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dimanche 7 janvier 2024

« Le savoir de la peau » de Gérard Chaliand (2022)

J’ai voyagé seul en Grèce, en stop et à pied, en Égypte en troisième classe, debout durant vingt-deux heures, pour découvrir Thèbes, Karnak et Louxor au petit matin. La foule était si dense, dans le train, que j’ai dormi debout.

En Inde qui nous paraissait être le pays de la non-violence, de la spiritualité, des ashrams destinés à la méditation, nous avons découvert une société d'une violence sociale extrême, une misère abjecte, que nous avons partagée, étant sans moyens, et nous avons commencé à regarder le monde sous son vrai jour: cruel pour les asservis, tout naturellement et sans l'ombre de pitié.

Le despotisme des castes était manifeste et pleinement intériorisé de part et d'autre. Une grande ville indienne, au petit matin, c'était des corps à enjamber, comme des cadavres dans leur linceul. Il flottait dans l'air une odeur fétide. Les mendiants, dont certains déformés à la naissance afin d'éveiller la pitié, provoquaient l'horreur. Les dents en bataille de la plupart des bouches... On n'imaginait pas ce que subissaient les femmes tant qu'on n'avait pas vu leur visage de près.


En matière politique, l’Algérie indépendante a été notre école (…) Tout ce qui, à distance, paraissait romantique, se révélait une empoignade pour s’assurer du pouvoir et conforter des privilèges.


En ce printemps 1980 (…) la propagande saoudienne, depuis le quadruplement du prix du pétrole (1973-1974), affichait ouvertement sa volonté de restaurer un islam rigoureux en multipliant les medersas, les mosquées et les prêcheurs, de l’Ouest africain à l’Indonésie. Je l’avais constaté déjà à Bouaké, en Côte d’Ivoire, trois ans plus tôt, mais les médias s’intéressent davantage aux coups d’éclat qu’aux lames de fond (…)

Notre petite troupe menée par Amin Wardak se faufila du côté afghan (…) 

C’étaient les troupes les plus archaïques et le plus brouillonnes que j’aie jamais rencontrées. Aucun rapport avec les Érythréens, luttant contre l’Ethiopie, disciplinés, efficaces, avec 40% de combattantes bien formées (…) 

En aidant ainsi le plus radical des mouvements islamistes, l’Amérique voulait contrer l’Union soviétique. Au fil du temp se tissait la vague djihadiste qui bientôt se retournerait contre les Etats-Unis, leurs alliés et la plupart des régimes musulmans jugés trop tièdes (…)

Faire la guerre leur était aussi naturel que pour des Français descendre manifester dans la rue. Cela faisait partie des traditions (…) Les gens ici étaient plus durs à la souffrance qu’en Europe. Si vous tombiez, cela faisait rire et personne ne vous demandait si cela vous avait fait mal (…)

Dans ces sociétés, on est obsédé par le regard des autres, le jugement des voisins, du milieu, d'où l'importance du contrôle des femmes. Il importe de n'être pas jugé défavorablement, l'honneur de la famille en dépend (…) Les «crimes d'honneur» concernent toujours la sexualité des femmes. Il s'agit, en somme, d'une surveillance perpétuelle des autres, de leur observance des rites et du code.

Une autre caractéristique commune à l'ensemble de ces sociétés, fondamentalement tribales ou claniques et promptes à la division, est le déni de l’échec (…) L’échec est attribué au destin ou, plus fréquemment, à quelque force obscure et maléfique frappant traîtreusement (…)

A la fin de la guerre, en 1988-1989, les Soviétiques, soit huit ans après leur intervention, avaient perdu quelque 14 500 soldats, on était loin des 58 000 Américains morts au Viêtnam entre 1965 et 1973… Ainsi vont la manipulation, l’intoxication… (…)

Jamais dans aucun village, nous n’apercevrons de femme (…)

Nous avons finalement sucé des cailloux pour  tromper la soif, une vieille technique, à demi psychologique, que j’ai apprises chez les Éclaireurs (…)

C’est une société très traditionaliste et l’on constatait cela dans chaque village : femmes absentes ; les vieux, religieux ou non, qui prennent la parole. On voulait que rien ne change (…)

En 2005 (…) 70 % des dépenses publiques étaient affectées à Kaboul. (95% du budget national afghan provenaient de l'aide étrangère.) La sous-traitance absorbait un tiers largement des aides et entretenait tout naturellement la corruption.

Les zones rurales ne pouvaient survivre qu'en cultivant le pavot (90 % de la production mondiale, officiellement) (…)

40% de l’aide internationale retourne dans les poches des sociétés et des contractuels occidentaux (…)

Le rapport du général McChrystal publié en 2009 dans le Washington Post avait le mérite de la rigueur. En résumé il disait que les troupes américaines restaient en grande majorité dans leurs bases, que le régime était corrompu et que, additionné aux erreurs des forces occidentales, les populations étaient déçues dans leur attente d'un mieux-être, ce qui avantageait les talibans.


