deux hommes. Tout comme Lincoln, Wilson et Truman avant lui, Kennedy est élu avec moins de 50% des voix. Et si Jack a remporté 33 États sur 50, c’est souvent d’une extrême justesse (…) Très vite, de lourds soupçons de fraude pèsent également, notamment dans l’Illinois et le Texas. Avec ces deux Etats, Nixon aurait gagné. Alors quand on découvre que dans certains comtés du Texas, des morts ont voté, ou que comme à Fannin 6138 bulletins ont été comptés pour 4895 inscrits, le doute est permis… Cependant l’évidence et les conseils d’Eisenhower, Nixon est bon perdant. Il refuse de demander un recomptage, long, probablement inutile et qui aurait surtout donné de lui l’image d’un mauvais perdant.

Handicapé par le fiasco récent de la Baie des Cochons, Kennedy n’obtient aucune garantie concernant la sécurité et la liberté de circulation des citoyens de Berlin-Ouest, une cité enclavée au cœur de la RDA communiste (…) Après deux journées harassantes, Jack est lessivé. De retour à sa résidence autrichienne, il s’affale dans un canapé. James Reston, le correspondant du New York Times est présent (…) « Il m’a massacré ». Selon Lem Billings, Jack est « totalement secoué » par sa rencontre avec Khrouchtchev : « Il n’a jamais dû faire face à quelqu’un d’aussi terrible. »

Yuri Barsukov, le correspondant à Washington du quotidien Isvestia, note que Khrouchtchev  a été étonné de trouver en Kennedy « un politicien si inexpérimenté ». L’interprète de Khrouchtchev lors du sommet, Victor Sukhochev, reprend le même adjectif et ajoute que Kennedy « n’est peut-être pas au niveau pour diriger correctement un pays tel que les Etats-Unis. »

« Mon père m’a toujours dit que les businessmen sont des fils de putes, mais je ne l’avais jamais réalisé avant maintenant » (Jack, au New York Times).

Quelques mois plus tard, la crise de Cuba offre à Kennedy l’occasion rêvée de rétablir son autorité.

Judith Campbell a un autre amant célèbre (…) Sam Giancana, l’un des chefs de la mafia de Chicago, recrutés avec d’autres mafieux en août 1961 par la CIA pour assassiner Castro (…) à la fin des années 1970, Judith affirmera avoir fait le lien entre les deux hommes notamment pour assurer la victoire de Jack dans l’Illinois en 1960…


Le FBI obnubilé par l’extrême-droite n’avait pas imaginé que le président puisse être visé par un fanatique d’extrême gauche, honnissant l’impérialisme américain, s’inquiétant de l’interventionnisme naissant au Vietnam, et, plus encore dans le cas de Oswald, prêt à prendre les armes pour défendre Cuba.

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