Nombre total de pages vues

dimanche 2 novembre 2025

« Le maître de la terre »  de Robert Hugh Benson (1907)

- Pour résumer la situation, dit-il, il n'y a plus au monde que trois forces qui comptent : le catholicisme, l'humanitarisme et les religions de l’Orient (…) l’humanitarisme, contrairement à l'attente générale de naguère, est en train de devenir lui-même une religion organisée, malgré sa négation du surnaturel. Il s'est associé au panthéisme : sous la direction de la franc-maçonnerie, il s'est créé des rites qu'il ne cesse point de développer; et il possède, lui aussi, un Credo: « L'homme est dieu », etc (…) Et puis, ils sont libres, eux, de déployer abondamment leurs symboles, tandis que cela nous est interdit ! Je suis d'avis que, avant dix ans, leur doctrine sera légalement établie comme religion officielle, dans l'Europe entière.

Il songeait à cette ruche infinie d'hommes et de femmes qui, remplissant l'espace ouvert devant lui, avaient enfin appris pour toujours les principes de l'Évangile nouveau : à savoir qu'il n'y avait d'autre dieu que l'homme, d'autres prêtres que les chefs d'État, ni d'autres prophètes que les maîtres d'école.


- (…) Mais comment donc ce prêtre peut-il y croire?

Il avait l'air, pourtant, lui aussi, d'un homme très intelligent !

- (…) Mais tu sais bien, toi-même, dans le fond de ton cœur, que ce sont les gens de l'euthanasie qui sont les seuls vrais prêtres !


Il commença, comme il faisait toujours, par un acte délibéré de renoncement au monde sensible. Il s'efforça de descendre jusqu'au fond de soi-même ; bientôt l'appel de l'orgue, le bruit des pas, la dureté du banc de bois sous ses genoux, tout cela disparut pour lui, et il eut l'impression de n'être rien qu'un cœur qui battait, et un esprit qui enfantait d'incessantes images. Puis il fit une nouvelle descente : il renonça à tout ce qu'il était et possédait, et eut conscience que son corps même s'évanouissait, tandis que son esprit et son cœur, dominés par la sublime présence qui se dressait devant eux, se soumettaient docilement à la volonté de leur maître. De nouveau il soupira, en sentant cette Présence se rapprocher de lui ; il répéta machinalement quelques paroles, et tomba enfin dans cette paix qui suit le suprême renoncement à la pensée personnelle.


- Avez-vous remarqué combien peu de grands hommes nous possédons, à présent ?


La place entière (…) lorsque passaient les sociétés de bienfaisance et les guildes démocratiques…


Son père était un de ceux qui, soixante-dix ans auparavant, avaient le plus travaillé à détruire la Chambre des lords, dont il était membre ; et son fils avait dignement continué son œuvre (…) toutes les musiques entonnèrent l'hymne maçonnique.


(…) M. Felsenburgh constitue le premier produit vraiment parfait de cette nouvelle humanité cosmopolite, dont la création a été l'objet inconscient et continu de tous les efforts du monde, à travers l'histoire. Dans neuf cités de l'Orient - Damas, Irkoutsk, Constantinople, Calcutta, Bénarès, Nankin, et trois autres -, une foule mahométane l'a acclamé comme le dernier messie (…) M. Felsenburgh n’a même jamais formé un parti. C'est lui en personne, et non pas son groupe, qui a tout conquis (…) l’organiste a frappé les premiers accords de l'hymne maçonnique (…)

« Il n'y aura plus d'appel aux armes, mais à la justice ; les hommes ne s'adresseront plus à un Dieu qui s'obstine à se tenir caché, mais bien à l'homme, qui a appris sa propre divinité. »


- Songez comme le christianisme a échoué, comme il a divisé les nations ; rappelez-vous toutes les cruautés de l’Inquisition ; les guerres de religion ; les séparations entre mari et femme ; entre parents et enfants ! Oh ! oh ! vous ne pouvez pas croire que tout cela fût bon ! Quelle espèce de Dieu que celui qui aurait permis tout cela ?

Ou bien encore, l’enfer : comment avez-vous jamais pu croire à cette chose horrible ? Je vous en supplie, mère, rendez-vous compte que cette religion d'autrefois n'était rien qu'un odieux cauchemar ! Pensez à ce qui est arrivé la nuit dernière, quand Il est venu, Lui dont vous avez si peur ! Je vous ai dit comment Il était : si calme et si fort ! et comment six millions de personnes l'ont vu. Et pensez à ce qu'Il a fait : Il a guéri toutes les vieilles plaies, Il a assuré la paix à l’univers ; et, maintenant, quelle vie merveilleuse va commencer ! Je vous en supplie, mère, consentez à abandonner ces affreux mensonges qui vous torturent !


Elle lâcha les mains mortes et montra le rosaire qui y était encore enroulé.

- J’ai fait ce que j'ai pu! sanglota-t-elle. Je me suis bien gardée d'être dure avec elle. Mais elle n'a pas voulu m'écouter. Elle a continué à appeler son prêtre, aussi longtemps qu'elle a pu parler.

- Ma chérie... commença Olivier.

Et il s'agenouilla, lui aussi, à côté de sa femme, se pencha en avant et baisa les mains qui tenaient le rosaire.

- Ah ! oui, dit-il, laissons-la en paix ! et qu'elle garde son hochet, puisqu'elle l'aimait si fort !

Il s'arrêta.

- L’euthanasie ?... murmura-t-il, ensuite, avec un mélange de tendresse et d'anxiété.

- Oui, répondit-elle. Aussitôt que j'ai vu les signes de l’agonie ! elle a résisté, mais je savais que c'était ton désir.


Car ce qu'il avait laissé derrière lui, à Londres, dix heures auparavant, lui apparaissait comme un bon échantillon de ce que devaient être les cercles supérieurs de l’enfer. C'était un monde d'où Dieu s'était retiré, mais en le laissant dans un état de profonde satisfaction de soi-même, dans un état dépourvu d'espoir comme de crainte, mais admirablement pourvu de toutes les conditions du bien-être (…) Felsenburgh avait découvert un moyen d'assurer librement la nourriture à tous. On avait trouvé le secret de la vie, et les hommes n'allaient plus connaître ni la maladie ni la mort. Voilà ce que l'on se disait, dans les rues, dans les voitures publiques, dans les conversations intimes ! Les journaux n'étaient remplis que d'affirmations de ce genre... Oui, et à tout cela, il manquait seulement, songeait Percy, ce qui rend une vie digne d'être vécue !


