L’âme qui n’a point de but établi se perd : car, comme on dit, c’est n’être nulle part que d’être partout…
Nous savons dire : « Cicéron dit ainsi ; voilà les préceptes moraux de Platon ; ce sont les mots mêmes d’Aristote. » Mais nous, que disons-nous, nous-mêmes ? Que jugeons-nous ? Que faisons-nous ? Un perroquet en dirait bien autant. Cette façon de faire me fait souvenir de ce riche Romain qui avait eu le souci de se procurer, à grands frais, des hommes habiles en tout genre de science, qu’il gardait continuellement autour de lui afin que, quand il lui arriverait, au milieu de ses amis, d’avoir quelque occasion de parler d’une chose ou d’une autre, ils le suppléassent et fussent tout prêts à lui fournir qui un exposé, qui un vers d’Homère, chacun selon son gibier ; et il pensait que ce savoir était sien parce qu’il était dans la tête de ses gens ; ainsi font aussi ceux dont la compétence loge dans leurs somptueuses bibliothèques (…) Que nous sert d’avoir le ventre plein de nourriture si elle ne se digère pas ? si elle ne se transforme pas en nous ? si elle ne nous rend pas plus grands et plus forts ? (…) Quand bien même nous pourrions être savants avec le savoir d’autrui, nous ne pouvons du moins être sages que par notre propre sagesse.
Si grâce aux études notre âme ne va pas d’une allure plus réglée, si nous n’avons pas le jugement plus sain, j’aimerais autant que mon étudiant eût passé le temps à jouer au jeu de paume : au moins son corps en serait plus agile.
Quand les Goths ravagèrent la Grèce, ce qui sauva toutes les bibliothèques d’être passées au feu, ce fut l’un d’entre eux qui répandit cette idée qu’il fallait laisser ce bien meuble intact aux ennemis parce qu’il était propre à les détourner de l’exercice militaire et à les amuser à des occupations sédentaires et oisives.
(…) le nom de la vertu présuppose de la difficulté et de l’opposition…
(…) il est plus beau, par une haute et divine fermeté, d’empêcher la naissance des tentations, et de s’être formé à la vertu de manière que les semences mêmes des vices en soient déracinées que d’empêcher de vive force leur progrès et que, si on est s’est laissé surprendre par les premiers accès des passions, de s’armer et de se raidir pour arrêter leurs course et les vaincre…
(…) celui qui veut user de châtiments ne doit en avoir ni faim ni soif.
Et puis les châtiments qui sont infligés avec pondération et discernement sont bien mieux acceptés, et avec plus de profit, parce celui qui les supporte.
Je ne vois jamais un auteur, spécialement parmi ceux qui traitent de la vertu et des devoirs, sans que je ne recherche avec soin quel homme il a été.
On incorpore la colère en la cachant (…) Je conseille que l’on donne plutôt un soufflet à son valet un peu à contretemps que de mettre sa propre humeur à la gêne pour montrer le sage comportement dont je parlais, et j’aimerais mieux faire voir mes passions que de les couver à mes dépens : elles s’alanguissent en se mettant à l’air et en s’exprimant…
(…) ils économisent leur colère et ne la répandent pas à tort à travers, car cela en contrarie l’effet et le poids : la criaillerie inconsidérée et courante devient une habitude et fait que chacun la méprise…
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