La Vierge devient le principal agent de promotion du bleu (…)
Vers 1130, quand l'abbé Suger fait reconstruire l'église abbatiale de Saint-Denis, il veut mettre partout des couleurs pour dissiper les ténèbres, et notamment du bleu. On utilisera pour les vitraux un produit fort cher, le cafre (que l'on appellera bien plus tard le bleu de cobalt). De Saint-Denis, ce bleu va se diffuser au Mans, puis à Vendôme et à Chartres, où il deviendra le célèbre bleu de Chartres.
(…) puisque la Vierge s'habille de bleu, le roi de France le fait aussi. Philippe Auguste, puis son petit-fils Saint Louis seront les premiers à l'adopter (…)
En trois génération bleu devient à la mode aristocratique.
(…) la demande de guède (ou pastel), cette plante mi-herbe, mi-arbuste que l'on utilisait dans les villages comme colorant artisanal, explose. Sa culture devient soudain industrielle et fait la fortune de régions comme la Thuringe, la Toscane, la Picardie ou encore la région de Toulouse. On la cultive intensément pour produire ces boules appelées « coques», d'où le nom de pays de cocagne. C'est un véritable or bleu ! (…)
À la fin du Moyen Âge, la vague moraliste, qui va provoquer la Réforme, se porte aussi sur les couleurs, en désignant des couleurs dignes et d'autres qui ne le sont pas. La palette protestante s'articule autour du blanc, du noir, du gris, du brun... et du bleu.
(…) dans les années 1720, un pharmacien de Berlin invente par accident le fameux bleu de Prusse, qui va permettre aux peintres et aux teinturiers de diversifier la gamme des nuances foncées (…)
En 1850, un vêtement lui donne encore un coup de pouce : c'est le jean, inventé à San Francisco par un tailleur juif, Levi-Strauss, le pantalon idéal, avec sa grosse toile teinte à l'indigo, le premier bleu de travail.
(…) En France, il fut la couleur des républicains, s'opposant au blanc des monarchistes et au noir du parti clérical.
(…) c’est une couleur consensuelle, pour les personnes physiques comme pour les personnes morales : les organismes internationaux, l'ONU, l'Unesco, le Conseil de l'Europe, l'Union européenne, tous ont choisi un emblème bleu. On le sélectionne par soustraction, après avoir éliminé les autres.
Dans le système chromatique de l'Antiquité, qui tournait autour de trois pôles, le blanc représentait l'incolore, le noir était grosso modo le sale, et le rouge était la couleur, la seule digne de ce nom (…)
Au Moyen Âge, cette recette de la pourpre romaine s'étant perdue (…), on se rabat sur le kermès, ces œufs de cochenilles qui parasitent les feuilles de certains chênes (…) La récolte est laborieuse et la fabrication coûteuse. Mais le rouge obtenu est splendide, lumineux, solide (…)
À partir des XIIIe et XIVe siècles, le pape, jusque-là voué au blanc, se met au rouge. Les cardinaux, également. Cela signifie que ces considérables personnages sont prêts à verser leur sang pour le Christ (…)
[Le Petit Chaperon rouge] Je préfère pour ma part l'explication sémiologique : un enfant rouge porte un petit pot de beurre blanc à une grand-mère habillée de noir... Nous avons là les trois couleurs de base du système ancien. On les retrouve dans d'autres contes : Blanche-Neige reçoit une pomme rouge d'une sorcière noire. Le corbeau noir lâche son fromage - blanc - dont se saisit un renard rouge (…)
Le rouge restera aussi la couleur de la robe de mariée jusqu'au XIXe siècle (…) Parce que, le jour du mariage, on revêt son plus beau vêtement et qu'une robe belle et riche est forcément rouge (…)
En octobre 1789, l'Assemblée constituante décrète qu'en cas de trouble, un drapeau rouge sera placé aux carrefours pour signifier l'interdiction d'attroupement et avertir que la force publique est susceptible d’intervenir. Le 17 juillet 1791, de nombreux Parisiens se rassemblent au Champ-de-Mars pour demander la destitution de Louis XVI, qui vient d'être arrêté à Varennes. Comme l'émeute menace, Bailly, le maire de Paris, fait hisser à la hâte un grand drapeau rouge. Mais les gardes nationaux tirent sans sommation : on comptera une cinquantaine de morts, dont on fera des « martyrs de la révolution». Par une étonnante inversion, c'est ce fameux drapeau rouge, « teint du sang de ces martyrs», qui devient l'emblème du peuple opprimé et de la révolution en marche.
