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dimanche 2 novembre 2025

« Le maître de la terre »  de Robert Hugh Benson (1907)

- Pour résumer la situation, dit-il, il n'y a plus au monde que trois forces qui comptent : le catholicisme, l'humanitarisme et les religions de l’Orient (…) l’humanitarisme, contrairement à l'attente générale de naguère, est en train de devenir lui-même une religion organisée, malgré sa négation du surnaturel. Il s'est associé au panthéisme : sous la direction de la franc-maçonnerie, il s'est créé des rites qu'il ne cesse point de développer; et il possède, lui aussi, un Credo: « L'homme est dieu », etc (…) Et puis, ils sont libres, eux, de déployer abondamment leurs symboles, tandis que cela nous est interdit ! Je suis d'avis que, avant dix ans, leur doctrine sera légalement établie comme religion officielle, dans l'Europe entière.

Il songeait à cette ruche infinie d'hommes et de femmes qui, remplissant l'espace ouvert devant lui, avaient enfin appris pour toujours les principes de l'Évangile nouveau : à savoir qu'il n'y avait d'autre dieu que l'homme, d'autres prêtres que les chefs d'État, ni d'autres prophètes que les maîtres d'école.


- (…) Mais comment donc ce prêtre peut-il y croire?

Il avait l'air, pourtant, lui aussi, d'un homme très intelligent !

- (…) Mais tu sais bien, toi-même, dans le fond de ton cœur, que ce sont les gens de l'euthanasie qui sont les seuls vrais prêtres !


Il commença, comme il faisait toujours, par un acte délibéré de renoncement au monde sensible. Il s'efforça de descendre jusqu'au fond de soi-même ; bientôt l'appel de l'orgue, le bruit des pas, la dureté du banc de bois sous ses genoux, tout cela disparut pour lui, et il eut l'impression de n'être rien qu'un cœur qui battait, et un esprit qui enfantait d'incessantes images. Puis il fit une nouvelle descente : il renonça à tout ce qu'il était et possédait, et eut conscience que son corps même s'évanouissait, tandis que son esprit et son cœur, dominés par la sublime présence qui se dressait devant eux, se soumettaient docilement à la volonté de leur maître. De nouveau il soupira, en sentant cette Présence se rapprocher de lui ; il répéta machinalement quelques paroles, et tomba enfin dans cette paix qui suit le suprême renoncement à la pensée personnelle.


- Avez-vous remarqué combien peu de grands hommes nous possédons, à présent ?


La place entière (…) lorsque passaient les sociétés de bienfaisance et les guildes démocratiques…


Son père était un de ceux qui, soixante-dix ans auparavant, avaient le plus travaillé à détruire la Chambre des lords, dont il était membre ; et son fils avait dignement continué son œuvre (…) toutes les musiques entonnèrent l'hymne maçonnique.


(…) M. Felsenburgh constitue le premier produit vraiment parfait de cette nouvelle humanité cosmopolite, dont la création a été l'objet inconscient et continu de tous les efforts du monde, à travers l'histoire. Dans neuf cités de l'Orient - Damas, Irkoutsk, Constantinople, Calcutta, Bénarès, Nankin, et trois autres -, une foule mahométane l'a acclamé comme le dernier messie (…) M. Felsenburgh n’a même jamais formé un parti. C'est lui en personne, et non pas son groupe, qui a tout conquis (…) l’organiste a frappé les premiers accords de l'hymne maçonnique (…)

« Il n'y aura plus d'appel aux armes, mais à la justice ; les hommes ne s'adresseront plus à un Dieu qui s'obstine à se tenir caché, mais bien à l'homme, qui a appris sa propre divinité. »


- Songez comme le christianisme a échoué, comme il a divisé les nations ; rappelez-vous toutes les cruautés de l’Inquisition ; les guerres de religion ; les séparations entre mari et femme ; entre parents et enfants ! Oh ! oh ! vous ne pouvez pas croire que tout cela fût bon ! Quelle espèce de Dieu que celui qui aurait permis tout cela ?

Ou bien encore, l’enfer : comment avez-vous jamais pu croire à cette chose horrible ? Je vous en supplie, mère, rendez-vous compte que cette religion d'autrefois n'était rien qu'un odieux cauchemar ! Pensez à ce qui est arrivé la nuit dernière, quand Il est venu, Lui dont vous avez si peur ! Je vous ai dit comment Il était : si calme et si fort ! et comment six millions de personnes l'ont vu. Et pensez à ce qu'Il a fait : Il a guéri toutes les vieilles plaies, Il a assuré la paix à l’univers ; et, maintenant, quelle vie merveilleuse va commencer ! Je vous en supplie, mère, consentez à abandonner ces affreux mensonges qui vous torturent !