Absolument indifférent à l'opinion du monde, toute sa politique avait consisté en une chose très simple : toujours, invariablement, dans une innombrable série d'encycliques, il avait déclaré que l'objet de l'Église était de glorifier Dieu en produisant dans l'homme des vertus surnaturelles et que toutes les actions du monde n'avaient de signification ni d'importance que dans la mesure où elles tendaient à ce seul objet.


Tous savaient, à coup sûr, qu'il n'y avait personne pour les défendre, excepté Dieu seul. Et Percy se disait que, si le sang des hommes et les larmes des femmes ne parvenaient pas à toucher le Juge suprême et à le faire sortir de son silence, du moins ce renouvellement de la mort de son Fils unique, s'accomplissant aujourd'hui avec une si pathétique splendeur, sur cet îlot de foi, parmi un océan de risées et de haines, que cela, du moins, devait porter son fruit !


Il voyait, par exemple, que, tandis que la religion de l'humanité tâchait à abolir la souffrance, celle-ci était un fait qui jamais ne se laisserait supprimer et que la religion divine était autrement raisonnable, qui reconnaissait la souffrance pour nécessaire et lui accordait une place dans le plan total du Créateur.


« Cette paix véritable qui doit nous être donnée ne concerne pas seulement les relations des hommes entre eux, mais aussi les relations des hommes avec leur Créateur : et c'est sur ce point nécessaire que les efforts actuels du monde se trouvent avoir échoué. Et, en vérité, il n'est pas étonnant que, dans un monde qui a rejeté Dieu, ce sujet essentiel soit perdu de vue ! Les hommes, pervertis par des séducteurs, ont pensé que l'unité des nations était le bien le plus précieux de cette vie, oubliant les paroles de notre Sauveur, qui a dit qu'il ne venait point pour apporter la paix, mais un glaive, et que ce n'était qu'à travers bien des tribulations que nous pourrions entrer au royaume de Dieu. Et, d'abord, donc, il convient d'établir la paix de l'homme avec Dieu : après quoi l'unité de l'homme avec l'homme s'ensuivra. Cherchez d'abord le royaume de Dieu, nous dit Jésus Christ, et alors toutes ces choses vous seront données par surcroît !

(…) Nous renouvelons, une fois de plus, les condamnations prononcées, par Nous-même ou nos prédécesseurs, contre toutes sociétés, organisations, ou communautés, qui ont été formées pour établir l'unité sur d'autres fondements qu'un fondement divin ; et Nous rappelons à nos enfants, à travers le monde entier, qu'il leur est défendu d'entrer dans une quelconque de ces associations, ou de l'aider ou de l'approuver d'une manière quelconque.


D'un consentement unanime, les être inutiles, les mourants étaient délivrés de l'angoisse de vivre ; les maisons spécialement réservées à l'euthanasie lui prouvaient assez combien un tel affranchissement était légitime. Et si d'autres y recouraient, pourquoi s’en priverait-elle, en présence de ce poids qu'elle se sentait incapable de porter ? (…) Le tout-puissant, le bien-aimé, dieu, c'était l’homme : et Felsenburgh était son incarnation.


Non point que l'on dût se repentir ! disait encore la puissante voix. Mais il y avait quelque chose d'infiniment supérieur au repentir : la connaissance des crimes dont l'homme était capable, et la volonté de mettre à profit cette connaissance. Rome avait disparu, et la façon dont sa disparition s'était opérée avait été déshonorante pour l'humanité nouvelle ; et, cependant, combien cette disparition de Rome allait, à l'avenir, rendre plus respirable l'atmosphère de la vie universelle! (…)

- Oh ! Humanité ! s'était-il écrié, notre mère à tous ! (…) Car il leur avait semblé que ce n'était plus un homme, ni même l'Homme, qui parlait, mais un être d'espèce supérieure, parvenu au degré du surnaturel (…) ces courts aphorismes qui étaient l'un des modes d'expression favoris de Felsenburgh. « Nul homme ne pardonne, disait, par exemple, celui-ci : ce qu'on appelle pardonner, c'est seulement comprendre. » Ou bien: « Il faut une foi suprême pour renoncer à croire en Dieu.»

Ou bien encore: « Un homme qui croit en soi-même est seul capable de croire en son prochain. » (…) Felsenburgh disait encore: « Pardonner un mal commis, c'est approuver un crime. »


Le sens social régnait dans sa perfection. Les hommes avaient appris la leçon sociale du christianisme, mais en la séparant de son divin Précepteur ; ou plutôt même, disaient-ils, c'était malgré lui qu'ils l'avaient apprise.


Ici, nulle trace d'une ardente pression humaine, nul témoignage de cet effort continu et stérile qu'on appelait la civilisation (…)

Car les portes de l'enfer ne sauraient prévaloir contre l'Église du Christ ; quand Rome tomberait, le monde tomberait avec elle ; et, quand le monde tomberait, le prêtre savait qu'alors le Christ se manifesterait dans sa puissance.


Et puis, il n'y avait au monde qu'une seule religion dont l'existence fût dangereuse, par la prétention qu'elle manifestait à une autorité universelle : la religion catholique (…) Le crime suprême de haute trahison contre l'homme, cette religion seule le commettait : et nul autre remède adéquat ne pouvait convenir, contre elle, que sa complète suppression de la surface du monde.


Elle croyait fermement, avec tout le monde désormais, que (…) Il y avait un certain degré de détresse à partir duquel l'individu ne pouvait plus être nécessaire à soi-même ni aux autres ; et, dans ces conditions, la mort était l'acte le plus charitable qui pût être accompli.


