Dieu était là à l’intérieur de moi et derrière toute chose. Ici et nulle part à la fois, dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, immergé dans l’univers et l’univers immergé en lui… Alors, je me suis mis à pleurer comme jamais dans ma vie. Les hymnes montaient vers les cieux et je me sentais littéralement déchiré de joie.
J’ai fini par rouvrir les yeux. Les moines quittaient les stalles, ils ont disparu par la porte latérale qui les avait vus entrer. La chapelle est retombée dans le silence. Pas un souffle. Pas un bruit. J’évitais de faire le moindre geste. J’aurais voulu rester figé dans cet instant à jamais. Mais déjà l’écho s’en éloignait. Le temps avait repris son œuvre, chaque seconde abolissant la précédente.
Il a écouté mon récit sans m’interrompre, un sourire illuminant son visage. Ce transport, cette exultation, le sentiment soudain que tout était justifié, que tout était à sa place : les avait-il vécus, lui aussi ?
Croire, même au plus profond de l’inquiétude, que le jour qui se lève sera meilleur que le précédent. Et renoncer à la plus grande et à la plus commune des tentations qui est celle de désespérer (…) Comment ne pas sentir son cœur moisir de rancœur et de découragement au fil des deuils et des désillusions ? (…) Le miracle de l’espérance, c’est accepter ce qui va venir, l’accepter quoi qu’il arrive. Quand bien même cela nous heurte, quand bien même ce n’était pas tout à fait ce que nous avions espéré. L’accepter sans réserve en se disant qu’il y a là-dedans quelque chose pour nous, qu’on ne voit pas au premier coup d’œil mais qui est pour le mieux. Car tel est le dessein de Dieu.
(…) il ne faut pas perdre patience, il ne faut pas renoncer à aimer, il ne faut pas cesser de croire.
(…) il reconnaît le petit garçon craintif et effacé qui a toujours eu en terreur la violence.
Je branche toutes les filles que je croise. Chacune a la beauté sidérante de l’inconnu. Du risque. De tous les possibles auxquels la nuit appelle. Les mots me viennent sans effort. Je ne sais même pas si elles me comprennent. J’oublie aussi vite les échecs que les visages (…) Tout mon esprit est tendu vers le moment où nos bouches se jetteront l’une sur l’autre, renversant les pudeurs, les discours, les artifices.
Sur près de trois cents pages, je dresse le catalogue de toutes les drogues et déviances sexuelles auxquelles s’adonnent les enfants tristes de ma génération (…) Les anges brûlent (…) Ce roman est même tout le contraire d'une quête mystique. Le vide et le cynisme contemporains, la défaite du romantisme et le spleen de la jeunesse dorée parisienne, voilà la vérité (…)
- Eh bien, ton héros, j'ai eu l'impression qu'il était à la recherche de la même chose.
- Et cette chose, c'est quoi pour toi exactement ?
- L’extase (…) Je cherche à m'arracher à mon propre corps pour faire du simple présent un fragment d’éternité.
En 1960, le député Paul Mirguet a fait voter un amendement où la pédérastie est considérée, au même titre que l'alcoolisme, la toxicomanie ou la prostitution, comme un « fléau social ».
(…) ai-je raison de revenir sur ces histoires, d'écrire sur la vie secrète de Christian ? Question qui me torture car elle dépasse la littérature ; elle engage aussi ma foi (…) Suis-je encore mû par l'amour chrétien si je finis par blesser ceux qui lui étaient chers ? Suis-je toujours en train de chercher la lumière de Dieu en fouinant dans les poubelles de son passé ?
Non, je n'invente rien, mais il y a autant de vies que de narrateurs, et celle que je raconte me ressemble fatalement. Fait écho à mes figures et à mes démons.
Saint Francois (…) raffole des étoffes brillantes, des couleurs métalliques ou saturées propres à l'héraldique de son temps. (…) Ce qui compte, comme chez Christian, comme chez Charles de Foucauld, c'est cette passion de la débauche, cette surenchère dans l'excès, cette recherche désespérée d’intensité qui se transformera « pour aller vers les pauvres et mettre les hommes debout ».
