Notes de lecture
Recopier des textes pour les ruminer. Les diffuser pour les partager. Servez-vous ! Patrick Bittar ------------"Tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux" (Évangile selon saint Matthieu, 13,52)
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dimanche 23 février 2025
« La chevelure sacrifiée » de Bohumil Hrabal (1976)
dimanche 9 février 2025
« Que faire ? » de David Engels (2019)
Ainsi, même si nous nous sentons parfois seuls, démunis et même défaitistes, notre nombre est sans doute beaucoup plus grand que ne veulent l'imaginer la plupart de ces hommes politiques dont toute la carrière est bâtie sur la déconstruction des valeurs traditionnelles, sur la destruction de la solidarité entre êtres humains et sur la peur exercée sur l'esprit de ceux qui oseraient s'écarter du chemin tordu du politiquement correct. Le potentiel de changement est là - mais il faut craindre qu'il ne se manifeste qu'une fois le système politique et social actuel entièrement discrédité par sa chute économique et un état de guerre civile latente.
S'opposer, et ne serait-ce que sur un seul point, à la naïveté ou, bien souvent, à l'hypocrisie qui domine ce discours, signifie donc facilement être rejeté dans la totalité de sa personne et se retrouver rapidement en marge de la société.
(…) des formes de pensée aussi diverses et dangereuses que l'ultra-libéralisme, le langage politiquement correct, le gender mainstreaming, le masochisme culturel, l'idéalisation aveugle des minorités en tous genres, l'esprit de la mondialisation à tout prix, le court-termisme, l'esthétique de la laideur, le multiculturalisme abusif, la pensée technocratique, etc.
Aujourd'hui, l'État, c'est surtout cet organisme de plus en plus orwellien qui nous espionne jour et nuit, dont les forces de l'ordre interdisent nos manifestations, dont les organes «politiques» stigmatisent tous leurs opposants comme ennemis de l'humanité, dont les rentrées financières - nos impôts ! - servent à nourrir les pauvres de ce monde et à renflouer les banques, mais pas à arrêter la paupérisation de nos propres citoyens, dont les écoles gâchent nos enfants, dont les représentants abandonnent joyeusement tous les jours un peu plus des droits qui leur sont restés au profit d'opaques institutions internationales, dont les élites nous vantent les bienfaits de toutes les autres cultures tout en nous inculquant la mauvaise conscience pour les «crimes» de notre propre passé, et dont les politiciens et les juristes se plaisent à ridiculiser le passé chrétien tout en plaçant sous délit d'islamophobie toute critique de la religion de nos nouveaux concitoyens.
D'un ensemble socialement et culturellement largement homogène, l'Europe se transforme en une somme d'innombrables groupements religieux et ethniques souvent antagonistes, et, au lieu de s'opposer à ce morcellement, nos institutions, sous couvert de la protection des minorités et de la subsidiarité, l'avantagent au maximum afin de couper court à toute résistance généralisée de la part d'une citoyenneté dépossédée de ses propres institutions.
Entourez-vous de gens qui pensent comme vous et essayez d'agrandir peu à peu le cercle de ceux que vous jugez comme fiables et fidèles. Dans la société de demain, peu importe désormais qui est riche ou pauvre, influent ou impuissant ; tout ce qui comptera, comme en temps de guerre, sera le degré de confiance que nous pourrons avoir en notre prochain.
Car le véritable problème réside non dans l'adaptation ou non de la société humaine à son environnement naturel, mais au contraire dans la nécessité de l'humain de se sentir chez lui dans la nature et de réaliser qu'il en fait partie et qu'il a besoin du contact régulier avec la vie et ses composantes simples afin de renouer avec la véritable condition humaine.
(…) nous sommes loin des temps du Moyen Âge ou du Grand Siècle où même les objets les plus anodins de la vie de tous les jours étaient conçus dans un souci d’esthétique…
Car il y a aussi ceux qui, en parlant de la «criminalité» de l'ornementation comme Loos, de la «beauté» des lignes pures d'acier et de béton comme Sullivan, ou de la nécessité à transformer son habitation en une «machine» inhumaine et bien huilée comme Le Corbusier, ont profondément mis en péril la qualité esthétique de notre vie. En dénigrant le besoin inné en chaque humain de vivre dans un environnement reflétant de manière idéale ses propres proportions, ils ont durablement déstabilisé la conception classique de l'art, décriée, jusqu'à aujourd'hui, comme atavisme arriéré et réservé, dans le meilleur cas, à des cercles élitistes, dans le pire, petit-bourgeois.
(…) la réalité vécue de l'émancipation a provoqué, d'un côté, la masculinisation de la femme, et d'un autre côté, la genèse d'un idéal androgyne s'imposant de plus en plus aux deux sexes. Masculinisation, car la femme moderne est désormais soumise aux mêmes règles impitoyables des «marchés» et de la compétitivité et donc obligée de s'aligner sur un mode de fonctionnement développé par et pour des hommes.
(…) Restez fidèle aux idéaux chevaleresques qui ont fait la grandeur et la richesse de notre civilisation, et soyez fiers de l'importance de la femme dans l'histoire occidentale, où, depuis le Moyen Âge avec son roman courtois et sa vénération de la Vierge, elle a toujours occupé une place des plus importantes et de plus en plus émancipée, sans pour autant que l'on ait nié la nature complémentaire et non identique des deux sexes qui constitue justement toute la richesse de notre société.
