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jeudi 28 février 2019

"Précis de décomposition" d'Emil Cioran (1949)


Jamais esprit hésitant, atteint d’hamlétisme, ne fût pernicieux : le principe du mal réside dans la tension de la volonté, de l’inaptitude au quiétisme, dans la mégalomanie prométhéenne d’une race qui crève d’idéal, qui éclate sous ses convictions et qui, pour s’être complue à bafouer le doute et la paresse - vices plus nobles que toutes les vertus - s’est engagée dans une voie de perdition…

Le fanatisme (…) N’y échappent que les sceptiques (ou les fainéants et les esthètes), parce qu’ils ne proposent rien, parce que - vrais bienfaiteurs de l’humanité- ils en détruisent les partis pris et en analysent le délire. 

Qui, avec la vision exacte de sa nullité, tenterait d’être efficace et de s’ériger en sauveur ? 

Celui qui ne s’est pas adonné aux voluptés de l’angoisse n’a pas savouré en pensée les périls de sa propre extinction ni goûté à des anéantissements cruels et doux, ne se guérira jamais de l’obsession de la mort : il en sera tourmenté, puisqu’il y aura résisté ; -tandis que celui, qui, rompu à une discipline de l’horreur, et méditant sa pourriture, s’est réduit délibérément en cendres, celui-là regardera vers le passé de la mort -et lui-même ne sera qu'un ressuscité qui ne peut plus vivre. Sa « méthode » l’aura guéri et de la vie et de la mort. 

Et celui qui parle au nom des autres est toujours un imposteur. Politiques, réformateurs et tout ceux qui se réclament d’un prétexte collectif sont des tricheurs. Il n’y a que l’artiste dont le mensonge ne soit pas total, car il n’invente que soi. 

Chaque destinée n’étant qu’une ritournelle qui frétille autour de quelques taches de sang,…

… la paresse, miraculeuse survivance du paradis. 

La vie n’est possible que par les déficiences de notre imagination et de notre mémoire.

Personne ne pourrait survivre à la compréhension instantanée de la douleur universelle… 

C’est parce que nous sommes vêtus que nous nous flattons d’immortalité : comment peut-on mourir quand on porte une cravate ? 

… chaque artiste véritable est traître à ses prédécesseurs. 

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