La chaleur, ce matin-là, était vraiment terrible (…) ou bien peut-être était-ce le contrecoup de nouveaux tremblements de terre, dans une autre région du globe, pareils à ceux qui, depuis quelques jours, s'étaient produits sur divers points avec une intensité effroyable (…) N’importe, le voyage serait curieux, ne fût-ce que pour l'observation de ces changements climatériques : à la condition, toutefois, songea Olivier, que la chaleur ne devint trop intolérable, lorsqu'on traverserait les pays du Sud.


Mais ce moment finit par arriver, cette tranquillité délicieuse dont Dieu récompense l’âme fidèle et confiante, ce point de repos absolu qui sera, un jour, l'éternelle rémunération des enfants de Dieu. Désormais, il n'y avait plus en lui aucune velléité d’analyse de soi-même, ni de réflexion sur autrui. Il avait franchi le cercle où l'âme regarde au-dedans de soi, pour s'élever à celui d'où elle regarde la Gloire éminente…

dimanche 26 octobre 2025

« Fleurs d’ennui » de Pierre Loti (1882)

C'était bien cette solitude de cloître, qui caractérise les demeures arabes, et révèle à elle seule tous les soupçons jaloux, toutes les surveillances farouches de la vie musulmane.

Elles étaient comme plongées dans une tristesse immense, dans un écœurement d'abruties, filles d'une race condamnée, subissant des choses fatales avec une résignation morne.


Et toute cette ville suait l'immoralité, la débauche, l'ivrognerie de son dimanche.

Gâchis de deux ou trois peuples qui mêlaient leurs luxures. Alger avait le débraillement cynique des lieux qui ont perdu leur nationalité pour se prostituer, s'ouvrir à tous.


À tout instant, dans un mur teint de chaux blanche, on voyait s'éclairer un petit trou par lequel souriait une tête peinte, qui était couverte d'argent, de corail, et de fleurs d'oranger enfilées.


D'autres qui, pour se prostituer, étaient venues de deux cents lieues dans l'intérieur, des oasis lointaines, et qui avaient d'étranges figures du désert ; - immobiles à leur porte, elles se tenaient les yeux baissés, la voix rauque, avec de hautes coiffures tout en plaques de métal, et des bijoux barbares.


C'était un bain maure mal famé (…) On y voyait à peine, dans une buée chaude qui embrouillait l’obscurité ; l'air humide avait une pesanteur étrange ; - et un homme jaune, nu sur du marbre comme un cadavre, chantait avec une voix de fausset un air lugubre à faire peur.


(…) ils burent plusieurs verres d'absinthe avec un peu d’eau (…) Maintenant ils n'avaient plus conscience de rien. Ils allaient, le corps tout penché en avant étendant les bras comme pour saisir le vide, décrivant dans leur marche de grands arcs de cercle comme des oiseaux blessés. La tête leur faisait grand mal ; ils éprouvaient un besoin irrésistible de sommeil, avec la sensation continuelle de tomber, avec une impression d'angoisse et d'agonie.


(Les trois dames de la Kasbah)


L'amour, le grand amour, dont nous cherchons à faire quelque chose de divin et de sublime, il est tellement pareil, hélas ! à celui qu'on achète en passant, que leur grande parenté me fait peur...

- Elle était bien jolie, avouez-le, Plumkett !

- ???... L'air d'une sauterelle !


Pauvre petite sauterelle du désert, égarée sur les pavés d'Oran et destinée à la fange finale, qui sait ce qu'elle aurait pu devenir, élevée ailleurs que dans la rue, à la merci des zouaves ? Et alors son baiser et son adieu me revenaient encore en tête, me jetant dans une rêverie triste.


(…) un regret pour le Soudan noir, - pour ce temps déjà lointain où j'ai vécu là-bas, et souffert... Et je comprenais une fois de plus quelle chose folle et dévorante cela est, de s'éparpiller par le monde, de s'acclimater partout, de s'attacher à tout, de vivre cinq ou six existences humaines, au lieu d'une seule bonne, comme font les simples qui restent et meurent dans le coin de monde toujours chéri où leurs yeux se sont ouverts.


(Suleïma)

dimanche 12 octobre 2025

« Trois nouvelles » de Mme de Staël (1786)

Ce n'était pas un homme qui eût un système de moralité ni d’immoralité ; il déjouait en général tout ce qui était suivi, tout ce qui était profond, tout ce qui donnait de la peine, ou demandait un effort…

Quand les femmes d'un certain âge ne sont pas jalouses d'une jeune personne, elles placent leur vanité sur elle; il faut qu'un succès leur appartienne d'une manière ou d'une autre pour qu'elles le voient avec plaisir. 


(…) il réunit à beaucoup de gaieté dans l'esprit une profonde mélancolie dans le cœur…


Ils regagnèrent lentement le château, appuyés l'un sur l'autre, plongés dans la mélancolie du bonheur, et si certains de s'entendre qu'ils n'avaient pas besoin de se parler. Mme d'Orfeuil les contemplait avec un sentiment doux et triste, ce spectacle lui rappelait ses peines : ils s'en aperçurent, et cette pensée leur fit rompre un silence qu'ils auraient pu longtemps garder ; ils s'occupèrent à la consoler, parce qu'ils ne voulaient pas qu'il y eût de malheur sur la terre. Mme d'Orfeuil n'était pas plus pour eux ce jour-là qu'une autre personne ; ils aimaient tout le monde également.


Le jour où l'on s'impose la loi de cacher un seul de ses sentiments à l'objet qu'on aime, l'impression de ce sentiment au-dedans de soi devient incalculable : les explications, les plaintes, les reproches, peuvent ne point laisser de trace ; mais le silence dévore le cœur qui se le commande.


Ah! Madame, je ne suis plus nécessaire à son bonheur : pourquoi vivrais-je ? Je vais cependant seul sur le sommet des montagnes, en présence du ciel et de la terre, réfléchir sur ma destinée, sur le droit qu'ont les hommes de terminer leur existence. 