Si vous faites quelque chose, faites-le entièrement, et ne pensez pas au résultat futur de votre action, mais simplement à ce que l'action soit bien faite afin de pouvoir être fier de votre acte - une fierté non pas basée sur l'importance ou la difficulté de ce que vous venez d'accomplir, mais plutôt sur la manière dont vous ne faites qu'un avec votre travail.
(…) il ne faut pas oublier que chaque nouveau million d'étrangers représente un million de voix de plus en soutien aux partis politiques qui s'érigent en défenseurs de la prétendue «tolérance», et que l'atomisation de la société européenne traditionnelle joue le jeu des grandes entreprises qui ont de moins en moins à craindre des structures d'opposition et de solidarité traditionnelles ...
Comme l'avait prédit Gramsci, le combat politique n'est pas décidé par celui qui a les meilleurs arguments, mais par celui qui réussit à imposer sa sémantique politique à l'entièreté de la société.
Car l'Europe n'est nullement la «patrie» de la liberté, de la démocratie, de l'égalité, du droit ou de la fraternité, puisque toutes ces valeurs ont aussi, à un moment ou un autre de l'histoire, marqué des phases bien spécifiques dans l'évolution des autres grandes cultures humaines avant de disparaître à nouveau, comme l'ont montré Spengler et Toynbee.
C'est donc un curieux symptôme de l'eurocentrisme et de l'occidentalisme voilé de nos élites d'usurper la paternité exclusive de ces valeurs pour l'Europe tout en avilissant coûte que coûte l'histoire-même de notre continent (…) l’identité européenne ne peut être réduite à ces valeurs uniquement, et il faudra insister sur le fait qu'elle est également constituée d'une foule d'autres éléments essentiels comme l'histoire partagée, la proximité des langues, les traditions, l'esthétique de l'art européen, l'amour d'un certain terroir, l'élan spirituel issu du christianisme, etc. D'ailleurs, la réalité avec laquelle ces valeurs universalistes sont vécues au quotidien est également tout sauf véritablement universelle, car plus important encore que les mots est l'esprit qui les anime et qui, lui, ne pourra jamais être exporté d'un bout du monde à l'autre sans changer graduellement de signification. Ainsi, les institutions politiques du Japon ou de l'Inde, pourtant «démocratiques», sont construites sur une base émotionnelle, spirituelle et culturelle radicalement différente de celle des États-Unis ou de l'Allemagne, pour ne citer que quelques exemples, et vanter des valeurs abstraites, tout en niant la spécificité des esprits qui les anime, est d'une naïveté affligeante.
De même, qui peut croire réellement qu'en faisant le copier-coller du système éducatif finlandais, tant vanté pour le moment, en France, en Italie ou en Grèce, sans pour autant adopter tout le style de vie, la mentalité, le passé et même le climat des Finlandais, on arriverait aux mêmes résultats qu'en Finlande ? Dès lors, qu'on cesse de parler et de légiférer sur des «valeurs», et qu'on accepte enfin qu'une culture soit beaucoup plus que l'ensemble de ses lois, et que ce qui l'anime réellement sont des facteurs beaucoup plus complexes.
Tout d'abord, au 19è siècle, quand furent jetées les bases du parlementarisme moderne, les distinctions politiques entre ces deux directions étaient beaucoup moins évidentes, car outre des partis défendant essentiellement deux visions économiques du monde, existait aussi une série de partis politiques représentant plutôt des confessions, des systèmes politiques et même des orientations dynastiques. La synthèse artificielle en une mouvance de «gauche» et une autre de «droite» avec, comme fourre-tout confortable pour les autres partis, la catégorie des «extrémistes», est donc relativement récente dans l’histoire.
(…) renvoyez ces mots à ceux qui vous les adressent, en demandant ce qu'ils veulent dire.
Néanmoins, sachez que bon nombre des partis extrémistes font partie du problème, non de sa solution, et que, une fois atteint le fond de notre déclin collectif, la renaissance ou au moins la défense de ce qui restera de l'Europe ne viendra pas de ceux qui parlent de frontières, de nations et d'expulsions, mais de ceux qui défendront les valeurs historiques de notre civilisation au niveau européen : la véritable frontière qu'il s'agit de défendre coûte que coûte afin de sauver le citoyen européen du désastre n'est ni celle située sur le Rhin et séparant la France et l'Allemagne, ni celle sur les Alpes et séparant le «sud» du «nord» de l'Europe, mais bien celle qui se trouve aux portes du Bosphore et qui sépare l'Occident du monde musulman.
(…) dès qu'un État tente de se libérer du carcan de l'idéologie universaliste et de la toute-puissance de l'ultralibéralisme, il est ostracisé par ses voisins et étranglé politiquement et économiquement jusqu'à ce qu'il rentre dans les rangs, comme nous l'avons vu en Autriche et en Grèce et comme nous le voyons actuellement en Hongrie, en Pologne et au Royaume-Uni (…) la conclusion erronée et néfaste qu'un rejet de l'Union européenne implique automatiquement le rejet du projet européen en tant que tel.
