Et puis je le respectais, ce type, oui, je respectais ses cols, ses larges manchettes, ses cheveux plaqués. Certes, il tenait du mannequin de coiffeur, mais dans ce pays très démoralisé, il sauvait les apparences. Ça, c'est avoir du caractère. Ses cols empesés et ses plastrons apprêtés étaient autant de victoires de la volonté.
Vous savez pourtant que je hais, j'exècre, je ne supporte pas les mensonges, non que je sois plus droit que l'importe lequel d'entre nous mais, simplement, parce que le mensonge m'épouvante. Il y a un relent de mort, un goût de mortalité dans le mensonge, et c'est précisément ce que j'exècre le plus au monde, ce que je veux oublier. Cela me rend malheureux et malade, comme si je mordais dans quelque chose de pourri. Question de tempérament, je suppose.
«… Non, c'est impossible. Il est impossible de rendre la sensation vivante de quelque période donnée de son existence, de ce qui en fait la vérité, le sens, son essence subtile et pénétrante. C'est impossible. Nous vivons comme nous rêvons : seuls… »
L'essentiel, c'était qu'il était doué et que, de tous ses dons, le plus remarquable, celui qui lui donnait une réelle présence, c'était son aptitude à parler, son verbe ; ce don de l'expression, déroutant, lumineux, ce talent des plus nobles et des plus méprisables, flot vibrant de lumière ou flot de mensonges, jailli du cœur des impénétrables ténèbres.
Je n'ai pas trahi M. Kurtz : j'étais destiné à ne jamais le trahir, il était écrit que je serai loyal au cauchemar de mon choix.
(…) il me confia que, selon lui, Kurtz en réalité ne savait pas écrire. « Mais, par Dieu, pour ce qui est de parler, il n'avait pas son pareil. Il pouvait électriser des foules entières. Il y croyait, comprenez-vous, il avait la foi. Il pouvait se persuader de croire n'importe quoi, absolument n'importe quoi. Il eût fait un magnifique chef de parti. « Quel parti ? » demandai-je. « N'importe lequel, répondit l'autre. C'était un… extrémiste. »
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