Pour nos ancêtres, il n'y avait pas de doute : le blanc était une vraie couleur (et même l'une des trois couleurs de base du système antique, au même titre que le rouge et le noir) (…) C’est en faisant du papier le principal support des textes et des images que l'imprimerie a introduit une équivalence entre l'incolore et le blanc, ce dernier se voyant alors considéré comme le degré zéro de la couleur, ou comme son absence (…)
Ils distinguaient même le blanc mat du blanc brillant : en latin, albus (le blanc mat, qui a donné en français « albâtre» et « albumine») et candidus (le brillant, qui a donné « candidat », celui qui met une robe blanche éclatante pour se présenter au suffrage des électeurs). Dans les langues issues du germanique, il y a également deux mots : blank, le blanc brillant - proche du noir brillant (black), qui va s'imposer en français après les invasions barbares - et weiss, resté en allemand moderne, le blanc mat (…)
Il reste que, dans notre vocabulaire, le blanc est associé à l'absence, au manque (…)
Dans certaines régions, la neige a renforcé ce symbole [pureté] (…) Aucune autre couleur n’est aussi unie dans la nature (…)
(…) au Moyen Âge, où il était bien plus obscène de se montrer en chemise que de se présenter nu, une chemise qui n'était pas blanche était d'une incroyable indécence.
(…) Jamais nos arrière-grands-parents ne se seraient couchés dans des draps qui n'auraient pas été blancs ! (…) À présent, nous acceptons très bien que notre corps touche des couleurs vives : nous pouvons dormir dans des draps rouges, nous essuyer avec une serviette jaune, porter des sous-vêtements violets, ce qui aurait été impensable il y a quelques décennies (…) nombre d’hommes estiment de nouveau qu’une étoffe blanche sur une peau féminine est susceptible d’éveiller le désir (…)
Dès l'Antiquité romaine, les spectres et les apparitions sont décrits en blanc. Cela n'a pas varié. Regardez les bandes dessinées : il est impensable qu'un fantôme n'y apparaisse pas en blanc ! (…)
Les petits seigneurs du XVIIIè étaient obsédés par le souci de marquer leur différence face à des paysans parfois plus riches qu'eux (l'expression « sang bleu » est rattaché à cette habitude : leur visage était tellement pâle et translucide que l'on en voyait les veines, et certains allaient jusqu'à les redessiner, afin de ne pas être confondus avec des laboureurs) (…)
Les racines symboliques du blanc - l'innocence, la lumière divine, la pureté - sont presque universelles et remontent très haut dans le temps. Sans le savoir, nous y sommes toujours rattachés.
(…) dans un célèbre traité de Goethe de la fin du XVIIIè siècle : celui-ci (qui adore le bleu) recommande le vert pour les papiers peints, l'intérieur des appartements et spécialement, dit-il, la chambre à coucher. Il lui trouve des vertus apaisantes (…) Jusqu’à une période relativement récente, les photographies en couleurs étaient, elles aussi, concernées par ce caractère très volatil du vert. Regardez les instantanés des années 1960 : quand les couleurs sont passées, c'est toujours le vert qui s'est effacé en premier. Conclusion : quelle que soit la technique, le vert est instable, parfois dangereux (…)
La symbolique du vert s'est presque entièrement organisée autour de cette notion : il représente tout ce qui bouge, change, varie. Le vert est la couleur du hasard, du jeu, du destin, du sort, de la chance… (…) les jongleurs, les bouffons, les chasseurs s'habillaient de vert, de même que les jeunes et les amoureux, qui ont, comme on le sait, un caractère changeant (…) Les terrains de sport également, et pas seulement parce qu'il s'agit de pelouse : regardez la plupart des courts de tennis en dur et les tables de ping-pong.
(…) à cause de son ambiguïté, cette couleur a toujours inquiété. Ainsi, on a pris l'habitude de représenter en verdâtre les mauvais esprits, démons, dragons, serpents et autres créatures maléfiques qui errent dans l'entre-deux, entre le monde terrestre et l'au-delà. Les petits hommes verts de Mars, qui ne nous veulent pas du bien, ne sont autres que les successeurs des démons médiévaux. Aujourd'hui, les comédiens refusent toujours de porter un vêtement vert sur scène (la légende dit que Molière serait mort vêtu d'un habit de cette couleur) ; dans l'édition, les couvertures vertes des livres sont supposées avoir moins de succès, et les bijoutiers savent que les émeraudes se vendent moins que les autres pierres parce qu'elles ont la réputation de porter malheur (…)
Quand les premiers billets de dollars ont été fabriqués, entre 1792 et 1863, le vert était déjà associé aux jeux d'argent et, par extension, à la banque et à la finance (…)
Les chimistes du XVIIIe siècle l'ont prétendu : ils ont avancé une théorie pseudo-scientifique définissant des couleurs « primaires» (jaune, bleu, rouge) et des couleurs « complémentaires» (vert, violet, orange).
(…) pour un Européen de l'Antiquité, du Moyen Âge et même de la Renaissance (…) le vert n'avait rien à voir avec la nature.
(…) le mot latin viridis associe l'énergie, la virilité (vir) et la sève (…) C'est peut-être l'islam primitif qui, le premier, a associé vert et nature : à l'époque de Mahomet, tout endroit verdoyant était synonyme d'oasis, de paradis.