Car la culpabilité a cessé d'être un véritable sentiment et est devenue une arme : arme pour maintenir un demi-milliard de personnes dans la docilité aveugle face à une caste de prophètes auto-proclamés de la probité morale et politique…
Le résultat de cette démarche est inévitable : la réécriture de l'histoire européenne comme longue série de crimes ; l'endoctrinement de notre jeunesse dans le sens d'une aliénation totale des valeurs de notre passé ; l'abandon de soi et l'idéalisation de l’autre ; et finalement, la dissolution de l'identité européenne dans le melting-pot d'une société mondialisée, où une élite politique et financière gouverne des masses divisées en de multiples ethnies et sectes s'affrontant continuellement et manquant de tout sentiment de solidarité face à leurs exploiteurs.
Depuis lors, les inégalités sociales, la paralysie politique générale, le chômage, la pression idéologique de la pensée unique, la délocalisation, la dictature des «marchés», l'abandon de structures démocratiques au profit d'opaques institutions internationales et le remplacement d'une démographie vacillante par l'importation systématique d'êtres humains venant d'autres espaces culturels - tout cela n'a cessé de croître, tout comme la grogne populaire, et nous avons déjà dépassé le point de non-retour depuis longtemps et ne pouvons que nous attendre à un effondrement généralisé.
(…) le seul vrai bonheur réside dans la totale adéquation entre l'être et le vouloir…
vendredi 7 février 2025
« Regards sur le monde actuel (et autres essais) » de Paul Valéry (1895-1939)
Considérez un peu ce qu'il adviendra de l'Europe quand il existera par ses soins, en Asie, deux douzaines de Creusot ou d'Essen, de Manchester, ou de Roubaix, quand l'acier, la soie, l’acier, les produits chimiques, les étoffes, la céramique et reste y seront produits en quantités écrasantes, à des prix invincibles, par une population qui est la plus sobre et la plus nombreuse du monde, favorisée dans son accroissement par l'introduction des pratiques de l'hygiène.
L'Europe aspire visiblement à être gouvernée par une commission américaine. Toute sa politique s'y dirige.
Désormais, quand une bataille se livrera en quelque lieu du monde, rien ne sera plus simple que d'en faire entendre le canon à toute la terre (…) On pourra même apercevoir quelque chose des combats, et des hommes tomber à six mille milles de soi-même, trois centièmes de seconde après le coup.
Mais sans doute des moyens un peu plus puissants, un peu plus subtils permettront quelque jour d'agir à distance non plus seulement sur les sens des vivants, mais encore sur les éléments plus cachés de la personne psychique. Un inconnu, un opérateur éloigné, excitant les sources mêmes et les systèmes de vie mentale et affective, imposera aux esprits des illusions, des impulsions, des désirs, des égarements artificiels (…) L’action des sons, et particulièrement de leurs timbres, et parmi eux les timbres de la voix - l'action extraordinaire de la voix est un facteur historique d'importance - fait pressentir les effets de vibrations plus subtiles accordées aux résonances des éléments nerveux profonds (…) Ce que peut la chimie, la physique des ondes le rejoindra selon ses moyens.
La politique fut d'abord l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.
A une époque suivante, on y adjoignit l'art de contraindre les gens à décider sur ce qu'ils n'entendent pas.
Ce deuxième principe se combine avec le premier.
L'historien fait pour le passé ce que la tireuse de cartes fait pour le futur. Mais la sorcière s'expose à une vérification et non l'historien.
L'existence des voisins est la seule défense des nations contre une perpétuelle guerre civile.
L'image d'une DICTATURE est la réponse inévitable (et comme instinctive) de l'esprit quand il ne reconnaît plus dans la conduite des affaires l'autorité, la continuité, l'unité, qui sont les marques de la volonté réfléchie et de l'empire de la connaissance organisée (…) Tout le monde alors pense DICTATURE, consciemment ou non ; chacun se sent dans l'âme un dictateur à l'état naissant. C'est là un effet premier et spontané, une sorte d'acte réflexe, par lequel le contraire de ce qui est s'impose comme besoin indiscutable, unique et entièrement déterminé. Il s'agit d'ordre et de salut publics ; il faut atteindre ces objets au plus vite, par le plus court et à tout prix. SEUL, un MOl peut s'y employer (…) car ce n'est que dans une tête seule que la correspondance nette des perceptions, des notions, des réactions et des décisions est concevable, peut s'organiser et tendre à imposer aux choses des conditions et des arrangements intelligibles.
Dans une guerre moderne, l'homme qui tue un homme tue un producteur de ce qu'il consomme, ou un consommateur de ce qu'il produit (…) J’ai déjà écrit il y a vingt ans : « Nous autres, civilisations, nous savons à présent que nous sommes mortelles... »
Il n'est point de peuple qui ait des relations plus étroites avec le lieu du monde qu'il habite.
Si j'osais me laisser séduire aux rêveries qu'on décore du beau nom de philosophie historique, je me plairais peut-être à imaginer que tous les événements véritablement grands de cette histoire de la France furent, d'une part, les actions qui ont menacé, ou tendu à altérer, un certain équilibre de races réalisé dans une certaine figure territoriale ; et, d'autre part, les réactions, parfois si énergiques, qui répondirent à ces atteintes, tendant à reconstituer l’équilibre (…) C’est pourquoi l'histoire dramatique de la France se résume mieux que toutes autres en quelques grands noms, noms de personnes, noms de familles, noms d'assemblées, qui ont particulièrement et énergiquement représenté cette tendance essentielle aux moments critiques et dans les périodes de crise ou de réorganisation. Que l'on parle des Capétiens, de Jeanne d'Arc, de Louis XI, d'Henri IV, de Richelieu, de la Convention ou de Napoléon, on désigne toujours une même chose, un symbole de l'identité et de l'unité nationales en acte.
