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lundi 21 décembre 2020

« Pensées pour une saison - Printemps » de Gabriel Bittar (2020)

Un bon petit livre est un jardin dans la poche du voyageur.

(…) lorsqu'on accorde sa confiance, ce n'est pas sur un mode quantifiable mais sur un mode binaire. On fait confiance à un tel… ou on ne lui fait pas confiance. On donne sa confiance.


Il convient de relever que la mère avait suspendu son mouvement, hésité… Elle avait alors surmonté sa peur pour revenir en arrière, vers le danger. Le petit ! Le petit avait besoin d'elle. C'était un exemple particulièrement émouvant de courage maternel, que l'on ne pouvait pas liquider par un préjugé de catégorisation vague : ce n'était pas un « automatisme », ce n'était pas « de l'instinct ». C'était de l'amour et du courage.


(…) pour pouvoir faire le bien, il faut commencer par ne pas faire le mal.


Avant d'agir ou de parler, il convient de suspendre son geste ou son verbe, pour s'assurer qu'on ne cause pas autant voire plus de mal que par l'inaccomplissement de celui-ci…


L'enfer est pavé de bonnes intentions. Des intentions non réalisées… mais aussi, toutes celles qui ont mal tourné - ou trop bien tourné. Ceci étant, quel paradis peut-il être imaginé, construit et maintenu… sans bonnes intentions préalables ? Il faut simplement rester très prudent, se souvenir qu’enfer et paradis se révèlent géographiquement voisins… et ne pas se contenter de bonnes intentions. Il faut suivre de près, de très près, leur mise en œuvre… et s'assurer que les intentions d'origine demeurent intactes.


C'est parce que je perçois beaucoup dans mon champ périphérique, visuel ou auditif, que je ressens comme un besoin vital de me concentrer, souvent, tout le temps.


Lors de la seconde guerre mondiale, une différence cruciale entre les fous furieux nazis et même les plus durs des staliniens, pouvait être perçue dans leur traitement respectif des prisonniers. Dans les instructions et commentaires soviétiques, on lit souvent, à propos de leurs innombrables prisonniers allemands, roumains, hongrois ou italiens : « On ne peut quand même pas tous les exécuter ? ! » Et il se creusaient la tête… pour finalement relâcher la plupart d’entre eux, quelque temps après leur victoire finale en 1945. Par contre, chez les nazis, à tous les niveaux hiérarchiques, c'était, à propos de leurs centaines de milliers de prisonniers russes (mais aussi des civils qui n'avaient pu les fuir), tout au long de la guerre qu'ils avaient déclenchée : « Il faut les exterminer sans pitié, selon certaines modalités, voici les instructions en rapport. » Et ils accomplissaient ces instructions.


L’utilisation de poncifs et de clichés s’étend dans la population ; parallèlement, leur diversité diminue. Il n'y a rien d'étonnant à cela. La source, commune, se réduit à mesure que la technologie digitale s’étend. Avant, on passait plus de temps à discuter en famille, avec des copains, au bistrot. On avait le temps de faire des variantes, et on avait de la place pour celles-ci. Maintenant, ce sont les mêmes lieux communs qui se trouvent, disons, réfléchis… par les mass media et par les réseaux sociaux, très vite et à l'infini. On a voulu faire croire que, grâce aux nouvelles technologies, chaque utilisateur s'approprierait un nouveau pouvoir, hautement personnalisé. Alors qu'en réalité, le pouvoir de contrôle conformiste et conformisant, centralisé comme jamais (mais dans un centre se masquant), s’est étendu et affermi… tout en donnant à chacun un os à ronger : l’illusion d’une personnalisation.


(…) le sérieux est fondement constitutif de la sagesse et de la dignité (…) les ricanements canailles, depuis la nuit des temps, entraînent les humains dans des boyaux pestilentiels, étouffant non seulement la pensée vivifiante, mais aussi le rire vrai, qui est soleil de bonté.


L'enfant que j’étais devait lutter avec la fierté terrible qui l’animait, ainsi qu'avec l'orgueil qui lui portait noise (…) Il peinait (…) à reconnaître qu'il n'était qu'enfant (…) que d'efforts il lui fallait, pour voir les autres autrement qu’en futurs sujets.


Un cas intéressant est celui des « partisans de l'avortement »… À l'origine, il s'agissait d'une ellipse pour « partisans de la légalisation de l'avortement » ; une tournure de phrase abrégée qui s'imposa seule sur le plan langagier lorsque la légalisation fut acquise. Et qui s’imposa d’autant plus facilement qu'il y avait, qu'il y a toujours, réellement… des partisans de cette tragédie pour une femme, de cette horreur pour un fœtus ! De façon générale, nombreux sont les humains qui font dépendre leur part, affichée, de bons sentiments obligés, d'une autre part, beaucoup plus vaste et encore plus obligée, de mauvais sentiments. Férocité bien-pensante, que ses adeptes veulent rendre obligatoire pour tout le monde.


