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vendredi 28 novembre 2014

« Nous autres, gens des rues » de Madeleine Delbrêl (1966)

(…) évangéliser, ce n’est pas convertir ; annoncer la foi, ce n’est pas donner la foi.

Il est si grand qu’il ne laisse place à nul autre, sinon en lui. Le monde entier nous est comme un face à face avec lui dont nous ne pouvons nous évader.

Nous autres gens de la rue, nous savons très bien que tant que notre volonté sera vivante nous ne pourrons pas aimer pour de bon le Christ.
Nous savons que seule l’obéissance pourra nous établir dans cette mort.
Nous envierons nos frères religieux si nous ne pouvions, nous aussi, mourir un peu plus à chaque minute.
Les menues circonstances sont des « supérieures » fidèles. Elles ne nous laissent pas un instant et les « oui » que nous devons leur dire succèdent les uns autres autres.
Quand on se livre à elles sans résistance, on se trouve merveilleusement libéré de soi-même. On flotte dans la Providence comme un bouchon de liège dans l’eau.

Nous ne savons que deux choses : la première, que tout ce que nous faisons ne peut être que petit ; la seconde c’est que tout ce que Dieu fait est grand.
Cela nous rend tranquille devant l’action.
Nous savons que tout notre travail consiste à ne pas gesticuler sous la grâce, à ne pas choisir les choses à faire  et que c’est Dieu qui agira par nous.

Chaque acte docile nous fait recevoir pleinement Dieu et donner pleinement Dieu dans une grande liberté d’esprit.
Alors la vie est une fête.
Chaque petite action est un événement immense où le paradis nous est donné, où nous pouvons donner le paradis.

Cette incarnation de la parole de Dieu en nous, cette docilité à nous laisser modeler par elle, c’est ce que nous appelons le témoignage.
Si notre témoignage est souvent si médiocre, c’est que nous nous ne réalisons pas que pour être témoin, il faut le même héroïsme que pour être martyr.
Pour prendre la parole de Dieu au sérieux, il faut en nous toute la force du Saint-Esprit.
« Vivre aujourd’hui comme si je devais ce soir mourir martyr » écrivait le Père de Foucauld.

Tout livre témoigne que les frontières de l’âme sont au-delà de la chair et que ses dimensions ne se touchent pas avec les mains.

Celui qui laisse pénétrer en lui une seule parole du Seigneur et qui la laisse s’accomplir dans sa vie, connaît plus l’Evangile que celui dont l’effort restera méditation abstraite ou considération historique. L’Evangile n’est pas fait pour des esprits en quête d’idées. Il est fait pour des disciples qui veulent obéir.

Celui qui dit « Notre Père qui êtes aux cieux » et qui vit en enfant de la terre est un menteur.
Pour cesser d’être un menteur, il faut se convertir.
Nos racines sont en terre.
Il faut les mettre au ciel.
Pour que l’arbre de notre vie pousse ses branches sur la terre et les oiseaux puissent y nicher, il faut le planter la tête en bas.
La croix où saint Pierre est crucifié à l’envers est l’image de toute vie évangélique.

On se scandalise, et toujours à juste titre, que des salaires insuffisants ne permettent pas de donner et la nourriture suffisante et les études appropriées à ces millions d’hommes (…) Je pense qu’il y a une dégénérescence et des infirmités et des monstruosités qui, sur le plan de l’esprit, sont tout aussi scandaleuses et qui viennent d’une famine des intelligences auxquelles on ne donne plus à manger ce par quoi elles devraient être nourries.
On se scandalise et plus encore et plus justement encore, que certains hommes s’arrogent le privilège de rompre la communauté humaine au nom d’une caste à laquelle ils attribuent des droits et des besoins particuliers.
N’y a-t-il pas un scandale plus grand à rompre la communauté naturelle de l’homme et de Dieu en prenant son parti d’enlever à l’homme le droit à l’esprit ?
Tout homme a sa prise de terre et son antenne. On a laissé les prises de terre, les antennes se sont détériorées : on ne peut plus capter les ondes.

Il nous faut prendre conscience de l’invasion de vérités diminuées qui saturent les yeux de nos frères et les nôtres (…) A nous, en les laissant elles-mêmes, de leur redonner leur sens, de les convertir.