L'action certaine, visible et constante de Paris, est de compenser par une concentration jalouse et intense les grandes différences régionales et individuelles de la France. L'augmentation du nombre des fonctions que Paris exerce dans la vie de la France depuis deux siècles correspond à un développement du besoin de coordination totale, et à la réunion assez récente de provinces plus lointaines à traditions plus hétérogènes. La Révolution a trouvé la France déjà centralisée au point de vue gouvernemental, et polarisée à l'égard de la Cour en ce qui concerne le goût et les mœurs.
Trois caractères distinguent nettement le français des autres langues occidentales : le français, bien parlé, ne chante presque pas. C'est un discours de registre peu étendu, une parole plus plane que les autres. Ensuite : les consonnes en français sont remarquablement adoucies ; pas de figures rudes ou gutturales (…) Enfin, les voyelles françaises sont nombreuses et très nuancées, forment une rare et précieuse collection de timbres délicats qui offrent aux poètes dignes de ce nom des valeurs par le jeu desquelles ils peuvent compenser le registre tempéré et la modération générale des accents de leur langue (…)
Ses voyelles sont plus nombreuses et plus nuancées ; ses consonnes jamais ne sont de la force, ne demandent l'effort qui s'y attache dans les autres langues latines.
L'histoire du français nous apprend à ce sujet des choses curieuses, que je trouve significatives. Elle nous enseigne, par exemple, que la lettre r, quoique très peu rude en français, où elle ne se trouve jamais roulée ni aspirée, a failli disparaître de la langue, à plusieurs reprises, et être remplacée, selon un adoucissement progressif, par quelque émission plus aisée. (Le mot chaire est devenu chaise, etc.)
Il est clair qu'un peuple essentiellement hétérogène et qui vit de l'unité de ses différences internes, ne pourrait, sans s'altérer profondément, adopter le mode d'existence uniforme et entièrement discipliné qui convient aux nations dont le rendement industriel et la satisfaction standardisée sont des conditions ou des idéaux conformes à leur nature. Le contraste et même les contradictions sont presque essentiels à la France. Ce pays où l'indifférence en matière de religion est si commune, est aussi le pays des plus récents miracles. Pendant les mêmes années que Renan développait sa critique et que le positivisme ou l'agnosticisme s'élargissaient, une apparition illuminait la grotte de Lourdes. C'est au pays de Voltaire et de quelques autres que la foi est la plus sérieuse et la plus solide, peut-être, et que les Ordres se recruteraient le plus aisément ; c'est à lui que l'Eglise a attribué les canonisations les plus nombreuses dans ces dernières années.
Les artistes naguère n'aimaient pas ce qu'on appelait le progrès. Ils n'en voyaient pas dans les œuvres beaucoup plus que les philosophes dans les mœurs (…) Dans la première moitié du XIXe siècle, l'artiste découvre et définit son contraire - le bourgeois. Le bourgeois est la figure symétrique du romantique. On lui impose d’ailleurs des propriétés contradictoires, car on le fait à la fois esclave de la routine et sectateur absurde du progrès. Le bourgeois aime le solide et croit au perfectionnement. Il incarne le sens commun, l'attachement à la réalité la plus sensible - mais il a foi dans je ne sais quelle amélioration croissante et presque fatale des conditions de la vie. L'artiste se réserve le domaine du « Rêve » (…) Il arriva que le merveilleux et le positif ont contracté une étonnante alliance, et que ces deux anciens ennemis se sont conjurés pour engager nos existences dans leur carrière de transformations et de surprises indéfinies (…) Le fabuleux est dans le commerce. La fabrication de machines à merveilles fait vivre des milliers d’individus.
Ainsi, pour le plaisir, contre le mal, contre l'ennui, et pour l'aliment des curiosités de toute espèce, quantité d'hommes sont mieux pourvus que ne l'était, il y a deux cent cinquante ans, l'homme le plus puissant d'Europe.
(…) nos ambitions, notre politique, nos guerres, nos mœurs, nos arts, sont à présent soumis à un régime de substitutions très rapides ; ils dépendent de plus en plus étroitement des sciences positives, et donc, de moins en moins, de ce qui fut. Le fait nouveau tend à prendre toute l'importance que la tradition et le fait historique possédaient jusqu'ici.
Le mot célèbre de Joseph de Maistre qu'une bataille est perdue parce que l'on croit l'avoir perdue, a lui-même perdu de son antique vérité. La bataille désormais est réellement perdue, parce que les hommes, le pain, l'or, le charbon, le pétrole manquent non seulement aux armées, mais dans la profondeur du pays.
J'ai expliqué ailleurs que notre mode de vie, notre hâte, notre abus de puissance mécanique, d'activité vaine, d'excitants trop énergiques, sont des causes et des effets d'un affaiblissement de la sensibilité.
L'exigence d'intensité, de nouveauté, d'instantanéité signifie une véritable intoxication (…) Ajoutons à ceci une dégénérescence rapide des manières, des formes du langage, des égards qui font qu'une société ne se réduit pas à un équilibre statistique de forces sensibles (…) De jour en jour, le dogme de l'inégalité des familles humaines devient de plus en plus dangereux en politique : il sera fatal à l'Europe. La technique se propage comme la peste.
Le français bien parlé ne chante pas. C'est un discours de registre peu étendu ; une parole presque plane. Nos consonnes sont toutes remarquablement adoucies.
