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samedi 18 mai 2019

"Michelangelo Antonioni ou la vigilance du désir" de René Prédal (1991)


… volonté de poser des questions (cinéma d’essence réflexive plus que distractive), cinéma de cinéastes plus que de scénaristes : au lieu d’avoir des histoires à raconter, le cinéma moderne aurait avant tout des images à concrétiser, des idées de plans plus que des scénarios…

… le respect de la liberté du spectateur…

Refus du liant, juxtaposition de fragments discontinus, d’espace comme de temps, choix d’anti-héros à la fois superficiels et pitoyables lancés dans une dramaturgie de documentaire-fiction ont fait de la recherche d’Anna sur l’île le prototype d’une séquence de cinéma d’aujourd’hui, image d’un monde déshumanisé où les passagers d’un yacht luxueux se croisent dans un décor nu, âpre et féroce avec une totale indifférence au tragique de cette disparition […] La « pop » ou « mod » génération de Blow up a de son coté perdu jusqu’à la conscience de son indifférence : Thomas fait bien son métier mais sa passion est brève ; « cool » en toutes circonstances, il n’a aucune prise sur les gens. Dans L’avventura, la recherche d’Anna sur l’île s’organise déjà sans véritable intérêt, ce qu’Antonioni traduisait par un lieu mal quadrillé, une photo grise, une mer noire, des mouvements sans logique, des gens qui se croisent comme à la promenade plutôt qu’investis dans une enquête les concernant personnellement. 

Le dramatique du destin de Claudia dans L’avventura vient du fait qu’elle est au début un être pur, capable d’enthousiasme, c’est à dire d’amour. Or, en deux ou trois jours, la « trahison » de Sandro en fait un personnage « antonionien » blessé par la vie, déçu et tentant pourtant de survivre, mais sans illusions. En « pardonnant » à Sandro, Claudia choisit d’assumer tout ce qu’a fui Anna, accepte d’affronter la vie, les autres et cette médiocrité angoissante d’un monde où il ne faut pas mettre la barre trop haut, consciente que l’homme est faible et qu’il est toujours prêt à retomber dans l’erreur. La grande force de ce final est d’essence cinématographique, cette main passée dans les cheveux de Sandro prenant l’exact contrepied du happy end classique. Ce geste est d’autre part une image et non une parole, ce qui lui laisse toute sa richesse expressive que n’ont pas épuisée des pages d’exégèse. 
On évoque Antonioni, « Cinéma de dédramatisation, de réalisme phénoménologique, de contemplation » (René Gilson)

[…] on parle aussi, bien sûr, de « cinéma vérité » et surtout de l’impression de liberté ressentie par le spectateur devant ce qui lui est montré. C’est une nouvelle objectivité, car la matière filmique semble moins fabriquée en vue de provoquer des réactions précises du public, d’où un « phénomène de contemplation » (Marcel Martin) face à Antonioni ou Mizoguchi. 

« … ce qui arrive maintenant, c’est non seulement qu’un seul homme est responsable de son film mais surtout que, pour la première fois, la personnalité et le caractère de cet homme deviennent une partie de son travail […] nous ne suivons pas l’histoire dans "La notte", nous contemplons un Antonioni.
[…] Ce n’est pas la réalité intérieure de ces personnages qui crée ces films, mais la réalité intérieure de leur créateur […] Il ne prêche pas, il nous entoure de son architecture personnelle, et dans ce labyrinthe nous devons trouver notre propre chemin. Et ce chemin, il nous est donné la possibilité de le trouver, mais il peut arriver que nous ne le trouvions pas. Cela ne concerne pas Antonioni. Il a construit sa propre vérité et que nous, spectateurs, arrivions ou pas à établir la nôtre, ce n’est plus son problème, c’est le nôtre. Lui fournit les briques, pas la construction. »
(Gidéon Bachman, in Cinéma 62)

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