Ce pays [L’Iran], selon l'heureuse expression de l'historien français René Grousset, était le véritable « empire du Milieu» depuis très longtemps. Irréductible face à Rome, Byzance et aux Ottomans (…) Le pays était considéré comme relativement tolérant, tant à l'égard des chrétiens que des juifs (l'État d'Israël n'était pas, à l'époque, comme chez les Arabes, considéré comme l'ennemi par excellence). Seule, la secte des bahaïs, créée au XVIIIe siècle et critique à l'égard de l'islam, était fortement ostracisée (…) Ceci dit, tous les voyageurs européens, depuis trois siècles au moins, avaient été frappés par la duplicité dans les rapports, et le mensonge. Cette propension à la dissimulation (tagiya), caractéristique chez les chiites, causée par l'ostracisme, a pour origine l'hostilité séculaire des sunnites (…)

«Tu vas voir quelque chose d'étrange! » dit Ghassemlou.

En effet, l'hôte brisa le verre, dont les éclats tombèrent dans son assiette. Puis il prit une petite poignée des débris, les porta à sa bouche et se mit à les croquer sans douleur apparente. J'entendis le crissement du verre sous ses dents Il recommença cette opération trois fois, à ma stupéfaction Il n'y avait pas de subterfuge et pourtant, que faisait-il de ce verre dans sa bouche ? Il n'avait aucune trace de sang (…)

[Gassemlou] est le premier responsable d’un conflit armé qui lisait - comme les Viêtnamiens, dont même les cadres moyens continuaient d’étudier durant la guerre. L’habileté tactique, était, ailleurs, jugée suffisante.


Entre 1950 et 1975, j’ai rompu à peu près tout lien avec mes origines. Le « d » final de mon nom est une lettre de rupture. Je ne voulais plus entendre les litanies des veuves de mon enfance. Je faisais table rase, je ne voulais pas, pour héritage, d’un passé de désastre douloureusement connu seulement des Arméniens et relégué dans les oubliettes de l’Histoire. Je voulais aborder le monde à neuf, le prendre à bras-le-corps (…)

Du côté de mon père, tout le monde avait été assassiné sauf un frère cadet et l’aîné, mon oncle avocat qui, en 1920, à la tête d’une cité montagnarde, avait soutenu un siège de sept mois grâce à l’aide fournie par le général Brémond, avant de mourir, les armes à la main (…)

Au total, en deux années, environ un million d’Arméniens disparaissaient, soit plus de la moitié d’un peuple. Un immense désastre (…)

En Arménie, la corruption du tandem Kotcharian-Sarkissian, tous les deux originaires du Karabakh, avait provoqué une révolte pacifique menée par Nikol Pachinian (2018) (…)

Tandis que l'Azerbaïdjan, riche en pétrole et démographiquement largement supérieur, modernisait - avec l'aide de la Turquie - ses moyens militaires, Pachinian commettait l'erreur majeure de s'éloigner de Moscou. La Russie pourtant était la seule garante de la sécurité de l'Arménie. Lorsque le conflit éclata, Vladimir Poutine avait bien l'intention de faire payer à l'Arménie ses velléités d'indépendance.

L'impréparation de l'Arménie était grande et l'appui de la Russie tenu pour acquis une fois pour toutes était surestimé. L'Azerbaïdjan, pour sa part, bénéficiait de l'appui concret de la Turquie (drones), celui d'Israël, soucieuse de prendre l'Iran à revers, enfin d'un apport de troupes syriennes aguerries (deux mille hommes environ) (…) 

Les dirigeants arméniens, Pachinian compris, à l'exception de Levon Ter Petrossian, n'ont pas le sens de l'État ni n'avaient pleinement pris conscience que le temps travaillait contre eux, surtout depuis 2016-2017. Sur le plan démographique comme sur le plan militaire, tandis que Bakou se renforçait et jouissait d'alliances précieuses bien décidées à l'épauler, l'opinion publique arménienne restait crispée dans un immobilisme mortel (…)

Vladimir Poutine intervint peu avant le dénouement afin d’empêcher une pleine victoire azérie. Ses troupes s’interposèrent dans une partie du Karabakh, au grand dam de Bakou (…)

(…) l’absence durant près de cinq siècles de toute tradition étatique chez les Arméniens, ce qui constitue un sérieux handicap historique.

Cinq siècles de servitude, même si les droits religieux sont respectés et que l'identité ainsi peut se transmettre, ont des effets sur les comportements, donnent des habitudes de recours à l'autorité et créent plus de cohésion dans le malheur que de capacité de libre décision. Et moins encore de sens de l'État et de l'intérêt commun.