Qu'il s'agisse d'architecture ou de littérature, il faut noter en France une tradition, un besoin de ce beau travail. Avouons que les conditions de la vie moderne, le changement de la production en fabrication, de l'opération individuelle en exécution mécanique d'objets faits « à la chaîne » ou en série, l'économie de temps, la concurrence qui engendre le « bon marché », les effets de la mode et de la publicité qui développent l'imitation aux dépens du goût personnel, et quelques autres circonstances, ne sont pas des plus favorables à la création des objets les plus précieux. L'inimitable ni le durable ne conviennent à notre époque.
Une littérature vaut ce que vaut le lecteur : tout ce qui diminue celui-ci en tant que sensible à la qualité du langage, capable d'attention soutenue, sceptique à l'égard des jugements qu'on lui veut imposer tout formés, est funeste à la belle tenue des lettres.
Nous comptons plus de psychologues et de moralistes que de métaphysiciens.
Je termine en vous résumant en deux mots mon impression personnelle de la France: notre particularité (et, parfois, notre ridicule, mais souvent notre plus beau titre), c'est de nous croire, de nous sentir universels - je veux dire : hommes d'univers... Observez le paradoxe : avoir pour spécialité le sens de l'universel.
Le spectacle du monde humain (…) on y trouvait assez facilement, de siècle en siècle, des situations analogues, des personnages comparables, des périodes bien tranchées, des politiques longuement suivies ; des événements nettement définis, à conséquences bien formées. En ce temps-là, les administrations pouvaient vivre de « précédents ».
(…) imaginez (…) un Méphistophélès spectateur des destins de notre espèce (…) Tandis que nous croyons nous soumettre les forces et les choses, il n'est pas un seul de ces attentats savants contre la nature qui, par voie directe ou indirecte, ne nous soumette, au contraire, un peu plus à elle et ne fasse de nous des esclaves de notre puissance, des êtres d'autant plus incomplets qu'ils sont mieux équipés, et dont les désirs, les besoins et l'existence elle-même sont les jouets de leur propre génie.
Et quant à l'intellect, mes amis, quant à la sensibilité - c'est à quoi je m'intéresse le plus -, on vous soumet l'esprit à une merveilleuse quantité de nouvelles incohérentes par vingt-quatre heures ; vos sens doivent absorber, sans un jour de repos, autant de musique, de peinture, de drogues, de boissons bizarres, de spectacles, de déplacements, de brusques changements d'altitude, de température, d'anxiété politique et économique, que toute l'humanité ensemble, au cours de trois siècles, en pouvait absorber jadis !
Nos codes, nos ambitions, notre politique, sont inspirés de notions fortement, puissamment locales ; ils sont d'un homme fixé au sol, localisé. Qu'il s'agisse des individus ou des nations, nos idées et notre droit, nos conflits et nos contrats impliquent la stabilité, la reconnaissance de la propriété et de la souveraineté d'un domaine. En somme, la durée, la continuité des nations et des individus, sont encore à la base de nos institutions.
Voilà donc que l'homme mobile s'oppose à l'homme enraciné.
Enfin, si l'on était poète, artiste, écrivain, philosophe, on visait les générations même lointaines, on songeait à la postérité jusqu'à la prolonger si loin dans la perspective qu'elle en devenait immortalité. Il en résultait les plus grandes conséquences pour les œuvres : on faisait des choses durables... C'est dire que la considération de la forme et de la matière des œuvres l'emportait sur toute autre. Ni la nouveauté, ni l'intensité, ni les effets, ni les surprises n'étaient recherchées comme ils le sont aujourd'hui, car le nouveau et le surprenant, ce sont les parties périssables des choses ; le travail, la recherche, l'expérience, n'étaient donc pas dissociés le moins du monde des puissances spontanées de l’esprit (…) Ce n'est pas tout. Il résultait aussi de cette ambition de survivre, un ennoblissement de nos buts et de notre effort ; et par là, une sorte de hiérarchie, une classification des ouvrages des hommes selon la durée qu'on présumait attachée à leur action. Enfin, cette pensée de l'avenir, de la postérité ou de l'immortalité, tout illusoire qu'elle pouvait être, était pour l'artiste une source sans pareille d'énergie qui le soutenait dans sa carrière souvent dure, contre l'incompréhension des difficultés matérielles de la vie. « Un jour viendra », pensait-il. Mais tout cela n'est plus, ou presque plus, et il y a peu d'espoir que cette notion de confiance en la postérité et la durée renaisse de nos cendres (…)
Supposez même que les moyens matériels vous fassent défaut, et que vous soyez pourvus aussi de ces objets du plus grand luxe qu'on nomme le loisir, le silence, la juste proportion de solitude et de compagnie qui conviennent à la production des œuvres de l'esprit, je ne sais où vous trouverez dans le monde qui nous entraîne et nous dissipe ce pressentiment de désir spirituel profond, ces conditions d'attention durable et fidèle, et même cette sensation d'une résistance de noble qualité à vaincre qui nous assurerait de la valeur de notre effort.