(Adélaïde et Théodore)


Cependant elle examinait Édouard en silence, et ses observations la forçaient à l'estimer, et à l'admirer. Son âme était pleine d’énergie ; il n'avait de la jeunesse que l'exagération du bien ; son esprit voyait juste, mais son cœur sentait peut-être trop vivement. Un défaut, ou si on le veut, une qualité singulière à son âge et dans son pays, le caractérisait : c’était une grande austérité de mœurs (…) il avait un sentiment de la perfection si vif et si sûr, qu'il s'était détaché successivement de tous ses amis parce qu'il ne pouvait être entendu par eux…


(Histoire de Pauline)

dimanche 5 octobre 2025

« Pensées pour une saison - Automne » de Gabriel Bittar (2024)

#8. Voir ou entendre, c'est croire […] les oreilles n'entendent pas, les yeux ne voient pas ce que le cœur refuse.

 

#10. L'éducation et l'instruction

Juvénal [c. 60-c.140], très latin, donc doté d'un esprit plutôt pratique, l'adaptera en idéal de « mens sana in corpore sano » (un esprit sain dans un corps sain). Dans la même Satire X de l'auteur, son lecteur pouvait comparer cet apophtegme avec la formule centrale de l'Empire romain : « panem et circenses » (du pain et des jeux)…

 

#14. La vérité est rare, forcément

La plus grande partie de tout ce que l'on peut lire, ou entendre, se révèle erronée... pour peu que l'on cherche à en savoir plus, que l'on se livre à une petite enquête. […] les formes du faux et du mensonge sont beaucoup plus nombreuses que celles de la vérité.

 

#15. Un par un

En troupeau, les humains deviennent vite fous. Ils ne retrouvent leur bon sens que lentement, et un par un.

 

#19. Le sosie dans le miroir

La familiarité de l'environnement dans lequel on évolue, y compris celle de son propre corps, participe d'un sentiment de proprioception, au sens large, d'un sens du nid ou du terrier, enfin d'un sentiment que l'espace autour de soi est circonscrit et reconnu : on y a ses repères.

Dès lors, une telle familiarité contribue à rassurer, elle fait naître un sentiment de sécurité contre l'inconnu hostile du monde. En principe.

 

#35. Interpréter, jouer

En effet, d'une façon plus rigoureuse, le verbe interpréter a pleinement son sens en présence d'œuvres anciennes pour lesquelles on manque de certaines indications musicales […] Il y a donc une prétention un peu gênante dans l'abus que l'on fait du verbe interpréter… A ce qu'il me semble, les œuvres des très grands compositeurs n'ont pas tant besoin d'être interprétées que bien jouées…

 

#41. Faire sa vie d'un petit rien

Vers ma trentième année je compris que je n'étais pas grand-chose, par rapport aux maîtres que j'avais lus et relus, ou relativement à d'étonnants personnages que j'avais rencontrés. Il me fallut dix ans de plus pour réaliser que l'on peut faire une vie d'un petit rien.

 

#48. L'émotion trop forte et ses conséquences

[…] une doctrine puritaine. Doctrine dont une des convictions centrales peut se résumer à ceci : “ pour que le monde soit meilleur, il faut d'abord extirper / exterminer ceci / cela ”.

Alors que pour les représentants de cultures anciennes, vénérant l'équilibre, la raison et l'harmonie, une telle approche, fondée sur l'hostilité la plus implacable, rend le monde infernal.

 

#51. Une vie

(…) j'ai vécu ma vie. Pas grand-chose, vraiment… mais je me suis appliqué.

 

#52. Séances d'initiation

[…] le goût anglo-saxon pour le conformisme moralisateur, nourriture à la fois lourde et insipide pour un individualiste de langue française… […] Je pensais aller à la quête d'informations locales, je me retrouvais englué dans des séances d'initiation… à la volonté de formation morale clamée haut et fort, mais à la densité d'information très faible, voire négative car on y usait allègrement de désinformation. On n'y faisait preuve d'aucun sens pratique (malgré les multiples déclarations en ce sens)… et d'aucun goût pour les manifestations de la culture ou de l’intelligence.

 

#54. La brûlure du remords

Il arrive, même aux plus bienveillants, de faire du mal. […]

Les mots ou les gestes de ce genre, dont j'ai moi-même été à l'origine, reviennent me hanter quand je tombe malade, ou que l'insomnie se joue de moi. Tant de maladresses de ma part…

Rien toutefois ne me consume autant que les trois paroles délibérément cruelles que j'ai pu prononcer, toutes les trois dans ma jeunesse, sous le coup de l'irritation ou de la colère. Honte. Ce faisant, je m'étais moi-même marqué au fer rouge, par trois fois… et ça brûle encore.

Ce qui avait été dit, ou fait, se révélait ineffaçable – irréparable. Il me restait à ne pas recommencer. Ce n'est donc pas à la légère que j'ai organisé ma vie autour d'un principe bouddhiste de base : exercer un effort de vigilance qui soit constant, de chaque instant, afin de ne pas être cause de souffrance – parole juste, action juste. Ne pas faire de mal – ne pas occasionner de nouveaux remords.

 

#55. L'art de l'ellipse

Cela dit, vague n'est pas elliptique. Elliptique : les points de départ et d'arrivée sont indiqués sur la carte… mais pas le chemin.

 

#56. La novlangue dans le discours moral ambiant

Dans la novlangue contemporaine, on dit “ comportement à risque ”, plutôt que crétin, ou criminel. “ Incivilités ”, au lieu de vandalisme, ou agression.

 

#70. Soudain c'est un enchantement du monde

[…] ceux qui ont prétention à sophistication et brillance, alors qu'ils ne sont que bruit de fond et bêtise, pièges gluants et affolants de narcissisme, d'irraison et de délire.

 

#80. L'honnête homme qui ne veut pas s'en laisser conter

[…] après le démembrement de l'Union Soviétique en décembre 1991 et la longue tentative de main-mise des Occidentaux sur leur grand pays – par tous les moyens possibles… et bien au-delà. Les Russes avaient résumé leur nouveau malheur politique et économique par une fine plaisanterie, typique de leur humour : “ Ce que l'on nous disait de l'Union Soviétique était mensonger, mais ce que l'on nous disait sur l'Occident était vrai. 

