… une information qui revendique
de plus en plus fortement sa « professionnalisation », son
« professionnalisme », tout en s’idéologisant, en réalité, de plus en
plus (…) La professionnalisation a tout changé. Ne serait-ce qu’en faisant
émerger un esprit de corps (…) La profession s’est dépolitisée, alors même
qu’elle s’est, peu à peu, idéologisée.
Le choix des abonnés aux tribunes
libres, des experts interrogés, des spécialistes consultés, des débatteurs et
des polémistes privilégiés, qui sont évidemment censés ne pas
« engager » les médias qui y ont recours, contribue largement à
nourrir cette façon très engagées de pratiquer le non-engagement… ou non
engagée de pratiquer l’engagement.
Susciter une discussion est
devenu : « faire polémique ». Et c’est très mal. Qu’est-ce qu’un
propos qui fait réagir ? Une déclaration « controversée » et
c’est très louche.
… quinze jours ont suffit pour
que, dans toutes les bouches, sous toutes les plumes, le mariage gay devienne
le « mariage pour tous ».
L’amplitude maximum des
rémunérations admises un peu avant ou après guerre, par les grands capitaines
d’entreprise ou banquiers américains, Ford, Morgan, était de 1 à 10, voire de 1
à 20 ou 30. Aucun éditorialiste ne se risquerait aujourd’hui, alors que
l’éventail peut se déployer de 1 à 500, à en appeler à un tel rétrécissement.
Conçoit-on un débat radiophonique
ou télévisé au cours duquel l’un des protagonistes pourrait impunément (ce qui,
il y a encore soixante ans, caractérisait le contenu même de tout débat
politique) recommander une éradication brutale ou même progressive du système
économique existant, ou suggérer de lui substituer, fût-ce par étapes, un
système radicalement différent, sans susciter un concert consterné
d’indignation et de moqueries ? Même Mélanchon ne s’y risquerait pas.
L’ « étant » est
comme indépassable. La seule réalité envisageable est celle qui se confond avec
un état de fait (…) Il existe, en fait, une philosophie médiatique. Une
philosophie quasi journalistiquement officielle, fût-elle inconsciente :
c’est le « positivisme ». Rien ne peut devenir qui ne soit
préalablement advenu (…) le ralliement de plus en plus généralisé des médias et
médiateurs au positivisme idéologique, marqué, en particulier, par leur censure
des utopies et leur dépréciation des alternatives, les porte nécessairement à
sacraliser les institutions.
Ce qui est nouveau, absolument
nouveau, c’est que, chez nous, le manichéisme, en particulier le manichéisme structurant
du discours médiatique ultradominant, s’est unifié, uniformisé. Mêmes anges,
mêmes démons. Comme si la médiasphère s’était peu à peu converties à la même
religion…
Ainsi, Hugo Chavez était un
démago socialiste va-de-la-gueule et peu convenable. Il avait, cependant, été
élu et réélu à plusieurs reprises à l’issue d’élections libres. Et cela bien
que la majorité des médias de son pays, radios, télévisions et presse écrite,
lui fût hostile et que l’opposition ait organisé, à plusieurs reprises, contre
lui, des manifestations de masse jamais réprimées.
Ce n’est pas sa vertu qui fait le
gentil, c’est sa position par rapport au méchant.
L’expression des
« réformes », ou pire : les « réformes », même si on
précise qu’elles doivent être « structurelles » (késaco ?) est
un must commun à la galaxie médiatique (…) Mais aucun ne décline concrètement
de quelle réforme il s’agit…
Et puis il y a ces mots…
« Couacs », « populisme », « dérive
sécuritaire », « nauséabond », « parole libérée »…
A quelle cause principale, sinon
unique, faut-il attribuer notre recul en matière de compétitivité, en
particulier par rapport à l’Allemagne ? (…) La réponse médiatique est
uniforme, martelée, tambourinée : le seul coupable, c’est le « coût
du travail ».