(…) soit que les moyens de destruction à grande puissance s'y emploient, déciment les populations des régions du globe les plus cultivées, ruinent les monuments, les bibliothèques, les laboratoires, les archives, réduisent les survivants à une misère qui excède leur intelligence et supprime tout ce qui relève l'esprit de l’homme ; soit que, non plus les moyens de destruction, mais, au contraire, les moyens de possession et de jouissance, l'incohérence imposée par la fréquence et la facilité des impressions, la vulgarisation immédiate et l'application aux productions, aux évaluations et à la consommation des fruits de l'esprit, de méthodes industrielles, finissent par altérer les vertus intellectuelles les plus élevées et les plus importantes : l'attention, la puissance méditative et critique, et ce qu'on peut nommer la pensée de grand style, la recherche approfondie et conduite jusqu'à l'expression la plus exacte et la plus forte de son objet (…) Sa première conséquence sera de rendre ou inintelligibles ou insupportables toutes les œuvres du passé qui ont été composées dans des conditions toutes contraires et qui exigent des esprits tout différemment formés.
Mais combien de métiers se réduisent à un automatisme, et lui sacrifient peu à peu ce qu'il y a dans l'homme le plus précieux ! (…) Le nom même de métier y fait songer. Il signifie dans l'origine service de détail : métier, c'est ministère (ministerium, dans lequel minus s’entrevoit) (…)
La notion de travail, grandeur aisément mesurable, valeur purement quantitative, s'est substituée à la notion d'ouvrage ou d'œuvre, à mesure que le rendement a été plus recherché, et que la machine a conquis plus d'emplois, au point de faire en quelque sorte reculer l'ouvrier devant elle. Mais le travail est un moyen de vivre, et rien de plus. L'œuvre est une raison de plus, et ce n'est pas la même chose.
dimanche 26 janvier 2025
« Le petit livre des couleurs » de Michel Pastoureau (2005)
La Vierge devient le principal agent de promotion du bleu (…)
Vers 1130, quand l'abbé Suger fait reconstruire l'église abbatiale de Saint-Denis, il veut mettre partout des couleurs pour dissiper les ténèbres, et notamment du bleu. On utilisera pour les vitraux un produit fort cher, le cafre (que l'on appellera bien plus tard le bleu de cobalt). De Saint-Denis, ce bleu va se diffuser au Mans, puis à Vendôme et à Chartres, où il deviendra le célèbre bleu de Chartres.
(…) puisque la Vierge s'habille de bleu, le roi de France le fait aussi. Philippe Auguste, puis son petit-fils Saint Louis seront les premiers à l'adopter (…)
En trois génération bleu devient à la mode aristocratique.
(…) la demande de guède (ou pastel), cette plante mi-herbe, mi-arbuste que l'on utilisait dans les villages comme colorant artisanal, explose. Sa culture devient soudain industrielle et fait la fortune de régions comme la Thuringe, la Toscane, la Picardie ou encore la région de Toulouse. On la cultive intensément pour produire ces boules appelées « coques», d'où le nom de pays de cocagne. C'est un véritable or bleu ! (…)
À la fin du Moyen Âge, la vague moraliste, qui va provoquer la Réforme, se porte aussi sur les couleurs, en désignant des couleurs dignes et d'autres qui ne le sont pas. La palette protestante s'articule autour du blanc, du noir, du gris, du brun... et du bleu.
(…) dans les années 1720, un pharmacien de Berlin invente par accident le fameux bleu de Prusse, qui va permettre aux peintres et aux teinturiers de diversifier la gamme des nuances foncées (…)
En 1850, un vêtement lui donne encore un coup de pouce : c'est le jean, inventé à San Francisco par un tailleur juif, Levi-Strauss, le pantalon idéal, avec sa grosse toile teinte à l'indigo, le premier bleu de travail.
(…) En France, il fut la couleur des républicains, s'opposant au blanc des monarchistes et au noir du parti clérical.
(…) c’est une couleur consensuelle, pour les personnes physiques comme pour les personnes morales : les organismes internationaux, l'ONU, l'Unesco, le Conseil de l'Europe, l'Union européenne, tous ont choisi un emblème bleu. On le sélectionne par soustraction, après avoir éliminé les autres.
Dans le système chromatique de l'Antiquité, qui tournait autour de trois pôles, le blanc représentait l'incolore, le noir était grosso modo le sale, et le rouge était la couleur, la seule digne de ce nom (…)
Au Moyen Âge, cette recette de la pourpre romaine s'étant perdue (…), on se rabat sur le kermès, ces œufs de cochenilles qui parasitent les feuilles de certains chênes (…) La récolte est laborieuse et la fabrication coûteuse. Mais le rouge obtenu est splendide, lumineux, solide (…)
À partir des XIIIe et XIVe siècles, le pape, jusque-là voué au blanc, se met au rouge. Les cardinaux, également. Cela signifie que ces considérables personnages sont prêts à verser leur sang pour le Christ (…)
[Le Petit Chaperon rouge] Je préfère pour ma part l'explication sémiologique : un enfant rouge porte un petit pot de beurre blanc à une grand-mère habillée de noir... Nous avons là les trois couleurs de base du système ancien. On les retrouve dans d'autres contes : Blanche-Neige reçoit une pomme rouge d'une sorcière noire. Le corbeau noir lâche son fromage - blanc - dont se saisit un renard rouge (…)
Le rouge restera aussi la couleur de la robe de mariée jusqu'au XIXe siècle (…) Parce que, le jour du mariage, on revêt son plus beau vêtement et qu'une robe belle et riche est forcément rouge (…)
En octobre 1789, l'Assemblée constituante décrète qu'en cas de trouble, un drapeau rouge sera placé aux carrefours pour signifier l'interdiction d'attroupement et avertir que la force publique est susceptible d’intervenir. Le 17 juillet 1791, de nombreux Parisiens se rassemblent au Champ-de-Mars pour demander la destitution de Louis XVI, qui vient d'être arrêté à Varennes. Comme l'émeute menace, Bailly, le maire de Paris, fait hisser à la hâte un grand drapeau rouge. Mais les gardes nationaux tirent sans sommation : on comptera une cinquantaine de morts, dont on fera des « martyrs de la révolution». Par une étonnante inversion, c'est ce fameux drapeau rouge, « teint du sang de ces martyrs», qui devient l'emblème du peuple opprimé et de la révolution en marche.