 

#84. L'âge d'or de l'interprétation musicale

L'interprétation en musique classique, qu'elle fût orchestrale ou non, connut son apogée durant les années 1960 et 1970 – on privilégiait alors la rigueur et la sobriété. Auparavant, la lourdeur germanique, très romantisante, tendait à régner, de façon générale. Lourde, grasse… mais pas trop sucrée, encore.

A partir des années 1980, l'emphase la plus lourde revint tout écraser. Elle était d'inspiration américaine cette fois, avec encore plus de graisse que dans la tradition germanique et beaucoup plus de sucre. Plus de la gélatine en surface, afin que ça brille.

 

#85. De l'utilité du sens des proportions en histoire

Surtout, en 1931 le Japon s'était lancé dans la conquête de la Chine, une guerre d'expansion coloniale qui à partir de 1937 était devenue une entreprise d'extermination du peuple chinois.

Même après qu'il eut étendu ses activités belliqueuses à l'Indochine française en septembre 1940, puis en décembre 1941 à l'Empire britannique et aux États-Unis, de décembre 1941 à août 1945 80% de l'effort de guerre (hommes et matériel) de l'Empire du Soleil Levant restera dirigé contre les Chinois.

De juin 1941 à mai 1945 […] pendant toutes ces quatre années, 85% de l'effort de guerre du 3e Reich fut dirigé contre l’URSS.

[…] En août 1945, une offensive soviétique décisive dans le nord-est de la Chine ainsi que sur les îles Sakhaline et Kouriles, un épisode bref mais très intense de la guerre au cours duquel le Japon subit un tiers de ses pertes militaires totales de la seconde guerre mondiale… […]

Résumé : 80% de l'effort de guerre japonais fut dirigé contre les Chinois, 85% de celui des Allemands contre l'URSS, 90% de celui de l'URSS contre l'Allemagne et ses alliés européens, 85% de celui des États-uniens contre les Allemands.

Il s'ensuit que, de 1941 à 1945, soit au plus fort de la seconde guerre mondiale, celle-ci fut, sur les plans militaire et économique, essentiellement une guerre entre le 3e Reich et l'URSS. Dans l'un et l'autre camp, ce furent les deux protagonistes principaux.

 

#87. De la difficulté de racheter le passé

Un exemple frappant est celui des populations amérindiennes, originaires de Sibérie, qui, au cours de leur avancée sur le continent américain, un territoire gigantesque et nouveau qu'elles avaient investi depuis son nord-ouest, par l'Alaska, il y a 13'000 ans, exterminèrent ses plus grands mammifères. Il y a un avant, d'une diversité zoologique extraordinaire (bien plus que l'Afrique de l'époque… l'Amérique était un continent où, jusqu'alors, la faune n'avait subi aucune pression humaine, selon toute apparence)… et un après, où la méga-faune se révélait soudainement (en moins d'un millénaire) beaucoup plus pauvre en espèces animales, de l'Alaska à la Terre de Feu.

[…] des mammouths, des mastodontes, des paresseux gigantesques, des tatous tout aussi gigantesques, des castors géants, des ongulés géants de tous genres […] Les prédateurs géants (félins à dents de sabre, félins à dents de cimeterre, lions géants, puma-guépards géants, hyènes coureuses, loups géants et massifs, ours géants encore plus massifs, dont des ours coureurs) disparaîtront en même temps que leurs proies de prédilection.

 

#91. La ressemblance et la dissemblance

La capacité de chanter et la bipédie, communes aux êtres humains et aux oiseaux […]

[…] le museau pointu en ‘ V ’ des crocodiles, au lieu du museau plus court, plus obtus et plus arrondi, en ‘ U ’, caractéristique des alligators. […]

On aura compris que je vénérais la diversité des choses et des êtres qu'offrait la nature. Pour moi, le mystère du monde résidait dans sa pluralité, qui me séduisait. J'aimais contempler cette diversité, que je trouvais belle en soi. Que ce fût celle des minéraux, des mammifères ou des oiseaux, la diversité des formes et des couleurs m'enchantait. Un enchantement dans lequel mon inclination vers les sciences naturelles puisait sa source. […]

Toutes ces choses, tous ces êtres… Il fallait connaître et reconnaître les horribles, certes, pour mieux s'en garder, car ils étaient sources de dangers multiples qu'il valait mieux prendre en compte… mais y penser faisait peur, faisait mal. Par contre, tout ce qui était joli et aimable méritait d'être longuement contemplé, cela faisait du bien, Aussi je triais dans mon esprit, sans cesse…

[…] Par ailleurs, durant mes onze premières années d'enfance, soudanaise, j'avais peu de livres à ma disposition. Après Pourquoi ? Comment ?, En vol et Mon premier tour du monde, un bel album illustré de géographie culturelle, reçus pour mes sept ans, je recevrai quatre livres de sciences au cours des quatre années qui suivraient. En tout et pour tout. Des ouvrages magnifiquement illustrés toutefois, qui m'apporteront beaucoup sur le plan onirique, en plus du plan cognitif.

 

#92. La leçon de choses d'une légumineuse

Derrière tout être, réside un mystère.

On l'approche en lui donnant un nom. Le nom permet de le distinguer d'un autre mystère.

En procédant de la sorte, le monde naturel se peuple d'une multitude de connaissances. En reconnaissant telle fleur, tel insecte, tel chant d'oiseau, on se retrouve environné d'êtres que l'on peut aimer car on sait mieux les regarder, les écouter, d'une fois à l’autre. […]

Grâce à la systématique, on dispose ainsi d'une série hiérarchisée de repères cognitifs pour se retrouver dans le foisonnement des formes du vivant et pour observer plus avant : famille, genre, espèce. […]

La famille botanique des fabacées, ou papilionacées, ou légumineuses, aux formes très variables, inclut plus de 700 genres, plus de 19'000 espèces !

[…] Cette fabacée est florissante même dans un terrain d'apparence pauvre grâce à sa symbiose très particulière avec des bactéries fixant l'azote de l'air.