La ténacité, d’une façon générale, n’est pas la vertu cardinale en Amérique latine (…) Enquêter en Amérique latine était décevant. Trop de verbe, peu de travail organisationnel, c’était aussi triste que le Moyen-Orient arabe (…)

Le bilan de Guevara en Bolivie est pathétique. Une communication linguistique avec les populations indiennes était impossible, ce qui accentua l'isolement des guérilleros, presque tous étrangers. En conséquence, comme l'écrit Guevara au neuvième mois de sa présence (il décède au onzième): «Pas un paysan n'a rejoint la guérilla.» (…)

Les « masses populaires» au nom desquelles ces mouvements se sont soulevés n’avaient pas l'intention de s'engager a leur côté même si, en Italie, les Brigades rouges provoquèrent parfois des sympathies agissantes dans les milieux artistiques et littéraires. Avant la fin des années 1970, pour les mieux organisés, tous ces mouvements subversifs avaient pratiquement disparu (…)

Vu d'aujourd'hui, le bilan révolutionnaire latino-américain est d'une pathétique pauvreté. Celle-ci est due, dans un premier temps, à la «théorie» du foco, qu'il soit rural ou urbain, mais plus généralement à une cause majeure : l'absence physique de l'adversaire étranger qui facilite la mobilisation. Contrairement à l'ère coloniale, on n'a jamais connu, en Amérique latine, que des guerres civiles.

L’«impérialisme yankee», pour la paysannerie, notamment andine, reste une abstraction (…) Lidéologie et l'inflation verbale ont tenu, en Amérique latine comme dans certains pays du Moyen-Orient, une place considérable au détriment du travail politique.


La vie, en apparence, était facile en Martinique - on n’y constatait pas ce ressentiment à fleur de peau qu’on pouvait rencontrer dans certains milieux sociaux de la Guadeloupe.


En 1919, le Japon, seule puissance non blanche ne put obtenir qu'on ajoute à la Déclaration fondant la Société des Nations un article condamnant la discrimination raciale, la délégation américaine s'y étant opposée. L'esprit du temps était encore éloigné de l'indignation des dominés, qui commençait à germer. 


Quand j’y enquête [en Afrique du Sud] pour la première fois, en 1979, le système est très rigoureux (…)

Le train de luxe qui relie Le Cap à Johannesburg rappelle ce que j'ai lu sur l'Orient-Express de l'entre-deux-guerres.

Il est exclusivement réservé aux nantis. Tout est déterminé par l'appartenance à un groupe défini par la couleur : blanc, métis, indien, noir. Tout est codifié: l'appartenance à telle catégorie sociale, le lieu du domicile, obligation d'avoir un dompass (passeport intérieur) qui régit les déplacements. Pour refouler les Noirs, on les a installés dans des foyers destinés à devenir soi-disant « indépendants» ; 3,5 millions de Noirs vivent ainsi en homelands. Les cités noires ressemblent aux hameaux stratégiques des temps de guerre où les rues bien droites sont aisées à contrôler, sinon à mitrailler (…)

À cette époque-là, il y avait 15% de Blancs, 72% de Noirs, 10% de métis (colored) et 3% d’Indiens (…) la déception de l'ère post-Mandela, lorsqu'on a commencé à ne plus vouloir considérer comme Africains des Afrikaners installés dans le pays depuis quatre siècles et dont certains avaient activement contesté le système raciste (…)

Quand le régime portugais a été balayé par un coup d'État militaire décidé à en finir avec les guerres coloniales en 1974, l'Afrique du Sud a soutenu contre l'Angola et le Mozambique qui se réclamaient du marxisme-léninisme des mouvements de guérilla - opposés à ceux qui étaient soutenus par l'Union soviétique (…)

Le régime sud-africain paraissait un rempart contre l'influence soviétique en Afrique australe comme sur la route du Cap (…)

L'Apartheid prit fin avec la première élection multiraciale, en 1994.


En 1990, Nelson Mandela, après vingt-sept années de captivité, fut libéré. L'affrontement dégénérant en guerre civile qui pouvait paraître inévitable quelques années plus tôt fait place, de façon inattendue, à une autre solution, où Frederik De Klerk et Nelson Mandela ont joué un rôle décisif - ce dernier surtout. Mandela optait pour la concorde plutôt que pour la vengeance. Il s'est produit là un accident historique comme il en arrive rarement. On peut expliquer en partie ce comportement singulier par le fait que les deux protagonistes étaient protestants. La notion de pardon ne leur était pas étrangère et celle-ci s'est révélée un choix cohérent dans un moment de grâce. Que serait-il arrivé si Nelson Mandela et ceux qui en avaient fait leur héros avaient été musulmans ?


(…) l’Empire romain d’Orient qui survécut près de mille années après la chute de Rome…


C’est à la même époque que j’ai publié un livre sur la conquête espagnole de l’Amérique : « Miroirs d’un désastre. La conquête espagnole de l’Amérique » (…) Le livre fut publié en 1990, à une époque où les conquistadors n'étaient pas encore considérés comme des bouchers coupables de «génocide». Les sensibilités ont évolué de façon abrupte en deux décennies. La victimisation s'est imposée. Comme bien souvent, la balance tend à passer d'une lecture uniquement centrée sur la gloire des vainqueurs à leur diabolisation.