(…) puisqu'ils ne sont plus capables dans leur détresse de s’aider eux-mêmes. Alors oui, Dieu peut-être… La question a dû se poser. Mais croire ne se décide pas. La volonté, face au mystère de Dieu, demeure impuissante. Au contraire, ce n'est pas de soi qu'il faut l'attendre, écrit Pascal, mais en n’attendant plus rien de soi précisément. Sacrifice impossible. Et pourtant Francois l’a fait, et le miracle s'est produit (…) Il y a eu la rencontre avec le lépreux (…) Ces hommes, Francois les a toujours eus en horreur. Mais cette fois il décide de se faire violence et donne l'aumône au malheureux. Puis, touché au plus profond de lui-même par sa décrépitude physique, il accomplit ce geste fou, ce geste insensé, ce geste qui restera dans l'histoire : il l’embrasse. Et le plus déconcertant, c'est qu'il en est inondé de joie. Il éprouve une gratitude infinie pour cet homme. Oui, il y a plus de bonheur à aimer son prochain qu’à idolâtrer sa propre personne ; il y a plus de grandeur à se vaincre soi-même qu’à tenter de vaincre et de soumettre les autres ; il n'y a plus de sagesse à accepter le monde dans toute sa beauté et sa souffrance plutôt que de s'insurger en vain contre lui. Voilà la Vérité.
(…) le moment où sa vie a brusquement basculé sur cette route d'Espagne : « Il m'est arrivé ce qui est arrivé à saint Paul, raconte simplement Christian de Montaigu. À un moment, j'arrête la voiture, et tout à coup j'ai la certitude de ne jamais avoir été autant aimé. Ça a été très violent, aussi lourd que du plomb, aussi fluide que de l’eau (…) J'ai repris le volant. Je n'étais plus comme avant. En trente secondes, j'ai fait un virage à 180°. »
Car Dieu précisément commence là où s'arrête les mots (…) Mais comment en témoigner ? Est-ce que les miracles peuvent s'écrire ? Là est toute la question de ce livre (…) Parole si faible, si incertaine, qui voudrait donner cher à l'invisible, qui voudrait se rappeler ce pur moment d'oubli, qui voudrait continuer de croire à l’incroyable.
Il faut parfois ne rien réclamer à l'existence pour que tout soit offert par surcroît.
Je me désespère parfois à l'idée d'avoir si peu changé. De retomber dans mes vieux travers. D'en faire trop.
Si seulement j'avais quelqu'un avec qui échanger, en dehors des auteurs morts que je lis…
Depuis ce jour, Marie [à Medjugorje] n’a jamais cessé de s'adresser à ces six jeunes villageois pour leur délivrer des messages où il est question de paix et d'amour. Quarante ans que ça dure (…) des paroles retransmises chaque jour à la radio ou sur Internet, dans lesquelles elle invite (…) au rapprochement avec les autres religions.
(…) comment saint François, en route vers la Terre Sainte, s'était échoué sur les côtes dalmates après une tempête, et comment, peu de temps après, les premiers cordeliers avait suivi ses pas et s'étaient établis dans la région, gagnant peu à peu la confiance des populations, travaillant avec eux dans les champs, apprenant à lire et à écrire aux enfants ; comment les Ottomans, après la chute de Constantinople, avait fait main basse sur la Bosnie et commencé à discriminer les chrétiens jusqu'à raser toutes les églises, et enlever les garçons pour les envoyer à Istanbul, les convertir à l'islam et les enrôler de force dans l'armée ; comment les frères mineurs, quatre siècles durant, avait continué à célébrer des messes en secret au milieu des vignes ou au sommet des collines (…) les communistes avait pris le relais des Turcs, assassinant des centaines de prêtres ou leur coupant la langue pour les empêcher de prêcher, les torturant ou les envoyant dans des camps dont ils ne reviendraient jamais (…) l'essentiel, ce ne sont pas les apparitions mais ce qu’ont accompli des hommes en continuant de croire à l'impossible.
Comparées à l'expérience de Dieu, toutes les autres lui paraissent minuscules. Amours boiteuses, ambitions mesquines, réveils douloureux, à quoi cela mène-t-il ? (…) il en est sûr, une vie heureuse, c'est une vie au service de l'amour.
Entrer dans les ordres, n'est-ce pas descendre au tombeau avant l’heure ? S’enterrer vivant avec ses propres démons ?