 

#93. Les caractères et l'évolution des êtres vivants

Tous les animaux, sans exception, qui présentent un sac amniotique appartiennent à la catégorie systématique des amniotes ; et tous les amniotes, sans exception, présentent un sac amniotique, aucune espèce de cette catégorie systématique n'ayant perdu au cours de son évolution cet organe embryonnaire crucial, protégeant l'embryon de la dessication en milieu non aquatique (entre autres fonctions essentielles).

[…] Au cours de leur adaptation à la vie sur la terre ferme, il y a 395-390 millions d'années, les premiers tétrapodes ont perdu leurs branchies, leur nageoire caudale s'est transformée en queue, et leurs nageoires Pelviennes et pectorales se sont progressivement transformées, respectivement, en deux pattes postérieures et en deux pattes antérieures – ils sont devenus quadrupèdes.

[…] les poumons n'ont anatomiquement rien à voir avec les branchies (qui permettent de respirer le dioxygène présent dans l'eau), celles-ci n'ont pas évolué en poumons, qui se sont développés à partir du pharynx. […]

Si un vertébré présente des poils, il est certain que la femelle allaite ses petits, quand elle en a.

[…] Si l'on voit un petit animal à bec de canard et pondeur d'œufs, néanmoins couvert de poils et produisant du lait pour ses petits, il s'agit quand même d'un mammifère (c'est un ornithorynque).

[…] du grec phylon, ‘ race, tribu, (vieille) famille ’ […]

 

#94. Les incomplets

Plutôt, il y a 395 Ma environ, des proto-tétrapodes ont dérivé de poissons à mâchoire articulée très particuliers, des proto-dipneustes : les dipneustes, D, ne sont pas quadrupèdes et ont conservé la nageoire caudale, mais ils ont développé des poumons, permettant de respirer l'oxygène de l’air.

[…] conditions climatiques et écologiques extrêmes du début du Mésozoïque, alors que la planète sortait de la catastrophe de la fin du Permien, il y a 252 Ma. Catastrophe qui avait été à l'origine de l'extinction de la plus grande partie des formes de vie, qu'elles fussent marines ou terrestres, et de la fin de l'ère primaire ou paléozoïque. Cette catastrophe planétaire majeure avait crée un immense vide écologique qui avait permis aux proto-dinosauriens de s'imposer sur la terre ferme, d'autres archosauriformes, étonnants, les ptérosaures, investissant les airs… […]

A la suite d'une nouvelle catastrophe planétaire majeure, celle de la fin du Mésozoïque, il y a 66 millions d’années, les oiseaux et les mammifères occuperont les niches écologiques que l'extinction des dinosaures et de plusieurs autres taxons de vertébrés avait rendues vacantes.

 

#95. L'esprit de système

Ce n'est qu'au milieu du XVIIIe siècle, le siècle des lumières, que le mot “ systématique ” se trouvera associé principalement aux sciences naturelles […] Cela, suite à la publication en Suède des douze premières éditions (en latin) du Systema Naturae (‘ Système de la Nature ’), de 1735 à 1768. Une œuvre considérable, le produit du travail intense et persistant d'un naturaliste suédois, Linné, assisté de ses étudiants. […]

La tomate, bien que sa découverte dans le Nouveau Monde fût relativement récente (datant du XVIe siècle seulement), se voyait quand même attribuée de nombreux noms vernaculaires, parfois plusieurs dans une même langue […]

La clef de voûte du système linnéen était le nom binomial. […] Linné l'étendra à la zoologie. Le nom de genre, qui prend toujours une majuscule (par exemple Lycopersicon), est biunivoque, c'est-à-dire que chaque type générique a son nom de genre qui lui est exclusif. Un genre peut contenir plusieurs espèces, des formes qui, dans la nature, ne se croisent pas entre elles, soit par impossibilité biologique, soit par un comportement d'évitement, ou à cause d'une barrière géographique.

Le nom d'espèce est binomial, c'est-à-dire qu'il est constitué du nom de genre suivi de la partie spécifique (p. ex. esculentum), qui est un qualificatif épithète (un adjectif le plus souvent, p. ex. l'espèce Homo sapiens, l'être humain, ainsi qualifié de ‘ sage ou savant  ; plus rarement un substantif, p. ex. Canis lupus, le loup).

[…] le Systema Naturae. La dernière édition de celui-ci à se trouver rédigée par les soins de Linné, la 12e, faisait 2'441 pages (en trois volumes, de zoologie, botanique et minéralogie, publiés en 1766-1768) et sera un pilier des sciences naturelles, dans les dernières décennies du XVIIIe siècle.

[…] On sait maintenant, grâce à un siècle et demi de sciences évolutionnistes (dont la paléontologie), que sans le fil d'Ariane de l'évolution et de la phylogénétique, toute tentative de classification naturelle des êtres vivants se révèle une tâche plus que délicate… car on ne sait pas par quel bout l'entreprendre. Que signifie un “ ordre naturel ” s'il n'est pas fondé sur les dérivations évolutives et phylogénétiques des espèces ? […]

 

#96. Bis repetita – La paléontologie et les réversions évolutives

Si l'on détermine que l'oreille moyenne d'un crâne fossilisé est formée de trois petits os, ni plus ni moins… alors il s'agit d'un mammifère.

 

#97. Thème et variations – La convergence évolutive

[…] on réalisa au XVIIIe siècle que la catégorie “ vertébrés volants ” était elle aussi une vue de l’esprit ; d'une part parce que, selon un critère décisif (la présence de plumes) les oiseaux incapables de vol (les ratites) devaient quand même être rattachés aux oiseaux normaux, capables de vol ; d'autre part parce que les chiroptères (les chauves-souris) devaient être rattachés aux mammifères, selon d'autres critères importants (lactation, présence de poils). […]

En 1784 on découvrait un fossile de ptérodactyle et en 1801 le naturaliste français Georges Cuvier [1773-1838] déterminait qu'il s'agissait d'un reptile volant. Seuls les adeptes de l'existence (passée) des dragons trouvèrent cela tout à fait normal… […]

Aussi fallut-il la découverte d'un fossile de ptéranodon en 1870 pour que la communauté scientifique reconnaisse qu'en définitive la capacité de soutenir un vol actif s'était, dans ce cas également, développée de façon indépendante : les ptérosaures n'avaient été ni des chauve-souris, ni des oiseaux.