Les condamnations de l'esclavage au XXIe siècle ont moins de sens que celles émises au XVIIIè siècle par Condorcet ou Olympe de Gouges ou celles des antiesclavagistes britanniques qui s'en prenaient à des colons puissants. Lorsque le président français, Emmanuel Macron déclare à Alger: « La colonisation est un crime contre l’humanité », il semble oublier que toute l'histoire de l'espèce humaine est en quelque sorte un crime contre l’humanité. Faudrait-il cesser de lire Aristote parce qu'il avait des esclaves ou Platon parce que la place qu'il réservait à femme dans la cité était conservatrice ? Je n’ai pas de goût pour l’anachronisme (…)

Revenir des terrains précaires dont je rentrais me rendait, au fil des années, de plus en plus étranger à cette nouvelle sensibilité (…) L’Europe était peuplée de gens qui avaient peur de leur ombre et les médias, surtout ceux de l’image, vendaient quotidiennement de l’angoisse.


[La guerre du Golfe] fut menée de façon à causer moins de victimes possible chez la coalition. Quelques centaines d’hommes à peine, dont une partie par friendly fire (exquise expression). En face, peut-être cent mille soldats irakiens (…) 

La vulnérabilité psychologique inédite des Occidentaux, conséquence d’une longue période de paix et de sécurité chez des populations vieillissantes, était patente (…) la guerre du Golfe, superbement orchestrée, constituait un pas décisif vers l’intoxication de sociétés conditionnées et surveillées. Cela déterminerait une opinion publique d’apparente liberté soumise à l’influence, sinon au contrôle, de ceux qui détiennent le monopole des moyens de communication.


Cracovie était d’une architecture manifestement Habsbourg comme Budapest ou Prague. C’était l’Europe centrale avec son charme singulier.


Cette année-là, j’ai été visiting professor au Québec et j’ai donné une série de conférences à Berkeley et à UCLA (…) une époque où le « politiquement correct » n’avait pas encore donné aux cours un air d’exercice d’équilibre entre les faits et leur interprétation, au gré des modes. Cette Amérique-là, je ne l'ai pas connue, ayant cessé peu après le tournant du siècle de m’y rendre, parce qu’elle devenait de plus en plus intolérante.


Tachkent, capitale de l'Ouzbékistan, était une ville administrative, morne, que je n'avais pas aimée jadis. J’y suis revenu moins de deux années après la chute de l'Union soviétique. C'était toujours laid, mais il y avait effervescence dans les mosquées. Les prédicateurs wahhabites étaient là et fort actifs. Ils cherchaient à rattraper le temps perdu, à faire renaître l'élan de la foi, hier considérée comme archaïque et aujourd'hui ressentie comme une renaissance, Le nombre de mosquées détruites durant l'Union soviétique avait été considérable (…) En Asie centrale, ce sont, de loin, les Ouzbeks qui ont fourni les militants islamistes les plus nombreux, les mieux motivés et les plus combatifs.


La découverte, il y a quelques années, de diamants et de métaux précieux a transformé la Mongolie. Les consortiums étrangers, canadiens, chinois, russes, américains, européens sont venus et l’exode rural s’est généralisé. Aujourd’hui, Oulan-Bator, est dit-on, la seconde ville la plus polluée au monde.


L’impact des nomades sur deux millénaires avait affecté l’ensemble eurasiatique, d’Attila aux Mandchous avec l’hégémonie mongole et les vagues des tribus turcophones dont la plus remarquable créa l’Empire ottoman (XIVè siècle).


Les Lacandons vivent dans la forêt tropicale du Chiapas, où l’Etat mexicain leur avait alloué un territoire (…) entre le Mexique et le Guatemala. Ces Lacandons, issus des Mayas du Guatemala, s’étaient installés au Mexique, non loin de Palenque (…) Au XVIIIè siècle, les Lacandons septentrionaux furent christianisés (catholiques). Ils portent robe blanche et, pour les hommes, des cheveux longs (…) ils seraient, tous ensemble, quelque trois cents Lacandons (…)

Ainsi, après de cent ans, Chan Kin a conservé une mémoire intacte. Il est le dépositaire de l’histoire du groupe et surtout le dernier à connaître par cœur la grande cosmogonie héritée des Mayas, celle qui raconte la création et la destruction du monde, l’apparition et la disparition de l’espèce (…)

Chan Kin sourit malicieusement : « Une fois, des missionnaires évangélistes m’ont dit qu’il suffisait de prier leur dieux pour obtenir. Je leur ai répondu : « Dieu n’aime pas les paresseux. »


La France (…) interpréta les évènements [au Rwanda] comme une manœuvre anglo-saxonne destinée à affaiblir la position française (…) je fus envoyé en Grande-Bretagne afin de constater comment ils sélectionnaient leurs officiers (…) Chez nous, nous dirent-ils pas d’épreuve écrite comme chez vous. Nous sélectionnons à partir d’entretiens avec des candidats venant d’horizons divers, ce qui parfois permet de recruter de individus originaux. En tout cas, nous ne recherchons en définitive qu’une chose : un officier capable d’enfreindre, sur le terrain un ordre absurde… « Very unfrench, indeed ! ».

J’ai constaté une fois de plus, la lourdeur et la centralisation de notre système.