(…) les apothicaires, dont la pharmacopée est à base de plantes, ont choisi ce vert végétal pour leurs croix (en Italie cependant, les croix des pharmacies sont rouges comme le sang de la vie).
Jaune comme les photos qui pâlissent, comme les feuilles qui meurent, comme les hommes qui trahissent... Jaune était la robe de Judas. Jaune, la couleur dont on affublait autrefois la maison des faux-monnayeurs.
Jaune aussi, l'étoile qui désignait les juifs…
(…) au fil des temps, c'est en effet la couleur dorée qui a absorbé les symboles positifs du jaune, tout ce qui évoque le soleil, la lumière, la chaleur, et par extension la vie, l'énergie, la joie, la puissance (…)
Il est possible que la mauvaise réputation du soufre, qui provoque parfois des troubles mentaux et qui passe pour diabolique, ait joué…
(…) C’est Judas qui transmet sa couleur symbolique à l'ensemble des communautés juives (…) à partir du XIIIè siècle, les conciles se prononcent contre le mariage entre chrétiens et juifs et demandent à ce que ces derniers portent un signe distinctif. Au début, celui-ci est une rouelle (…) une étoile qui évoque l’Orient.
(…) Même constat avec les vitraux : ceux du début du XIIè siècle comportent du jaune, puis la dominante change et devient bleu et rouge (…)
[le maillot jaune du Tour de France] Au départ, il s'agissait d'une opération publicitaire lancée en 1919 par le journal L'Auto, l'ancêtre de L'Équipe, qui était imprimé sur un papier jaunâtre (…)
Quant au « rire jaune», il est lié au safran, réputé provoquer une sorte de folie qui déclenche un rire incontrôlable.
Dans les sociétés anciennes, on utilisait deux mots pour le qualifier: en latin, niger, qui désigne le noir brillant (il a donné le français « noir »), et ater (d'où vient « atrabilaire », qualifiant la bile moire), qui signifie noir mat, noir inquiétant (…)
Si on mélange toutes les couleurs, on arrive plutôt à une sorte de brun ou de gris. Chimiquement, le vrai noir est difficile à atteindre. En peinture, on ne l'obtient qu'en petites quantités, en recourant à des produits coûteux, tel l'ivoire calciné, qui donne une teinte magnifique mais hors de prix (…)
La Réforme déclare la guerre aux tons vifs et professe une éthique de l'austère et du sombre (…)
En Asie, si le noir est également associé à la mort et à l'au-delà, le deuil se porte en blanc. Pourquoi ? Parce que le défunt se transforme en un corps de lumière, un corps glorieux ; il s'élève vers l'innocence et l'immaculé. En Occident, le défunt retourne à la terre, il redevient cendres, il part donc vers le noir (…)
Les couples rouge-blanc et rouge-noir sont perçus comme des contraste plus forts en Orient, et ils l'ont parfois été en Occident. Le jeu d'échecs en est un bel exemple. À sa naissance en Inde, vers le VIè siècle, il comportait des pièces rouges et des pièces noires (…) Quand le jeu est arrivé chez nous, vers l'an mille, les Européen ont changé la donne et ont fait s'affronter des rouges contre des blancs. C'est seulement à la Renaissance que l'on est passé au couple actuel : noir contre blanc...
En découvrant la composition du spectre de l'arc-en-ciel, Isaac Newton établit un continuum des couleurs (violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge) qui exclut pour la première fois le noir et le blanc. Tout cela contribue donc à ce que, à partir du XVIIe siècle, ces deux-là soient mis dans un monde à part.
(…) tous les tests de lisibilité montrent d'ailleurs qu'une écriture en jaune sur fond noir se distingue mieux qu'une écriture en noir sur blanc (…)
Henry Ford, grand protestant puritain, a refusé de vendre ses Ford T autrement que noires (alors que ses concurrents produisaient des voitures de différentes teintes).
(…) le marron existait avant qu'on invente le mot « marron», l'orange avant la couleur orange, la rose avant que l'on parle du « rose » (le latin rosa désigne uniquement la fleur) (…)
Pour violet, on disait en latin médiéval subniger, « demi-noir » (…) il est, selon les enquêtes d'opinion, la couleur la plus détestée, après le brun.
(…) Le mot « orangé» est apparu en Occident au XIVe siècle, après l'importation des premiers orangers. Pour obtenir cette teinte, on a d'abord utilisé le safran, puis, vers la fin du Moyen Âge, le « bois brésil », essence exotique des Indes et de Ceylan (qui a donné plus tard son nom au Brésil).
[Le rose] On disait autrefois « incarnat », c'est-à-dire couleur de chair, de carnation.
D'après les tests d'optique, l'œil humain peut distinguer jusqu'à 180, voire 200 nuances, mais pas davantage. Ce qui rend stupide les publicités pour ordinateurs où on vous parle de millions, de milliards de couleurs !
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