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dimanche 16 avril 2023

« Les grandes hérésies » de Hilaire Belloc (1938)

Une hérésie est l'entreprise de déconstruction d'un corps de doctrine unifié et homogène par la négation d'un élément inséparable de l'ensemble.

Le mot hérésie provient du grec Haireo qui voulait dire « j'attrape », « je saisis », puis qui en est venu à signifier « j’emporte » ou « je retire ». Par extension, le terme Hairetikos désignait celui « qui choisit ».

C’est pourquoi on dit que « les hérésies subsistent grâce aux vérités qu’elle renferment. » Les Pères de l’Église insistèrent tout particulièrement sur ce point.


La raison pour laquelle les hommes combattent une hérésie ne réside donc pas dans un conservatisme figé dans ses routines, mais dans une perception claire et nette que, si elle devait gagner du terrain, elle déboucherait sur un état des mœurs et des règles sociales au mieux problématiques, au pire mortelles pour la culture issue de l’ancien ordre des choses.


Celui qui s’imagine que la lutte contre l’arianisme ne fut qu’une simple joute verbale ne sait pas à quoi ressemblerait un monde façonné par les idées ariennes…


En vérité, la doctrine en question (et son déni) a informé les hommes jusqu’à devenir partie intégrante de leur être ; ainsi exerça-t-elle une influence déterminante sur le type de société que ces mêmes hommes allaient instituer.

Ce qui nous amène à ce constat, hélas trop souvent occulté de nos jours : à l’échelle des masses, l’attitude sceptique envers toute espèce de transcendance n’est plus tenable. Elle a semé les germes d’un désespoir endémique (…) Aucune société humaine ne peut fonctionner sans une croyance partagée par ses membres, celle-ci lui conférant de règles et une personnalité propres. De fait, certains individus - notamment ceux qui ont toujours vécu à l’abri du besoin - parviennent à s’accommoder d’un minimum de repères ou de certitudes métaphysiques ; mais les organismes collectifs ne peuvent pas s’en payer le luxe.


Chaque époque présente une configuration propice à une certaine forme d'hérésie ; la nôtre s’en distingue dans la mesure où l'esprit hérétique s'est généralisé et combine de manière inédite des postures et inclination variées.


L’arianisme - qui se propage à partir du IVè siècle et qui étend son influence tout au long du Vè - s’en est pris aux racines de son magistère en contestant la divinité de son fondateur (…) L’arianisme est donc un cas d’école (…) de cette réaction contre le surnaturel…


L’assaut mahométan (…) il s'agissait d'une hérésie spécifique, latente et périphérique plutôt qu’endogène. Elle menaça l'Église catholique par la guerre et l’invasion, et non par quelque travail de sape entrepris de l’intérieur.


L’attaque protestante (…) a posé un principe simple, à savoir la négation de l'unité, et elle s'y est tenue. Le but était de promouvoir un état d'esprit hostile à la conception traditionnelle de l'Église en tant que corps infaillible, indivisible et pastoral ayant reçu l'onction divine ; non pas de contester les doctrine qu'elle professait, mais plutôt sa prétention exclusive à leur égard. Ainsi, rien d'étonnant à ce qu'un protestant puisse affirmer, comme le font par exemple les puséyistes anglais, son adhésion au fondement reconnue de la messe tels que la présence réelle ou le sacrifice eucharistique, tandis qu’un autre s’en désolidarisera. L’essentiel est que leurs violons s'accordent sur l'opinion suivante : (…) il n'y a pas d'autorité centrale infaillible, et chacun est donc parfaitement libre d'élaborer à sa guise sa propre composition doctrinale (…) Ancré dans sa remise en cause de l'autorité, son trait constant demeure le rejet de l’unité.


*


L'arianisme (…) se refusait à reconnaître au Christ sa pleine nature divine (…) De manière paradoxale, ils lui prêtaient tous les attributs divins, la divinité exceptée (…) Aussi désignaient-ils Jésus-Christ comme le suprême agent de Dieu, un démiurge, l'identifiant à la toute première des émanations de l’Omnipotent.