Le temps libre est le luxe suprême…


La question du Cachemire n'a cessé d'être conflictuelle depuis que la Grande-Bretagne lui a accordé l'indépendance, suivie d'une partition entre l'Inde et le Pakistan (1947). Sans doute eût-il mieux valu, si l'on cherchait la concorde, que la puissance coloniale eût octroyé la vallée du Cachemire majoritairement peuplée de musulmans au Pakistan, ce qui aurait évité un premier conflit en 1948 et un second en 1965, tous deux remportés par l'Inde.

L'inimitié entre les deux États a mené à un troisième conflit particulièrement humiliant pour le Pakistan puisque les troupes d'Indira Gandhi concoururent au démembrement du Pakistan en contribuant à créer le Bangladesh (1971) (…) 

À la fin des années 1980, l'URSS s'étant retirée d'Afghanistan, le statut du Cachemire fut remis en cause par une explosion de violences soutenues par le Pakistan. Il s’agissait, pour le Pakistan, de forcer l'Inde à une coûteuse mobilisation.

Des organisations cachemiries, soutenues par les services de renseignement pakistanais, recevaient aide financière et formation militaire. De 1989 à 1994, le Cachemire est à feu et à sang (…)

L'Inde et Pakistan étant dotés de l'arme nucléaire, la guerre est venue hautement improbable, et s'exprime à travers un conflit indirect (…)

Il s'agissait, pour le Pakistan, d'internationaliser le conflit du Cachemire, à l'instar de celui du Kosovo ; ce fut un échec. Celui-ci amena un militaire au pouvoir au Pakistan. En fait, en un demi-siècle, l'armée a dirigé le pays la moitié du temps. Avec l'islam, l'armée se veut le facteur d'unité, et la question du Cachemire, depuis 1948, sert d'exutoire aux multiples problèmes que le pays traverse (…)

Les militants s'infiltrent du Pakistan armés d'AK 47, de RPG-9, de grenades, d'explosifs divers. Parfois, certains groupes plus nombreux, jusqu'à douze, ont des mitrailleuses UMG. Leur mission: sabotage d'infrastructures, élimination des administratifs cachemiris collaborant avec les Indiens (…)

Le contrôle exercé par les forces indiennes est effectif, mais il nécessite une coûteuse mobilisation d'environ deux cent cinquante mille hommes (armée, BSE, police). La vallée du Cachemire, 16000 km2 et 4,5 millions d'habitants, pratiquement tous musulmans (…)

Le plus singulier est de pouvoir rencontrer des opposants déclarés et les entendre exprimer des options ouvertement hostiles à l’Inde. Le moindre opposant politique soupçonné de séparations en Turquie ou en Chine, pour prendre deux régimes aux options différentes, serait sous les verrous ou décédés après torture (…)

Peu d’observateurs ont signalé que le Pakistan n’a cessé depuis bientôt trente ans de soutenir très activement les militants islamistes du Cachemire (…)

Le Rajasthan (…) C’est une Inde architecturalement musulmane, une très large partie de l’Inde ayant été occupée pendant des siècles par les musulmans.


Au Sri Lanka (ex-Ceylan), les trois quarts de la population sont cinghalais et bouddhistes. Une minorité tamoule hindouiste, 15 % environ, vit essentiellement dans l'est et le nord. Moins de 10 % de musulmans sont répartis sur toute l'ile.

Durant l'occupation britannique, les Anglais, dans le cadre classique du Divide and Rule, employèrent surtout des Tamouls dans l'administration. Au moment de l'indépendance (1947), ceux-ci occupaient plus de la moitié des postes administratifs, ce qui avait créé un vif ressentiment chez les Cinghalais.

En 1956, l'État sri lankais instituait un Singhala Only Act qui fut légitimement perçu comme discriminatoire par la minorité tamoule (…) 

Le LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam) est fondé en 1972 (…)

En 1983, des émeutes éclataient provoquant des destructions considérables et plusieurs centaines de milliers de réfugiés tamouls. 

(…) LTTE, mouvement hautement totalitaire qui ne laisse d'alternative à ses membres que la lutte et la mort. D'inspiration marxiste-léniniste et nationaliste, ce parti est dirigé de façon totalitaire par un chef charismatique, Velupilllai Prabhakaran, et se distingue par une culture du sacrifice.

Chaque famille tamoule se doit d'avoir au moins un membre dans l'organisation. En intégrant le parti, le militant perd son identité et tout contact avec ses proches ; il doit se considérer comme déjà mort (…)

Après 1990, l'organisation adopte le gilet explosif que l'on porte sur la poitrine et qu'on fait exploser d'une main. Il y a près de 50 % de femmes dans ces commandos. Elles ont entre seize et vingt-cinq ans. On leur dispense six mois de formation intense. Les militants sont coupés du monde extérieur, le mouvement est tout: famille et patrie dans une atmosphère de couvent militarisé. Ils apprennent à s'infiltrer pour s'approcher au plus près de la cible, reconnaissent les lieux et s'imprègnent des habitudes de leurs futures victimes.

Rien n'est plus économique et efficace que des combattants kamikazes. Sur quelque cent quatre-vingt-cinq attentats-suicides, le LTTE en a réussi cent quatre-vingt-deux!