Indifféremment de la cause qu'ils sont censés servir, les moyens utilisés forment une question cruciale… et éminemment révélatrice. Aussi, avant même d'interroger le fondement d'une action, ou d'une idéologie, il est souvent très utile d'étudier de près les moyens dont elle use. Éthiquement, certes, mais aussi dans leur qualité opérante. De fait, quel que soit l'objectif déclaré, il suffit de déceler un seul moyen malsain ou cruel pour prédire que le résultat, auquel il contribue intrinsèquement, sera pourri (…) Pourquoi, exactement, infliger des sévices aussi cruels à ceux-là accusés d'hérésie ou de sorcellerie ? Pourquoi, exactement, massacrer les familles royales et leurs proches, et de ces façons-là, à l'occasion des deux grandes révolutions européennes, la française et la bolchévique ? Pourquoi, exactement, torturer longuement et systématiquement des prisonniers ? (…) En effet, que pouvait-il, que peut-il advenir d’un mouvement ou d'une société coupable de tels crimes ? Rien de bon. Ils auront instillé, dans leurs propres esprits, une toxine sournoise.


(…) L'amitié ne se dit pas, elle se vit.


Les organismes de certains animaux à la longévité exceptionnelle (par exemple les rats-taupes nus (…) et les souris-taupes (…) qui vivent beaucoup plus longtemps que les autres rongeurs) savent réprimer de façon efficace toute émergence de cancer, ainsi qu’empêcher les métastases. Cette remarquable efficacité dans le contrôle cellulaire a permis à certaines de ces lignées animales d'aboutir à des formes géantes : la baleine bleue, les éléphants, les requins du Groenland (…) Leurs cellules saines sont donc mille fois plus efficaces pour supprimer les cellules devenues cancéreuses que ne le sont celles des humains, des chats et des chiens domestiques. En termes évolutionnels, cela se comprend très bien pour ces trois dernières espèces, car la durée de vie moyenne de leurs individus a augmenté de façon importante à une époque relativement récente – cela se mesure en siècles seulement. Ils vivent plus vieux… mais atteints de cancer.


L'enfant est relativement peu présent dans la littérature française ou allemande, beaucoup plus dans la littérature anglaise ou russe (…) chez les auteurs russes, il se révèle d'une finesse et d'une véracité exceptionnelles…


On ne peut pas vraiment motiver les gens. On peut leur prodiguer une première impulsion dans une certaine direction, ensuite l’encourager en les inspirant de façon régulière et fiable. Leur motivation leur est propre, très différente d’un individu à l'autre.


Comprendre s'est toujours avéré, pour moi une pulsion vitale. Comprendre, avec autant de précision que possible. Autrement, l'affolement me guette.


L'ennui épais, perçu comme un écoulement temporel visqueux, est un sentiment fréquent chez l'enfant, alors qu'il s’avère pratiquement absent chez le vieillard… pour qui le temps semble plutôt fuir devant lui comme un vent léger mais constant.


Au début du IV siècle AEC, dans la ville d'Athènes, Antisthène avait admiré la frugalité et l'endurance de Socrate (…) Le philosophe était né d'une mère d’origine non athénienne, ce qui ne lui permettait pas de bénéficier de la pleine citoyenneté athénienne, et il ne pouvait enseigner qu'au gymnase du Cynosarges, où étaient acceptés les demi-citoyens de la ville. Vu le nom du lieu d'enseignement, très vite on le qualifia, lui et ses auditeurs, tous des demi-métèques, de kynikos (« du chien ») (…) À la mort du fondateur, en 365 AEC, son célèbre disciple, Diogène de Synope, poussa à l'extrême l’ascèse dans le dénuement (il vivait dans un tonneau), mais aussi le verbe… mordant ! Platon le qualifiait de « Socrate devenu fou »… Le terme « cynique » prit alors une connotation nettement péjorative, d'impudeur comportementale et d'impudence langagière. On était loin du Cynisme équilibré d’Antisthène…


La structure ultime de l’espace-temps-matière semble une mousse chaotique ; pas figée, comme du polystyrène expansé… plutôt comme une structure en ébullition.


Pourquoi suis-je si souvent revenu au film 2001– L'Odyssée de l'espace et au livre de Lem, La Voix du Maître ? Deux chefs-d'œuvre sortis en 1968, une année de transition civilisationnelle (…) Je commençais à sortir de l'enfance quand je découvris le film un après-midi, pour mon plus grand bonheur dans une salle presque vide… Ce fut sans doute le choc intellectuel et esthétique le plus intense de mon existence. Il aura façonné un système nerveux encore en formation.

3 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Je découvre, redécouvre ton site ! Merci.
    Un sentiment de compréhension, d'atomes crochus dans ces phrases, dans ces expériences qui me confirme qu'il y avait une passion commune dans les mots et les images en mouvements quand on s'est croisé.

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  3. Merci pour ton message, J-P. J’espère te revoir un jour. Joyeux Noël !

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