Pour nos ancêtres, il n'y avait pas de doute : le blanc était une vraie couleur (et même l'une des trois couleurs de base du système antique, au même titre que le rouge et le noir) (…) C’est en faisant du papier le principal support des textes et des images que l'imprimerie a introduit une équivalence entre l'incolore et le blanc, ce dernier se voyant alors considéré comme le degré zéro de la couleur, ou comme son absence (…)
Ils distinguaient même le blanc mat du blanc brillant : en latin, albus (le blanc mat, qui a donné en français « albâtre» et « albumine») et candidus (le brillant, qui a donné « candidat », celui qui met une robe blanche éclatante pour se présenter au suffrage des électeurs). Dans les langues issues du germanique, il y a également deux mots : blank, le blanc brillant - proche du noir brillant (black), qui va s'imposer en français après les invasions barbares - et weiss, resté en allemand moderne, le blanc mat (…)
Il reste que, dans notre vocabulaire, le blanc est associé à l'absence, au manque (…)
Dans certaines régions, la neige a renforcé ce symbole [pureté] (…) Aucune autre couleur n’est aussi unie dans la nature (…)
(…) au Moyen Âge, où il était bien plus obscène de se montrer en chemise que de se présenter nu, une chemise qui n'était pas blanche était d'une incroyable indécence.
(…) Jamais nos arrière-grands-parents ne se seraient couchés dans des draps qui n'auraient pas été blancs ! (…) À présent, nous acceptons très bien que notre corps touche des couleurs vives : nous pouvons dormir dans des draps rouges, nous essuyer avec une serviette jaune, porter des sous-vêtements violets, ce qui aurait été impensable il y a quelques décennies (…) nombre d’hommes estiment de nouveau qu’une étoffe blanche sur une peau féminine est susceptible d’éveiller le désir (…)
Dès l'Antiquité romaine, les spectres et les apparitions sont décrits en blanc. Cela n'a pas varié. Regardez les bandes dessinées : il est impensable qu'un fantôme n'y apparaisse pas en blanc ! (…)
Les petits seigneurs du XVIIIè étaient obsédés par le souci de marquer leur différence face à des paysans parfois plus riches qu'eux (l'expression « sang bleu » est rattaché à cette habitude : leur visage était tellement pâle et translucide que l'on en voyait les veines, et certains allaient jusqu'à les redessiner, afin de ne pas être confondus avec des laboureurs) (…)
Les racines symboliques du blanc - l'innocence, la lumière divine, la pureté - sont presque universelles et remontent très haut dans le temps. Sans le savoir, nous y sommes toujours rattachés.
(…) dans un célèbre traité de Goethe de la fin du XVIIIè siècle : celui-ci (qui adore le bleu) recommande le vert pour les papiers peints, l'intérieur des appartements et spécialement, dit-il, la chambre à coucher. Il lui trouve des vertus apaisantes (…) Jusqu’à une période relativement récente, les photographies en couleurs étaient, elles aussi, concernées par ce caractère très volatil du vert. Regardez les instantanés des années 1960 : quand les couleurs sont passées, c'est toujours le vert qui s'est effacé en premier. Conclusion : quelle que soit la technique, le vert est instable, parfois dangereux (…)
La symbolique du vert s'est presque entièrement organisée autour de cette notion : il représente tout ce qui bouge, change, varie. Le vert est la couleur du hasard, du jeu, du destin, du sort, de la chance… (…) les jongleurs, les bouffons, les chasseurs s'habillaient de vert, de même que les jeunes et les amoureux, qui ont, comme on le sait, un caractère changeant (…) Les terrains de sport également, et pas seulement parce qu'il s'agit de pelouse : regardez la plupart des courts de tennis en dur et les tables de ping-pong.
(…) à cause de son ambiguïté, cette couleur a toujours inquiété. Ainsi, on a pris l'habitude de représenter en verdâtre les mauvais esprits, démons, dragons, serpents et autres créatures maléfiques qui errent dans l'entre-deux, entre le monde terrestre et l'au-delà. Les petits hommes verts de Mars, qui ne nous veulent pas du bien, ne sont autres que les successeurs des démons médiévaux. Aujourd'hui, les comédiens refusent toujours de porter un vêtement vert sur scène (la légende dit que Molière serait mort vêtu d'un habit de cette couleur) ; dans l'édition, les couvertures vertes des livres sont supposées avoir moins de succès, et les bijoutiers savent que les émeraudes se vendent moins que les autres pierres parce qu'elles ont la réputation de porter malheur (…)
Quand les premiers billets de dollars ont été fabriqués, entre 1792 et 1863, le vert était déjà associé aux jeux d'argent et, par extension, à la banque et à la finance (…)
Les chimistes du XVIIIe siècle l'ont prétendu : ils ont avancé une théorie pseudo-scientifique définissant des couleurs « primaires» (jaune, bleu, rouge) et des couleurs « complémentaires» (vert, violet, orange).