Assassinat du chef de l'État indien, Rajiv Gandhi (1991), qui avait envoyé l'armée indienne au secours de l'armée sri lankaise, par une militante de vingt-deux ans. Le président cinghalais a été assassiné en 1993 par un militant qui depuis deux ans était devenu ami avec ses gardes du corps (…) assassinat du responsable de la Marine, du ministre de la Défense, de deux anciens ministres dont un candidat à la présidence, six cents personnes étaient tuées lors de l'explosion du complexe armée-marine de Poonaryn, entre 1991 et 1993 (…) Destruction du bâtiment de la Banque centrale à Colombo en 1996, dix-huit morts et plus de cent blessés au Colombo World Trade Center en 1997 et destruction du temple de la Dent, le plus révéré des temples du bouddhisme, en 1998 (…) 

Avant une opération-suicide, l'ultime récompense de celui ou celle qui se sacrifie pour la cause est de rencontrer le dirigeant vénéré, qui ne se manifeste qu’exceptionnellement (…)

Au cours des quatre dernières décennies, il y a eu trois organisations révolutionnaires exceptionnelles: le FLN du Sud-Viêtnam, mieux connu sous le nom de Viêt-cong, le Eritrean People's Liberation Front (EPLF), qui après plus de vingt années de luttes a triomphé de l'Éthiopie, et le LTTE. Cette dernière organisation est une machine infernale destinée à produire de la mort (…)

La force du mouvement provient en grande partie des liens que celui-ci a su créer avec la diaspora tamoule (…) l’organisation dispose d’une petite flotte battant pavillon de complaisance.(…)

Le mouvement des Tigres tamouls est sans doute le plus efficace, avec les Tchétchènes, des mouvements irréguliers de cette période (…)

Le changement décisif se fait à Colombo avec la montée au pouvoir des frères Rajapaksa, qui décident d'en finir avec le mouvement contestataire. Ils vont bénéficier de la défection en 2004 de l'un des lieutenants de Prabhakaran (…)

L'assaut final, en 2009, fut donné après l'évacuation de toutes les organisations humanitaires étrangères (…) La population civile (cinquante mille?) qui, sans doute, servait de bouclier aux insurgés, fut massacrée de façon systématique (…)

Le bouddhisme au Sri Lanka est loin de la non-violence qu'on lui prête.


La guerre d’Irak (…) La non-connaissance du terrain était confondante (…) Contrairement aux déclarations de Donald Rumsfeld qui envisageait de ne laisser en Irak à l'été que trente-cinq mille hommes, il fallut faire appel à des compagnies de sécurité telle Blackwater et près d'une dizaine d'autres qui, bientôt, totaliseraient cent quatre-vingt mille hommes en plus des cent cinquante mille soldats américains (…) en 2004 (…), le scandale des photos sexuellement humiliantes prises dans la prison d'Abou Graib (gérée par deux compagnies de sécurité), dont la photo d'une militaire américaine tenant en laisse un prisonnier irakien nu et à quarre pattes, fit le tour du monde (…)

Pour les États-Unis, avec George W. Bush comme avec Barack Obama, l'Irak était un échec. L'Iran sortit renforcé du conflit et son influence continuait de s'étendre. Le dessein de remodeler le Grand Moyen-Orient fut un fiasco (…)

La zone était déserte et nous entrâmes, seuls, dans Ninive dont les statues étaient encore intactes. Sophie prit des photos, nous étions émus. Quelques années plus tard, Les djihadistes de Daech effaceront le visage des statues et feront sauter ces murailles impies, construites avant l'arrivée de l’islam (…)

Les étrangères, même seules, pouvaient à Damas comme à Alep se promener seules, le soir, sans risque. C'était un des « avantages » des dictatures (…)

Après avoir franchi le Tigre, c'était la région autonome du Kurdistan d’Irak (…) Les Français étaient particulièrement bien vus, grâce à l'intervention de Danielle Mitterrand, qui avait été alertée (…) La destruction organisée de plus de quatre mille villages par Saddam Hussein et l'usage de gaz chimiques à Halabja.

Les Kurdes appelaient Danielle Mitterrand « la mère des Kurdes » (…)

« Notre passé est atroce, notre présent pathétique, heureusement nous n'avons pas d’avenir! » L'humour kurde est capable d'autodérision. Une dimension qu'en France nous ne connaissons pas. La tradition de l'humour de salon se prête mieux à l’ironie..

(…) la sécurité doit toujours être assurée pa les premiers concernés (…)

La Turquie n’aura cessé de soutenir Daech aussi longtemps que celui-ci était opérationnel et a cherché à affaiblir autant que possible les Kurdes de Syrie.


Dans cette aire, je préfère, de loin, la Nouvelle-Zélande. L'île du Sud tout particulièrement que nous avons parcourue plus tard avec Sophie, plus prenante que l'Écosse, ce qui n'est pas peu dire, en matière de lumières changeantes, de pluies légères et de paysages époustouflants.


L’Uruguay est sans doute le pays le plus démocratique d’Amérique du Sud.