Elle lâcha les mains mortes et montra le rosaire qui y était encore enroulé.

- J’ai fait ce que j'ai pu! sanglota-t-elle. Je me suis bien gardée d'être dure avec elle. Mais elle n'a pas voulu m'écouter. Elle a continué à appeler son prêtre, aussi longtemps qu'elle a pu parler.

- Ma chérie... commença Olivier.

Et il s'agenouilla, lui aussi, à côté de sa femme, se pencha en avant et baisa les mains qui tenaient le rosaire.

- Ah ! oui, dit-il, laissons-la en paix ! et qu'elle garde son hochet, puisqu'elle l'aimait si fort !

Il s'arrêta.

- L’euthanasie ?... murmura-t-il, ensuite, avec un mélange de tendresse et d'anxiété.

- Oui, répondit-elle. Aussitôt que j'ai vu les signes de l’agonie ! elle a résisté, mais je savais que c'était ton désir.


Car ce qu'il avait laissé derrière lui, à Londres, dix heures auparavant, lui apparaissait comme un bon échantillon de ce que devaient être les cercles supérieurs de l’enfer. C'était un monde d'où Dieu s'était retiré, mais en le laissant dans un état de profonde satisfaction de soi-même, dans un état dépourvu d'espoir comme de crainte, mais admirablement pourvu de toutes les conditions du bien-être (…) Felsenburgh avait découvert un moyen d'assurer librement la nourriture à tous. On avait trouvé le secret de la vie, et les hommes n'allaient plus connaître ni la maladie ni la mort. Voilà ce que l'on se disait, dans les rues, dans les voitures publiques, dans les conversations intimes ! Les journaux n'étaient remplis que d'affirmations de ce genre... Oui, et à tout cela, il manquait seulement, songeait Percy, ce qui rend une vie digne d'être vécue !


Absolument indifférent à l'opinion du monde, toute sa politique avait consisté en une chose très simple : toujours, invariablement, dans une innombrable série d'encycliques, il avait déclaré que l'objet de l'Église était de glorifier Dieu en produisant dans l'homme des vertus surnaturelles et que toutes les actions du monde n'avaient de signification ni d'importance que dans la mesure où elles tendaient à ce seul objet.


Tous savaient, à coup sûr, qu'il n'y avait personne pour les défendre, excepté Dieu seul. Et Percy se disait que, si le sang des hommes et les larmes des femmes ne parvenaient pas à toucher le Juge suprême et à le faire sortir de son silence, du moins ce renouvellement de la mort de son Fils unique, s'accomplissant aujourd'hui avec une si pathétique splendeur, sur cet îlot de foi, parmi un océan de risées et de haines, que cela, du moins, devait porter son fruit !


Il voyait, par exemple, que, tandis que la religion de l'humanité tâchait à abolir la souffrance, celle-ci était un fait qui jamais ne se laisserait supprimer et que la religion divine était autrement raisonnable, qui reconnaissait la souffrance pour nécessaire et lui accordait une place dans le plan total du Créateur.


« Cette paix véritable qui doit nous être donnée ne concerne pas seulement les relations des hommes entre eux, mais aussi les relations des hommes avec leur Créateur : et c'est sur ce point nécessaire que les efforts actuels du monde se trouvent avoir échoué. Et, en vérité, il n'est pas étonnant que, dans un monde qui a rejeté Dieu, ce sujet essentiel soit perdu de vue ! Les hommes, pervertis par des séducteurs, ont pensé que l'unité des nations était le bien le plus précieux de cette vie, oubliant les paroles de notre Sauveur, qui a dit qu'il ne venait point pour apporter la paix, mais un glaive, et que ce n'était qu'à travers bien des tribulations que nous pourrions entrer au royaume de Dieu. Et, d'abord, donc, il convient d'établir la paix de l'homme avec Dieu : après quoi l'unité de l'homme avec l'homme s'ensuivra. Cherchez d'abord le royaume de Dieu, nous dit Jésus Christ, et alors toutes ces choses vous seront données par surcroît !