C'est un trait commun à tous les grands changements survenus au cours de l'histoire : ce furent des minorités qui décidèrent de la suite des événements (…) Dans les années qui suivirent la conversion de l'empire, l'arianisme manifesta son extrême vigueur et devint le centre de gravité de ces groupes dissidents – qui en eux-mêmes étaient plutôt indifférents à sa doctrine – ainsi que le point de convergence de la plupart des forces résiduelles liées aux traditions survivantes de l'ancien monde : il ne s'agissait pas de traditions religieuses, mais d’héritages intellectuels, sociaux, éthiques, littéraires… Nous pourrions l'exprimer plus nettement en langage familier en disant que l’arianisme, qui s'imposait alors comme un sujet brûlant au sein de l'Église, attira à lui tous les « intellos », au moins la moitié des snobs, presque tous les conservateurs idéalistes et autres « vieux briscards », qu’ils se disent ou non chrétiens (…) 

Sans l'armée, l'arianisme n’aurait jamais atteint l'ampleur qui fut la sienne (…) Celle-ci l’adopta surtout en tant que marqueur lui permettant d'établir la supériorité de la corporation militaire sur les masses civiles, de même que les intellectuels la plébiscitèrent afin de se distinguer des classes populaires.


(…) Athanase était donc le chef de l’une des plus prestigieuses communautés chrétiennes de l’empire. Constantin lui ordonna de ré-admettre Arius à la communion ; il refusa. C’était un acte téméraire, en ces temps où défier l’autorité du monarque était considéré comme le pire des crimes (…) Accusé de tous les maux, il fut exilé en Gaule (…) Sa présence en Occident contribuait en effet à renforcer le catholicisme dans toute cette partie de l'empire (…) 

La cour impériale avait pris fait et cause pour l'arianisme lorsque parvint au pouvoir Constance, dernier fils de Constantin et arien convaincu. Il ordonna lui-même une ribambelle d’évêques hérétiques et se mit à pourchasser Athanase, alors contraint à une nouvelle succession d'exil ; cependant, partout où il allait, les positions nicéennes gagnaient du terrain. En 361, Constance meurt et c'est Julien l’apostat, un neveu de son père qui lui succède : il avait renoué avec les vieilles traditions païennes et s'était donné pour mission de rétablir le paganisme ; il s’en fallut de peu qu'il n'y parvînt, car le pouvoir d'un empereur demeurait gigantesque à cette époque. Mais il fut tué lors d'une bataille contre les Perses (…) 


C'est d'abord et avant tout la submersion de l'empire par les conquérants arabes qui précipita l'extinction de l'hérésie arienne en Orient (…)

Tous ces pouvoirs locaux d’Occident - le chef franc et ses légions de soldats dans la partie nord de la Gaule, leurs homologues wisigoths dans la partie sud et en Espagne, burgondes dans le sud-est, goths en Italie et vandales en Afrique du Nord - s’opposaient au centre impérial sur la question religieuse. Seule l’autorité franque, dans le nord-est français et dans ce qu’on appelle de nos jours la Belgique, demeurait païenne ; toutes les autres étaient ariennes (…) les chefs goths et vandales trouvaient plus prestigieux d’être ariens quand le reste de la populace demeurait catholique. Ils représentaient l’armée, et cette dernière devait tenir son rang (…)

Clovis le païen n’avait jamais été arien ; il était donc possible d’opérer sa conversion directe au catholicisme. Aussitôt son baptême célébré, il put bénéficier du soutien de millions de sujets et de corelégionnaires, auxquels se joignait l’ensemble de l’organisation cléricale.


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Une vingtaine d'années après les premières charges de 634, le Levant chrétien avait disparu : la Syrie, berceau de la foi, et l’Égypte avec Alexandrie - l'un des évêchés chez les plus importants du monde chrétien - basculaient dans une nouvelle dimension. En l'espace d'une vie humaine, la moitié des richesses est près de la moitié du territoire de l'empire romain était passé aux mains des califes mahométans…


Le mahométisme n'avait rien d'un phénomène païen, tout extérieur à l'Église. Il s'agissait d'une perversion de la doctrine chrétienne.


Car Mahomet (…) formula clairement et sans équivoque son opposition radicale à la doctrine du Dieu incarné.


On peut ainsi observer beaucoup de similitudes entre l'ardeur avec laquelle Mahomet s'en prenait aux prêtres, à la messe, et aussi aux sacrements, et l'attitude du calvinisme - la force motrice de la Réforme - face aux mêmes objets de scandale (…) et il envisageait la destinée humaine d'une manière qui le rapproche infailliblement du calvinisme et de son sens de la prédestination…


Aussi bien en Asie Mineure qu'en Afrique gréco-romaine, et tout particulièrement dans cette dernière région, la société s'abîmait dans un chaos qui exaspérait partout la colère et le désarroi : elle ressemblait en cela beaucoup à notre société contemporaine (…) dans ce contexte, l'islam arrivait à point nommé ; il fut accueilli avec soulagement comme un remède aux désordres sociaux (…) une société dans laquelle des millions de paysans en Égypte, en Syrie et dans tout l'Orient, accablé par l’usure et par une taxation excessive, furent immédiatement soulagés par la nouvelle croyance…


Ce fut la combinaison de toutes ces choses - l’attrait pour une doctrine simplifiée, l'abolition des prescriptions ecclésiastiques et impériales, la promesse de liberté pour l'esclave et de sérénité pour le débiteur, l'institution d'une justice désintéressée régie par des lois simples, peu nombreuses et intelligibles - qui entraîna le stupéfiant triomphe social du mahométisme.