[…] les ptérosaures étaient plus proches des oiseaux que des chiroptères […]

[…] Au sol, lorsqu'ils se dressaient debout, certains d'entre eux avaient la taille d'une girafe !

Le Mésozoïque fut l'ère secondaire [252-66 Ma], celle des dinosaures, mais aussi celle des reptiles marins […] ainsi que celle des reptiles volants, les ptérosaures.

[…] La conclusion s’impose : le vol battu ou actif est apparu par cinq fois au moins dans l'histoire naturelle, indépendamment les unes des autres – plusieurs fois parmi les insectes, et parmi les vertébrés une fois avec les ptérosaures, une fois avec les oiseaux, une troisième fois avec les chiroptères. Des phylons qui avaient des caractéristiques bien déterminées et au sein desquels, dans certaines lignées, le vol actif s'était surajouté.

[…] Ces caractéristiques étant apparues et s'étant développées plus d'une fois au cours de l'évolution, elles informent mal sur un héritage évolutif commun et on ne peut pas compter sur elles pour définir des relations phylétiques.

 

#98. Faculté perceptive et perspicacité ne sont pas discernement, ni sagacité

Par contre, le discernement et la sagacité exigent une suspension du sujet dans son élan vital… puis un travail ardu de recherche et de réflexion.

 

#100. L'essentiel d'une vie

Tout le long d'une vie, trop chaotique à mon goût et si courte en définitive (sauf en alignant les mauvais moments), je me suis appliqué à comprendre le monde dans sa stimulante pluralité, enchanteresse. À l'apprécier pour ce qu'il est, malgré ses nombreux aspects déplaisants… et à en discerner les beautés, si rassurantes.

 

#107. Intelligences et connaissances

Par ailleurs, la créativité, qui permet l'établissement de nouveaux liens en cours de réflexion, est informalisable, donc improgrammable, même au sens le plus large du terme. Aussi s'efforce-t-on de l'imiter par des méthodes informatiques ne faisant pas vraiment appel à une programmation proprement dite.

Un mirage… Malgré ce que l'on essaie de faire accroire (et de vendre), un détecteur de motifs, aussi efficace soit-il, n'est pas de l'intelligence – cette dernière n'est pas qu'une affaire d'étiquetage massif de données (“ data labeling ”) par le biais d'un dit “ réseau neuronal ” (“ neural network ”). Pour autant qu'elle soit compétente et honnête, toute personne ayant travaillé dans le domaine de l'I. A. reconnaît que des gens très compétents dans leur spécialité doivent longuement, laborieusement définir et programmer (quand même) beaucoup de connaissances, en tout genre… avant d'escompter un peu d'intelligence artificielle.

 

#108. La petite araignée enfermée dans le placard

Que fait une petite araignée, enfermée pour des mois dans un placard, toute seule dans le noir, sans rien à manger ? Elle tisse une toile, quand même… car c'est tout ce qu'elle sait faire. Et ça l'aide à finir sa vie… à défaut de survivre.

 

#110. La science est vérifiable et réfutable

En science, les théoriciens sont tout aussi nécessaires que les observateurs et que les expérimentateurs. Certains sont un peu rémunérés pour leur travail, d'autres à peine. L'avantage matériel (et moral) des théoriciens reste qu'ils ont relativement peu de besoins financiers pour leur activité – ils sont donc les plus indépendants des chercheurs.

[…] Il en est de même de la mathématique purement théorique, de la linguistique purement théorique, de la philosophie purement théorique (c'est-à-dire l'ontologie et la logique), de l'informatique purement théorique… […] ces disciplines n'appartiennent pas à la science, puisqu'elles ne traitent pas de sujets sur lesquels on puisse tenir des propos réfutables.

[…] La frontière entre l'ingénierie et la science est assez mouvante, mais dans les grandes lignes l'ingénierie se préoccupe de faire… et la science de comprendre […]

Or, s'il n'y a pas d'ingénierie théorique, il y a des sciences qui sont théoriques dans une bonne mesure (par exemple celle des trous noirs : on ne peut les détecter qu’indirectement […]).

[…] Un exemple typique : la théorie des cordes. Aussi difficile d'accès sur le plan intellectuel qu'elle est dénuée d'assise, cette théorie n'est pas prouvable, car on ne peut pas concevoir des observations ou des expériences qui la confirmeraient, encore moins l’infirmeraient […].

[…] Une théorie, ou une hypothèse, si elles ne prêtent pas le flanc à une infirmation éventuelle, si, par la façon même dont elles sont conçues et construites, elles ne se montrent pas réfutables, d'aucune manière… alors elles n'appartiennent pas au monde de la science.

 

#111. La science est prédictive en plus de descriptive

[…] une science digne de ce nom se doit d'être à la fois descriptive et prédictive.

 

#113. Le chaos déterministe et la climatologie prédictive

Mais on peut aussi se rappeler qu'il s'agit là d'une réalité où règne le chaos déterministe… et que l'on ne pourra jamais, de façon générale, mettre au point des modèles climatiques prédictifs pour le très long terme, que c'est une vue de l’esprit. […]

Notre planète a connu de nombreux âges glaciaires au cours de ses quatre milliards d'années d'existence (quatre millions de millénaires), de durées très variables […] Le redoux actuel a commencé il y a 146 siècles (14,6 millénaires) ; abruptement interrompu il y a 128 siècles par un épisode de reglaciation, il reprit son cours il y a 116 siècles. […]

Dès 1980, les seuls modèles climatiques à être cotés et dont les simulations se trouvaient publiées étaient ceux-là qui annonçaient un réchauffement planétaire irréversible d'origine anthropogénique, des conditions torrides qui entraîneraient une fonte extensive des pôles pour l'an 2000. A partir de la fin des années 90, l'échéance fatale était repoussée à 2020. Depuis 2015, on évoque plutôt 2035, ou 2040 (on remarque qu'il s'agit tout le long d'échéances assez proches pour que l'on sonne l'alerte, assez éloignées toutefois pour que leurs auteurs n'aient pas à assumer, dans leur carrière professionnelle, la responsabilité de leurs propos alarmants).