Valparaiso est sans doute la plus belle cité que j’ai vue au cours de cette dernière décennie.


(…) Buenos Aires étant une ville nocturne comme Barcelone ou Tel-Aviv…


Je sais qu'il est de bon ton de fustiger les Russes. Reste que Vladimir Poutine, entre 2015 et 2016, a frappé ceux qui devaient l'être. Pas seulement l'Organisation de l'État islamique, mais des organisations djihadistes que les médias anglo-saxons avaient coutume de dénommer « forces d'opposition». Il n'y a guère eu de forces d'opposition dignes de ce nom dans ce conflit à partir de 2013, hors les djihadistes. Les Américains, qui ont maintes fois entraîné des forces d'« opposition démocratique», ont dû y renoncer car elles n'étaient pas combattantes. Le sunnite modéré ne tenait pas à risquer sa peau.


L’un des effet du djihadisme et des islamistes agressifs a été de s’aliéner à la fois la Chine, l’Inde et l’Occident.


À la veille de la Première Guerre mondiale, Hadjin, situé sur le Taurus à quelque 1 200 mètres, était peuplé d'environ vingt-six mille habitants, chiffre important pour l'époque, d'autant plus que les musulmans n'en constituaient que quelques centaines. Une considérable proportion de la population disparut lors des massacres de masse en 1915-1917. Au lendemain de la guerre, la France a hérité d'un mandat en Anatolie du Sud-Est, désignée alors du nom de Cilicie (…)

Dès la fin de 1919, les forces kémalistes s'organisent et veulent lutter contre le dépeçage colonial auquel le sultan avait dû consentir. La chute de Marache, une cité de soixante mille habitants défendue par deux cents soldats français commandés par un capitaine, porta un coup sévère au prestige français (…) La puissance croissante du kémalisme ne pouvait être contenue par la faiblesse des effectifs et des moyens français en Cilicie, Brémond quitte la Cilicie la mort dans l’âme (…) Il n'y eut pas d'alternative pour la France que de se replier en Syrie.


Aucun autre pays, y compris parmi de moins prospères que le nôtre, n'a plus de mécontents. La plainte rageuse semblant être une manière d'être et cela dans une société avec des avantages sociaux qui ne sont surpassés que par trois ou quatre pays dans le monde (…)

Nous avons laissé se développer les zones de non-droit liées à la drogue. Et nous avons récolté ce que les wahhabites et les Frères musulmans entre autres n'ont cessé, à l'abri de la démocratie, de semer tandis qu’avec l'indulgence perfide de certains de nos observateurs, nous donnions avec anachronisme dans la culpabilité coloniale.


Enfin, on ne saurait sous-estimer l'impact des bouleversements démographiques en un peu plus d'un siècle. De 33% en 1900, les pays d'Amérique du Nord, d'Europe et la Russie ne représentent qu'à peine 12 % aujourd'hui.

Sans compter le changement des sensibilités en Occident. La victimisation joue un rôle politique et pervers très démobilisant tandis que, par exemple, le phénomène d'origine américaine woke draine, entre autres, une culpabilité d'origine chrétienne empreinte de puritanisme.


C'est en remontant l'Amazone sur La Boudeuse, trois mâts goélette, que j'ai constaté, en 2005, que depuis trente cinq ans je n'avais dormi dans aucun lieu plus d'un mois (…)

Je ne connais personne qui ait voyagé autant que moi, aussi longtemps et dans autant de lieux. Ma vie, à partir de dix-huit ans et pour les quelque sept décennies qui ont suivi, n'a été qu'un voyage qui m'a mené dans plus de cent quarante pays. Ce chiffre n'a aucun sens, la plupart d'entre eux, sur une carte du début du XXè siècle, n'existaient pas.


Finalement, la grande innovation aura été celle de Mao Zedong : passer de la guérilla progressivement, au but de la guerre révolutionnaire, c'est-à-dire de ne pas se contenter de harceler une armée régulière mais de chercher à s’emparer du pouvoir.

Comment ? En s'efforçant d'encadrer «les masses» par un travail politique dévolu à des cadres formés à cet effet destinés à organiser une infrastructure politique clandestine. En somme, il s'agit d'encadrer administrativement les populations en créant des hiérarchies parallèles (shadow government).


Le vieux Shakespeare avait raison de dire que «la prospérité et la paix engendrent des couards».


Mais en 2013, on avait déjà le bilan de la chute de Kadhafi - c'est-à-dire le bordel absolu. D'ailleurs, le mandat du Conseil de Sécurité de l'Onu avait été voté pour protéger la population de Benghazi, en aucun cas de se débarrasser d'un dictateur. Nous avons donc outrepassé ce mandat. Qu'aurions-nous dit si cela avait été par les Chinois et les Russes ?

Nous avons créé un chaos dont, de surcroît, les dégâts collatéraux dans le Sahel sont essentiellement à la charge de la France. Faut-il rappeler que l'État islamique est la conséquence de la guerre de choix menée contre l'Irak par les néoconservateurs en 2003 ?