(…) Nous renouvelons, une fois de plus, les condamnations prononcées, par Nous-même ou nos prédécesseurs, contre toutes sociétés, organisations, ou communautés, qui ont été formées pour établir l'unité sur d'autres fondements qu'un fondement divin ; et Nous rappelons à nos enfants, à travers le monde entier, qu'il leur est défendu d'entrer dans une quelconque de ces associations, ou de l'aider ou de l'approuver d'une manière quelconque.


D'un consentement unanime, les être inutiles, les mourants étaient délivrés de l'angoisse de vivre ; les maisons spécialement réservées à l'euthanasie lui prouvaient assez combien un tel affranchissement était légitime. Et si d'autres y recouraient, pourquoi s’en priverait-elle, en présence de ce poids qu'elle se sentait incapable de porter ? (…) Le tout-puissant, le bien-aimé, dieu, c'était l’homme : et Felsenburgh était son incarnation.


Non point que l'on dût se repentir ! disait encore la puissante voix. Mais il y avait quelque chose d'infiniment supérieur au repentir : la connaissance des crimes dont l'homme était capable, et la volonté de mettre à profit cette connaissance. Rome avait disparu, et la façon dont sa disparition s'était opérée avait été déshonorante pour l'humanité nouvelle ; et, cependant, combien cette disparition de Rome allait, à l'avenir, rendre plus respirable l'atmosphère de la vie universelle! (…)

- Oh ! Humanité ! s'était-il écrié, notre mère à tous ! (…) Car il leur avait semblé que ce n'était plus un homme, ni même l'Homme, qui parlait, mais un être d'espèce supérieure, parvenu au degré du surnaturel (…) ces courts aphorismes qui étaient l'un des modes d'expression favoris de Felsenburgh. « Nul homme ne pardonne, disait, par exemple, celui-ci : ce qu'on appelle pardonner, c'est seulement comprendre. » Ou bien: « Il faut une foi suprême pour renoncer à croire en Dieu.»

Ou bien encore: « Un homme qui croit en soi-même est seul capable de croire en son prochain. » (…) Felsenburgh disait encore: « Pardonner un mal commis, c'est approuver un crime. »


Le sens social régnait dans sa perfection. Les hommes avaient appris la leçon sociale du christianisme, mais en la séparant de son divin Précepteur ; ou plutôt même, disaient-ils, c'était malgré lui qu'ils l'avaient apprise.


Ici, nulle trace d'une ardente pression humaine, nul témoignage de cet effort continu et stérile qu'on appelait la civilisation (…)

Car les portes de l'enfer ne sauraient prévaloir contre l'Église du Christ ; quand Rome tomberait, le monde tomberait avec elle ; et, quand le monde tomberait, le prêtre savait qu'alors le Christ se manifesterait dans sa puissance.


Et puis, il n'y avait au monde qu'une seule religion dont l'existence fût dangereuse, par la prétention qu'elle manifestait à une autorité universelle : la religion catholique (…) Le crime suprême de haute trahison contre l'homme, cette religion seule le commettait : et nul autre remède adéquat ne pouvait convenir, contre elle, que sa complète suppression de la surface du monde.


Elle croyait fermement, avec tout le monde désormais, que (…) Il y avait un certain degré de détresse à partir duquel l'individu ne pouvait plus être nécessaire à soi-même ni aux autres ; et, dans ces conditions, la mort était l'acte le plus charitable qui pût être accompli.


La chaleur, ce matin-là, était vraiment terrible (…) ou bien peut-être était-ce le contrecoup de nouveaux tremblements de terre, dans une autre région du globe, pareils à ceux qui, depuis quelques jours, s'étaient produits sur divers points avec une intensité effroyable (…) N’importe, le voyage serait curieux, ne fût-ce que pour l'observation de ces changements climatériques : à la condition, toutefois, songea Olivier, que la chaleur ne devint trop intolérable, lorsqu'on traverserait les pays du Sud.


Mais ce moment finit par arriver, cette tranquillité délicieuse dont Dieu récompense l’âme fidèle et confiante, ce point de repos absolu qui sera, un jour, l'éternelle rémunération des enfants de Dieu. Désormais, il n'y avait plus en lui aucune velléité d’analyse de soi-même, ni de réflexion sur autrui. Il avait franchi le cercle où l'âme regarde au-dedans de soi, pour s'élever à celui d'où elle regarde la Gloire éminente…

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