Pourtant, comme on l'a vu, le chaos déterministe ne permet pas ce genre de prévisions à moyen ou long terme. Cela n'empêche pas que des décisions planétaires majeures de gestion des ressources énergétiques ont été prises et sont prises en se basant sur des prévisions de ce type. Évidemment, il se peut que dans les coulisses les objectifs réels soient d'ordre politique et liés à la grande finance internationale. […]

La Terre aussi connaît un effet de serre, qui est bénéfique pour la troisième planète du système solaire. Sans cet effet de serre, elle ne serait qu'une boule de glace. Pourrait-il s'emballer toutefois, et cette belle planète pourrait-elle connaître le sort de Vénus ?

On se rassure en se rappelant que la planète Terre est 39% plus éloignée du soleil que ne l'est Vénus, la deuxième planète du système solaire, et reçoit de la sorte environ moitié moins de rayonnement solaire par unité de surface.

[…] dans le passé de la Terre il y a eu nombre d’épisodes climatiques beaucoup plus chauds, globalement, que l'époque actuelle. Ces épisodes climatiques très chauds étaient généralement (mais pas toujours, et c'est là une difficulté) associés à un taux CO2 atmosphérique plusieurs fois plus élevé que le taux actuel […]

Si on a de l'intérêt pour les plantes et de la mémoire, le réchauffement local de ces dernières décennies se voit.

Il reste à savoir si ce réchauffement évident est dû à des circonstances météorologiques se répétant sur des décennies, ou à des conditions climatiques ayant légèrement changé dans l'espace alpin voire dans l'espace européen et péri-européen (on pense aux grands courants marins, le Gulf Stream en particulier)… ou alors, à un changement essentiel du régime thermique global.

Dans le troisième cas, il importerait d'en déterminer les causes réelles, probablement plurielles, sans que l'on se trouve contraint de prendre en compte uniquement celle qu'ont supputée les intérêts de la grande finance et de la grande politique (une augmentation anthropique du CO2 atmosphérique).

[…] Plus essentiellement, il faut garder à l'esprit que le chaos déterministe (c'est-à-dire l'extrême sensibilité aux conditions initiales) règne en climatologie, rendant illusoires toutes les prévisions… et excessive la panique monomaniaque actuelle. Il y a bien d'autres sujets de préoccupation environnementaux, incontestablement anthropogéniques, plus immédiats, plus réels… et beaucoup plus inquiétants pour la planète. Par exemple, la pollution par le plastique. Ou encore la destruction irréversible des derniers biotopes naturels et l'extinction à grande échelle des espèces animales et végétales, directement causées par les êtres humains… La liste est longue.

 

#114. La phylogénétique numérique, un cas limite en épistémologie

[…] Si l'on ne dispose pas de données paléontologiques en nombre suffisant, permettant de bien contraindre la reconstitution phylogénétique, on se retrouve très vite en présence d'une multitude de scénarios évolutifs possibles... tous aussi faiblement probables les uns que les autres.

 

#117. Jambe droite et jambe gauche

C'est également par goût personnel, et non par conviction morale ou intellectuelle, que je préfère, sur n'importe quel sujet de vie ou de réflexion, disposer de quelques données, même ternes et éparses, même sans lien apparent entre elles, que de quelques idées, même brillantes, si ces dernières ne semblent pas solidement fondées.

 

#119. L'invérifiabilité devenue vertu suprême

En quelques décennies, on aura vu, dans une tendance générale de la société, le monde de la science glisser vers le subjectif et l'imaginaire.

Le constat de l'auteur n'est pas du tout imaginaire, et à peine subjectif de sa part. En l'espace de cinquante ans, il aura lu une dizaine de milliers d'articles scientifiques (sans compter les entrefilets), dans des revues spécialisées comme dans des magazines de vulgarisation qui étaient de qualité.

Il a toujours en sa possession, entre autres, les numéros du Scientific American de 1962-1997, ainsi que ceux de La Recherche de 1976-1998. Cette continuité dans le temps lui a permis de comparer, attentivement, des articles ayant pratiquement le même titre, destinés au même public, publiés à une ou deux décennies d'intervalle. En dehors des détails scientifiques qui peuvent varier d'une décennie à l'autre (mais pas autant que ce à quoi l'on aurait pu s’attendre !), cette comparaison dans le temps se révèle très intéressante…

Ces deux mensuels étaient de haute tenue jusqu’à 1990 environ. […]

Un exemple typique d'idées para-scientifiques de ce genre, qui ne sont pas cadrées ni bornées par des éléments objectifs : la théorie des cordes […], obscure et compliquée à souhait… Malheureusement, elle est non seulement sans la moindre assise observationnelle, si l'on peut dire, mais elle est impossible à tester !

 

#122. Les deux photons qui n'en sont qu'un… et le sommeil qui en est cinq

[…] au cours d'une nuit passée à dormir il y a cinq stades de sommeil, physiologiquement très différents les uns des autres.

Les stades 1 et 2 forment le sommeil léger ; les stades 3 et 4, opaques, le sommeil profond. Les stades 2 et 5 sont peuplés de rêves ou de cauchemars (le stade 5 est qualifié de “ sommeil paradoxal ”).

 

#125. La connaissance, art de funambule

(…) si l'on investigue en profondeur, le constat s’impose : le savoir est superficiel… et très incomplet.

 

#129. Il y a souvenirs et souvenirs

Il y a des souvenirs qu'on peut laisser remonter à la surface. Il en est d'autres entre lesquels il faut se faufiler… et c'est parfois bien sombre.

 

#134. Bilan

Voyons… Ai-je contribué à un monde un peu moins cruel ? Hum... J'ai à peine influé sur le déroulement de ma vie… encore moins sur son orientation.

Au fond, le mieux que je pourrai dire, c'est que j'aurai tenté de comprendre, afin d'agir au mieux, afin de faire le moins de mal possible autour de moi. Énergie nette très limitée toutefois, petite portée… […]

 

#139. Le dédale et le marécage

La connaissance est un dédale, l'absence de connaissances est un marécage.