(…) pour un Européen de l'Antiquité, du Moyen Âge et même de la Renaissance (…) le vert n'avait rien à voir avec la nature.
(…) le mot latin viridis associe l'énergie, la virilité (vir) et la sève (…) C'est peut-être l'islam primitif qui, le premier, a associé vert et nature : à l'époque de Mahomet, tout endroit verdoyant était synonyme d'oasis, de paradis.
(…) les apothicaires, dont la pharmacopée est à base de plantes, ont choisi ce vert végétal pour leurs croix (en Italie cependant, les croix des pharmacies sont rouges comme le sang de la vie).
Jaune comme les photos qui pâlissent, comme les feuilles qui meurent, comme les hommes qui trahissent... Jaune était la robe de Judas. Jaune, la couleur dont on affublait autrefois la maison des faux-monnayeurs.
Jaune aussi, l'étoile qui désignait les juifs…
(…) au fil des temps, c'est en effet la couleur dorée qui a absorbé les symboles positifs du jaune, tout ce qui évoque le soleil, la lumière, la chaleur, et par extension la vie, l'énergie, la joie, la puissance (…)
Il est possible que la mauvaise réputation du soufre, qui provoque parfois des troubles mentaux et qui passe pour diabolique, ait joué…
(…) C’est Judas qui transmet sa couleur symbolique à l'ensemble des communautés juives (…) à partir du XIIIè siècle, les conciles se prononcent contre le mariage entre chrétiens et juifs et demandent à ce que ces derniers portent un signe distinctif. Au début, celui-ci est une rouelle (…) une étoile qui évoque l’Orient.
(…) Même constat avec les vitraux : ceux du début du XIIè siècle comportent du jaune, puis la dominante change et devient bleu et rouge (…)
[le maillot jaune du Tour de France] Au départ, il s'agissait d'une opération publicitaire lancée en 1919 par le journal L'Auto, l'ancêtre de L'Équipe, qui était imprimé sur un papier jaunâtre (…)
Quant au « rire jaune», il est lié au safran, réputé provoquer une sorte de folie qui déclenche un rire incontrôlable.
Dans les sociétés anciennes, on utilisait deux mots pour le qualifier: en latin, niger, qui désigne le noir brillant (il a donné le français « noir »), et ater (d'où vient « atrabilaire », qualifiant la bile moire), qui signifie noir mat, noir inquiétant (…)
Si on mélange toutes les couleurs, on arrive plutôt à une sorte de brun ou de gris. Chimiquement, le vrai noir est difficile à atteindre. En peinture, on ne l'obtient qu'en petites quantités, en recourant à des produits coûteux, tel l'ivoire calciné, qui donne une teinte magnifique mais hors de prix (…)
La Réforme déclare la guerre aux tons vifs et professe une éthique de l'austère et du sombre (…)
En Asie, si le noir est également associé à la mort et à l'au-delà, le deuil se porte en blanc. Pourquoi ? Parce que le défunt se transforme en un corps de lumière, un corps glorieux ; il s'élève vers l'innocence et l'immaculé. En Occident, le défunt retourne à la terre, il redevient cendres, il part donc vers le noir (…)
Les couples rouge-blanc et rouge-noir sont perçus comme des contraste plus forts en Orient, et ils l'ont parfois été en Occident. Le jeu d'échecs en est un bel exemple. À sa naissance en Inde, vers le VIè siècle, il comportait des pièces rouges et des pièces noires (…) Quand le jeu est arrivé chez nous, vers l'an mille, les Européen ont changé la donne et ont fait s'affronter des rouges contre des blancs. C'est seulement à la Renaissance que l'on est passé au couple actuel : noir contre blanc...
En découvrant la composition du spectre de l'arc-en-ciel, Isaac Newton établit un continuum des couleurs (violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge) qui exclut pour la première fois le noir et le blanc. Tout cela contribue donc à ce que, à partir du XVIIe siècle, ces deux-là soient mis dans un monde à part.
(…) tous les tests de lisibilité montrent d'ailleurs qu'une écriture en jaune sur fond noir se distingue mieux qu'une écriture en noir sur blanc (…)
Henry Ford, grand protestant puritain, a refusé de vendre ses Ford T autrement que noires (alors que ses concurrents produisaient des voitures de différentes teintes).
(…) le marron existait avant qu'on invente le mot « marron», l'orange avant la couleur orange, la rose avant que l'on parle du « rose » (le latin rosa désigne uniquement la fleur) (…)
Pour violet, on disait en latin médiéval subniger, « demi-noir » (…) il est, selon les enquêtes d'opinion, la couleur la plus détestée, après le brun.
(…) Le mot « orangé» est apparu en Occident au XIVe siècle, après l'importation des premiers orangers. Pour obtenir cette teinte, on a d'abord utilisé le safran, puis, vers la fin du Moyen Âge, le « bois brésil », essence exotique des Indes et de Ceylan (qui a donné plus tard son nom au Brésil).
[Le rose] On disait autrefois « incarnat », c'est-à-dire couleur de chair, de carnation.
D'après les tests d'optique, l'œil humain peut distinguer jusqu'à 180, voire 200 nuances, mais pas davantage. Ce qui rend stupide les publicités pour ordinateurs où on vous parle de millions, de milliards de couleurs !