Quel coût, à quel niveau ?
Charges, taxes, salaire individuel, niveau du Smic, rétribution trop élevée des
cadres ou des dirigeants, primes, avantages sociaux, masse salariale,
sureffectifs, retard des mutations technologiques, automatisation
insuffisante ? On ne s’embarrasse pas de précisions.
(…) que dans l’industrie
manufacturière le coût du travail horaire allemand est, à 0,6% près, quasiment
identique au nôtre ; que la Bulgarie, où le coût du travail est le plus
bas d’Europe, se trouve dans une situation catastrophique, comme la
Grèce ; que les trois pays européens les plus dynamique à l’exportation et
où la croissance est la moins faible sont trois pays où le coût du travail est
le plus élevé (sans parler de la Suisse)…
Que l’idée révolutionnaire ait
été médiatement dissoute serait un progrès si le réformisme se donnait comme un
autre façon, comme sa seule bonne façon en vérité, de changer le monde. Mais
non (…) La réforme, tout au moins dans le domaine économique et social, ce
n’est plus une avancée, c’est toujours un recul. Il ne s’agit plus de
transformer, mais de laminer.
… une révolution (celle qui
recentrerait l’humain au détriment de la centralité de l’Etat ou de l’argent)
est nécessaire, plus nécessaire aujourd’hui qu’hier puisqu’on subit
économiquement, socialement, psychologiquement, moralement, culturellement, les
effets de la faillite des deux autres centralités, celles précisément de l’Etat
et de l’argent, jamais donc cette aspiration n’a été si majoritaire dans notre
pays. Or médiatement, elle a été étouffée. Anéantie.
Cela ne signifie nullement que la
vérité réside d’un côté (du côté des « gens », comme on le dit
stupidement) plus que du côté des médiateurs, mais que ce découplage, lorsqu’il
devient béance, nourrit les pires rancœurs, les pires frustrations dont l’extrême
droite n’a plus qu’à faire son miel.
Parce qu’ils vivent dans la même
ville Paris (contrairement à leurs confrères américains, italiens ou allemands) ;
parce qu’ils se retrouvent aux mêmes endroits ; parce qu’ils sont sociologiquement
et socialement issus généralement du même milieu ; parce qu’ils ont été formés,
pour la plupart, à la même école ; parce qu’ils se réclament le plus
souvent des mêmes références culturelles…
(…) la majorité des
professionnels de l’information n’a jamais été aussi libre, répétons-le, l’indépendance
d’esprit n’a jamais bénéficié d’autant de possibilités de se déployer. Et, en
conséquence, dans la plupart des cas, cette tendance à penser massivement, sur
de nombreux sujets, de façon similaire, ne résulte nullement – sauf exception -
des pressions de quelque pouvoir occulte, politique, capitalistique ou
financier…
En ce qui concerne la Syrie, par
exemple – et c’est significatif -, on n’est sorti de la vision biaisée et du
compte-rendu univoque qu’en en sortant en même temps, et tous ensemble.
En fait, l’univers médiatique
produit lui-même, comme un grand, son propre ciment unificateur. Dont les deux
principaux ingrédients renvoient à un progressisme sociétal et à un
conservatisme économico-social, quitte à virer libertaire ici et réactionnaire
là.
Or l’évolution des opinions
publiques a pris le chemin exactement inverse.
Sarkozy, avec un talent et un
sens tactique consommés, avait réalisé (ou plus exactement avait donné l’impression
d’avoir réalisé) la fameuse synthèse médiatiquement porteuse. Il avait joué sur
tous ses ressorts : donner tout ce qu’ils attendaient à la fois à
Jean-Marie Colombani patron du Monde à l’époque et à Etienne Mougeotte
capitaine du Figaro (…) Que représentait le premier gouvernement Sarkozy sinon
l’archétype de ce « synchrétiquement correct », l’air médiatique du
temps, en somme ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire