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lundi 21 septembre 2020

"Qu’est-ce que le cinéma ?" d'André Bazin (1958)

Pour la première fois, entre l’objet initial et sa représentation, rien ne s’interpose qu’un autre objet […] La personnalité du photographe n’entre en jeu que pour le choix, l’orientation, la pédagogie du phénomène ; si visible qu’elle soit dans l’œuvre finale, elle n’y figure pas au même titre que celle du peintre.

(…) la photographie ne crée pas, comme l’art, de l’éternité, elle embaume le temps, elle le soustrait seulement à sa propre corruption.

L’univers esthétique du peintre est hétérogène à l’univers qui l’entoure. Le cadre enclave un microcosme substantiellement et essentiellement différent. L’existence de l’objet photographié participe au contraire de l’existence du modèle comme une empreinte digitale. Par là, elle s’ajoute réellement à la création naturelle au lieu de lui en substituer une autre.

Le cinéma est un phénomène idéaliste.

Le primat de l’image est historiquement et techniquement accidentel, la nostalgie qu’entretiennent encore certains pour le mutisme de l’écran ne remonte pas assez loin dans l’enfance du septième art, les véritables primitifs du cinéma, ceux qui n’ont encore existé que dans l’imagination de quelques dizaines d’hommes du XIXe siècle, sont à l’imitation intégrale de la nature. Tous les perfectionnements que s’adjoint le cinéma ne peuvent donc paradoxalement que le rapprocher de ses origines. Le cinéma n’est pas encore inventé !

(…) je distinguerai dans le cinéma de 1920 à 1940 deux grandes tendances opposées : les metteurs en scène qui croient à l’image et ceux qui croient à la réalité.

(…) la définition même du montage : la création d’un sens que les images ne contiennent pas objectivement et qui procède de leur seul rapport.

(…) des réalisateurs comme Eric von Stroheim, F.M. Murnau ou R. Flaherty. Le montage ne joue dans leurs films pratiquement aucun rôle, sinon celui, purement négatif, d’élimination inévitable dans une réalité trop abondante.
[…] un langage […] dans lequel l’image compte d’abord non pour ce qu’elle ajoute à la réalité mais pour ce qu’elle en révèle.

(…) le génie et le talent sont des phénomènes relatifs et qui ne se développent qu’en référence à une conjoncture historique. Il serait trop facile d’expliquer l’échec théâtral de Voltaire en disant que celui-ci n’avait pas la tête tragique, c’est le siècle qui ne l’était pas.

Lautréamont et Van Gogh ont pu créer incompris ou ignorés de leur époque. Le cinéma ne peut exister sans un minimum (et ce minimum est immense) d’audience immédiate.

(…) il faudrait dire du cinéma que son existence précède son essence. C’est de cette existence que la critique doit partir, même dans ses extrapolations les plus aventureuses.

Le génie de Mack Sennett, c’est d’avoir fait du burlesque à l’époque où celui-ci était possible.

Un écrivain peut se répéter, dans le fond et dans la forme, pendant un demi-siècle. Le talent d’un cinéaste, s’il ne sait pas évoluer avec son art, ne dure guère plus d’un lustre ou deux.

(…) ces désaccords profonds entre l’artiste et son art – qui vieillissent brutalement un génie et le réduisent à n’être plus qu’une femme de manies et de mégalomanie inutiles…

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