… il nous fait savoir que le partage de la mentalité et de la sensibilité d’un milieu ouvrier, le partage de ses aspirations et de ses rejets, même si nos les rectifions et les épurons, constitue, s’il est notre seul témoignage, un contre-témoignage de note mission. Nous ne devrons jamais laisser s’établir une équivoque sur le fait que Dieu, pou nous, est le seul bien absolu et grâce à qui tous les autres biens sont bons parce que venant de lui.

La bonté (…) Aujourd’hui elle est souvent presque péjorative. Personne n’a le goût d’être une bonne fille, une bonne pâte… Quelle ambition se vouerait à une bonne œuvre ? Qui reconnaîtrait le mot « bon » dans une bonne affaire ? Qui sera sûr que « bon chrétien » équivaut à ce qu’est un saint ? (…) Et cette détérioration d’un mot est presque toujours les signe que la réalité qu’il signifiait a disparu. Rien en effet n’est plus insolite à notre monde qu’un être bon. Dans ce même monde tout ce qui a remplacé la bonté : la solidarité, la générosité, le dévouement, est accompagné dans les vies individuelles, d’une indifférence aveugle pour des multitudes d’êtres humains ; dans la vie économique, d’un cynisme implacable ; dans la vie politique, de cruauté ; dans la vie internationale, d’un mépris gigantesque pour la faim des autres, la mort des autre, l’oppression physique ou morale des autres. Le cœur des hommes de notre temps s’asphyxie lentement, sournoisement, d’une absence universelle : celle de la bonté.
Aussi la rencontre d’un homme réellement bon, d’une femme réellement bonne, produit-elle sur d’autres hommes, sur d’autres femmes, quelque chose qui ne relève pas du domaine de la pensée, un véritable phénomène d’oxygénation du cœur. Ces hommes, ces femmes réalisent que quelque chose d’essentiel à leur vie humaine leur est rendu.
La bonté (…) n’est authentique, pleine, robuste, sans boursouflure et sans lacune que si elle est la conséquence de la charité en nous, que si elle vient de Dieu, que si elle est un reflet de Dieu (…)

La bonté dont je parle ici, ce n’est pas avoir bon cœur, avoir naturellement bon cœur. Elle ne serait pas la bonté de Jésus-Christ si elle n’y arrivait pas. Pourtant, le chrétien ne peut pas compter sur son cœur ainsi rénové comme sur un don définitif. Ce qui lui est donné définitivement, c’est le cœur de Jésus-Christ, la faculté définitive de pouvoir y régénérer à chaque instant son propre cœur.

Le monde nous force à être nous-même, plus autre chose : famille, profession nationalité, race, classe…(…) Pour la bonté de Jésus-Christ, c’est chacun qui existe et tout le reste devient seul coup relatif.

Mais la bonté du Christ tient tout pour guérissable, elle nous apprend que ce nous-même si malmené par le monde a une valeur absolument indépendante de la richesse, de la puissance, du brio, de l’influence, de la force et de la réussite.

Car ce qui donne à cette femme valeur de signe chrétien, d’image lointaine mais fidèle de la bonté de Dieu, c’est qu’elle a été bonne parce qu’elle été habitée par la bonté, non parce que j’étais « des siens », familialement, socialement, politiquement, nationalement religieusement. J’étais « l’étrangère » sans indice d’identité. J’avais besoin de bonté (…) elle est un exemple absolu de la bonté parce que j’étais « n’importe qui » et « n’importe quoi » et que ce qu’elle m’a fait elle l’a fait parce que la bonté était en elle, non pour ce que j’étais moi.

Ce qui est important, très important, c’est de repérer des hommes qui sont d’abord ou nos voisins, ou des membres de notre famille, ou des camardes de travail, ou des relations de sport, de camping, de vacances – en un mot, des gens que nous n’avons pas choisi de connaître, mais que Dieu a voulu ou permis qu’ils soient dans notre vie.