(…) nos télévisions, et particulièrement les chaînes d'information en continu, participent à la déstabilisation psychologique de nos propres sociétés (…) Il faut informer mais il faut arrêter de vendre de l'angoisse parce que l'audimat marche très bien. On est dans une société du spectacle qui cherche à se faire peur, et cela marche. 


Lorsque l'on est vraiment en guerre, on fait face. Et lorsque l'on est dans une société du spectacle, on se fait peur. Nous sommes dans une société de la victimisation (…) Lorsqu’il y a un accident d'autobus - un accident - avec quarante-trois morts, le président de la République se déplace pour dire que la France est en deuil. Dans quel magma de sensiblerie sommes-nous? (…) L’Occident se caractérise aujourd'hui par un déni de la mort (…) et pour la mort de deux soldats on fait une cérémonie aux Invalides.


(…) Il faut y ajouter ce que McChrystal disait dans son rapport : les gars ne sortent pas des bases - peut-être 5 %. Ils mangent ce qui vient des Etats-Unis, ils écoutent leur musique et leurs films...

somme, ils ne sont pas là. Ils ont une mentalité de transitaires: ils écrivent à leurs proches chaque jour par internet, ils sont psychologiquement ailleurs et ils ne connaissent pas le terrain (…) Les dirigeants non plus ne connaissent rien (…) Les décisionnaires paraissent surtout réagir aux évènements et en partie déterminés par la presse et l’opinion.


Au Moyen-Orient, il n'y a pas aujourd'hui d'options démocratiques, même s'il y a des personnalités démocrates. Nous sommes dans une région où l'on reste convaincu qu'on en obtient plus par la violence que par la négociation et où le vainqueur rafle toute la mise pour lui. (…) Quant à la Syrie, les démocrates pourraient aujourd'hui tenir dans un seul hôtel... tous les autres opposants à Bachar sont des islamistes.

(…) Les salafistes n'ont rien à vendre de sérieux aux populations. Ce sont des perturbateurs sans programme économique (…)

Mais, au niveau mondial, le grand changement (…) C’est l'émergence de ceux qui bossent : la Chine, l'Inde, la Turquie, la Corée du Sud, le Viêtnam, l'Iran. Ceux-là parlent de travail, alors que les djihadistes, préfèrent mettre en avant leur «courage»...


Notre incurie est apparue de façon patente lors de la crise yougoslave en 1993 : trois pays regroupant deux cent cinquante millions d'habitants, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, qui, quelques années plus tôt, passaient à juste titre pour puissants, ne pouvaient contraindre dix millions de Serbes. Il a fallu solliciter l'intervention des États-Unis pour que le même scénario se reproduise au Kosovo.


À ce triste constat s'ajoute l'attitude des dirigeants occidentaux qui ne savent faire que du compassionnel là où il conviendrait, au contraire, d'appeler au courage et à une posture réactive.

Non, on est en plein dans le pathos médiatique avec fleurs, bougies, marches blanches, interviews de veuves et parents éplorés, exhibant notre faiblesse et donnant ainsi à l'adversaire toute satisfaction. La victimisation est d'ailleurs devenue un mode de référence politique. À titre personnel, je suis issu d'une famille arménienne, donc héritier d'un génocide ayant eu lieu au début du XXè siècle. Mais je me refuse absolument à m'en parer pour m'exhiber en victime. Or aujourd'hui, c'est l'attitude inverse qui prévaut dans la sphère communicationnelle occidentale, avec une course insensée à la victimisation, chacun prétendant être davantage victime que son voisin. Or, dans le reste du monde non-occidental, les paramètres de pensée et de manière d'être-au-monde ne sont pas les mêmes. Aux yeux de ces peuples, nous apparaissons comme les apeurés du monde.


On a donc gagné trente ans de vie, et pourtant, on se refuse à travailler au-delà de soixante-cinq ans, alors qu'on est en général en bonne santé. Bien sûr que tous les problèmes sociaux non pas été éradiqués, mais prenons les choses dans leur globalité. Force est de constater qu'en France, nous vivons dans notre cocon - ô combien prospère malgré tout - et en paix depuis plus de soixante-dix ans, ce qui est absolument inédit dans l'histoire du monde.


Quel politique de haut rang aurait l'audace de dresser froidement un état des lieux réel de la situation de la France et d'avouer que nous sommes bel et bien en phase de déclassement ? Les stratèges, eux, savent qu'il y a une démobilisation et une perte de volonté patente de la part d'une population qui opère un déni de réalité, qui veut encore et toujours consommer plus et vivre sur un mode hédoniste. Nous vivons dans un théâtre d'ombres, nourris de faux-semblants, avec un constant déni du réel qu'alimente la pensée dominante (…)

Nous nous cachons à nous-mêmes ce que nous sommes devenus. Qu'on le veuille ou non, notre monde européen manque aujourd'hui de trois vertus majeures, à savoir la lucidité, le courage et la ténacité.


(…) au cours de ma longue carrière, j'ai vu des armées bien équipées et bien entraînées, qui cependant ne remplissaient pas leur mission. Pourquoi ? Simplement parce qu'elles manquaient de l'essentiel, à savoir la volonté de combattre.

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