Frère Florent m’attendait au couvent de La Cordelle (…) La même humilité, la même façon de s'effacer devant l'autre. Même son travail d’aumônier au centre de détention de Joux-la-Ville, il renâcle à l'évoquer. Pourtant ça doit être dur, une prison, avec 80 % de délinquants sexuels (…) En écoutant Florent, je comprends mieux l'exigence du célibat : c'est pour demeurer fidèle à ces parias. Assis dans leur cellule, face à eux, il n'y a pas d'autre endroit au monde où le prêtre préférerait être à cette instant, pas de femme ou de gamins qu’il doit rejoindre, pas de querelles ou d’histoires de cœur propres à distraire son esprit. Il est tout entier là pour eux. Tel est son destin : aimer ceux qui ne le sont pas.
C'est elle [Marie-Madeleine] que Jésus a choisie d'entre tous pour annoncer la bonne nouvelle parce qu'elle a connu les ténèbres de l'âme et, au cœur même de ses ténèbres, elle a eu le courage de croire. Croire que l'amour et les larmes et la patience sont les plus grandes des puissances.
Et pourtant, le jour où Christian est ordonné prêtre, ils sont là, au fond de l'église, derrière la foule endimanchée. Ils l’observent, allongé sur le sol aux dalles glacées, au milieu de ces hommes habillés en robe (…) Et, quand vient leur tour, ils se succèdent au pupitre malgré le trac pour dire par quelques mots timide et maladroits toute l'affection qu’ils lui portent.
Ces témoignages bouleversent Christian : il fait partie de leur famille, il est leur frère à eux aussi… Jamais personne ne lui a dit des choses aussi belles. Même ses frères de sang ou ses frères de foi, pas même ses amants ou ses fiancées d'antan, pas même tous les vieux potes de Paris ou d'Anjou. Et il a la sensation pour la première fois d'avoir trouvé sa place, ici même (…) Toute sa vie, malgré les détours qu'elle a pris, n’a fait que le conduire à cet instant précis où il a cessé de chercher le bonheur en lui pour le trouver dans celui des autres.
Saint François a voulu que ses frères soit pauvres car la richesse sépare des autres. Elle laisse croire qu'on peut être à l'abri du sort. Qu’on peut tenir à distance la souffrance du monde.
Il en a assez des blocages, des lourdeurs administratives, des guéguerres intestines. Son rêve, c'est de retrouver la ferveur des origines, l'innocence de cœur qui a permis à quelques hommes de rien de répandre l'amour de Dieu aux quatre coins de la terre (…) Ils étaient 130 000 de par le monde à la veille de la Révolution, dix fois moins aujourd'hui. En France, les différentes « provinces » ou régions viennent d'être regroupées en une seule circonscription, en raison du manque d’effectifs.
(…) on oblige les frères à établir noir sur blanc une règle afin d'encadrer leur prédication. La tâche en revient d'abord à François, leur fondateur, mais son texte (…) est retoqué par la curie. Les frères se remettent à l'ouvrage sans son concours et deux ans plus tard est adoptée une Regula bullata. Pour François, ce n'est ni plus ni moins qu'une trahison : on n'y parle plus de respecter une pauvreté absolue ni de soigner les lépreux ; idem pour la nécessité de travailler de ses mains ou l'obligation de laver les pieds les uns des autres (…) Quant à la possibilité de désobéir à un supérieur indigne, elle n'apparaît plus dans le document final. Toute contestation est désormais impossible. Francois (…) part se retirer dans un ermitage sur les contreforts des Apennins. Une grotte naturelle à laquelle on accède par un chemin tortueux, au milieu d'un éboulis de roches. Pour la première fois, il a l'impression de ne plus entendre Dieu. Le plus avoir ce qu'il veut de lui.
La liberté n'est pas faire ce que l'on désire, mais désirer ce que ce que l'on est en train de faire. (…) Il éprouve une paix nouvelle à accepter ce qui est et à tâcher de l’aimer.
Je n'aurais jamais le génie ni la force d'amour d’un saint François, je n'aurais jamais le courage ni le sens de la charité de Christian, mais Dieu m'avait donné d'aimer les mots et, à ma modeste manière, c'était par les mots que j’avais essayé de lui donner chair.
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