Nous restons libres d’accepter ou non la volonté du Seigneur. Mais nous savons toujours quelques chose d’indiscutable dans la volonté du Seigneur : nous devons aimer le Seigneur. Nous ne pouvons pas l’aimer sans aimer chacun de tous les hommes autant que nous (c’est le minimum) ; nous ne pouvons pas aimer les hommes d’un amour qui nous empêche d’aimer le Seigneur.

Si nous sommes si souvent des apostats partiels et pratiques, c’est que nous sommes des oublieux.

La foi est chargée de nous faire accomplir dans le temps, de l’éternel.

(…) la place du don de Dieu, c’est tout ce que nous sommes et rien d‘autre, pour une greffe mystérieuse à laquelle nous devons tout entiers fournir un terrain de vie.

Notre Seigneur a parlé d’un vie : il n’a pas parlé d’un programme d’étude qu’il faudrait parcourir comme pour un examen. Il n’a pas parlé d’un système politique pour organiser la vie des hommes ; il n’a pas parlé d’une doctrine philosophique faite pour nous donner une vue objective du monde. Il ne nous même pas parlé d’un traité sur Dieu fait pour réjouir notre intelligence. Il nous a parlé d’une vie qui, reçue par nous, nous permettrait de vivre par elle. Il nous parlé d’une vie où savoir que Dieu nous aime et pouvoir l’aimer à notre tour ne feraient qu’un ; d’une vie vécue par chacun avec tous, et avec tous pour Dieu et par Dieu.

Même quand elle vise l’éternité, l’espérance chrétienne espère le présent, car ce qu’elle espère pour l’éternité existe déjà et existe pleinement. L’espérance chrétienne espère Jésus-Christ, espère Dieu. Ce que Dieu était hier, il le reste aujourd’hui, il le sera demain. Et Jésus-Christ est ressuscité pour toujours.

Sur la terre, l’Eglise est faite pour se battre ; par vocation elle est en lutte contre le mal ; par mission elle est sans cesse à la lisière du mal ; par fonction, elle délivre du mal.

Un amour réaliste de l’Eglise comporte nécessairement de recevoir des coups et de porter des plaies… 

Le travail de l’Eglise, c’est le salut du monde : le monde ne peut être sauvé que par l’Eglise. L’Eglise n’est l’Eglise que parce quelle sauve.

(…) notre vocation exige que nous choisissions, chaque jour et à chaque heure, d’être fidèles à la fidélité de Dieu pour nous. Sur la terre, ce choix ne peut être que déchirant. Mais l’espérance nous interdit d’en faire jamais un dolorisme. C’est la souffrance de la femme qui met un enfant au monde.

L’héroïsme de la bonté, lui, n’a pas beaucoup d’amateurs.

(…) s’il peut y avoir de la bonté sans charité, il n’y a jamais de charité sans bonté.

Car, même dans un monde peuplé de bonnes gens, la bonté d’un cœur converti au Christ ne ressemblerait pas aux autres bontés. Cette bonté propre au Christ ne laisse place à nos inventions que lorsque nous avons satisfait à ses lois qui sont strictes et précises. Elle réclame que nous aimions n’importe qui, jusqu’au bout et n’importe quand. Elle n’accepte aucune bonne raison de ne pas être bon.

Près d’un incroyant, la charité devient évangélisation, mais une évangélisation ne peut être que fraternelle (…) nous venons parler d’un Père commun, connu des uns, ignorés des autres ; come des pardonnés, non comme des innocents ; comme des gens qui ont eu la chance d’être appelés à croire, de recevoir la foi, mais de la recevoir comme un bien qui n’est pas à nous, qui est déposé en nous pour le monde… 

L’état de foi vivante c’est être enfant de Dieu dans le Christ avec tous ses frères qui sont avec lui dans le Christ, le Christ total, le Christ-Eglise. Ce Jésus sauveur, dans sa dimension actuelle et totale, n’est pas seulement le Jésus homme-Dieu de Palestine mais le « Jésus de maintenant, l’Eglise ». (Jacques Loew)

(…) manquer de Dieu est pour l’homme plus que toutes les misères réunies. C’est sa misère propre d’homme : manquer de nourriture est une misère qui peut être aussi celle du monde animal, mais être sans Dieu atteint ce qui est spécifiquement humain en lui et le monde qu’il construira restera « dénaturé », « inhumain » (Jacques Loew)

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