L’Islam représentait à cette époque (une grande partie du VIIè, puis tout le VIIIè et IXè siècles ) une civilisation matérielle nettement en avance sur notre monde occidental (…) quant à la richesse, quant à la puissance, et, sans doute plus important encore, quant aux connaissances dans les sciences théoriques et appliquées (…) pourquoi ? La réponse tient à la nature même de la conquête mahométane. Contrairement à ce qui fut si souvent répété, elle n’a pas détruit tout ce qui se trouvait sur son passage, et elle n’a pas exterminé tous ceux qui ne se convertissaient pas à l’islam  elle a fait très précisément l’inverse.


Héritier par la force des choses de l’ancienne culture gréco-romaine, l’univers islamique demeura longtemps son conservateur, et ce à plus d’un titre.


Plus tard  le calvinisme connut aussi un grand succès en mettant l’accent sur un autre point fondamental de la doctrine catholique : la toute-puissance et l’omniscience de Dieu (…) et il aurait probablement gagné toute notre civilisation si les Français ne l’avaient pas combattu au cours de leurs guerres de Religion, triomphant de ses adeptes sur cette terre de Gaule - c’est-à-dire dans cet espace qui a toujours été le champ de bataille des idées européennes et leur lieu privilégié d’expérimentation (…) il engendra le mouvement puritain auquel on doit l’isolement de l’âme, la valorisation de l’entreprise privée, de la compétition débridée et de l’avarice, sans oublier le déploiement intégral de ce phénomène qu’on nomme le « capitalisme industriel » - par la grâce duquel notre civilisation doit désormais faire face aux effets de la colère d’une majorité de déclassés envers une petite caste de ploutocrates sans scrupules. Aujourd’hui, plus personne, sauf une poignée de gens en Ecosse, ne se réclame sérieusement de la doctrine formulée par Calvin ;  mais son esprit perdure dans les divers pays qu’elle contamina en profondeur, et ses fruits sociaux sont toujours sous nos yeux.


(…) une armée mahométane menaçait encore de renverser et de détruire la civilisation chrétienne : elle aurait mis ses menaces à exécution si le roi catholique de Pologne ne l’avait pas défaite aux portes de Vienne. Appelé en renfort par Léopold de Habsbourg, Jean III Sobieski repoussa les Turcs à la bataille de Vienne le 12 septembre 1683. Cette bataille marque le début du recul de la puissance ottomane, si bien que le pape Innocent XI surnomma le roi de Pologne le « Sauveur de Vienne et de la civilisation occidentale. »


Sa capitale était initialement basée à Damas, et, dans un premier temps, le mahométisme fut une chose syrienne (…) 

Cependant, les califes établis à Bagdad parvinrent à consolider leur pouvoir en s’attachant les services d’une garde rapprochée de mercenaires mongols. Ces nomades des steppes - qui à partir du Vè siècle lancèrent des assauts successifs contre notre civilisation - étaient d’invincibles guerriers, une puissance de dévastation à nulle autre pareille. Ils semaient la désolation partout sur leur passage, pillant et brûlant ce que d'autres avaient mis des générations à construire. Par deux fois, l'Occident chrétien faillit être complètement ravagé par leurs raids : une première fois au cœur du Vè siècle lorsque la horde des Huns commandée par Attila (jonchant son parcours de ruines et de cadavres) fut stoppée  en France, non loin de Châlons-en-Champagne ; puis 800 ans plus tard, au cours du XIIIe siècle. Là, le rouleau compresseur mongol fut freiné non par nos armées, mais par la mort de celui qui avait réuni ses combattants sous la bannière du Khan - il était parvenu à deux pas de l'Italie du Nord et s'avançait vers Venise. La mort du Khan Ögedeï provoquera le reflux des Mongols en Asie, tenus qu'ils sont de participer à l'assemblée qui permettra l’élection du nouveau dirigeant (…) 

Ajoutons que les envahisseurs mongols étaient pleinement disposés à accepter l'islam ; ces hommes qui servaient comme mercenaires, constituant le bras armé des califes, étaient prêts à se conformer aux simples exigences du mahométisme (…) le monde mahométan (…) fut ranimé par un nouvel afflux massif de soldats mongols, dénommés les « Turcs » (un nom générique commun à plusieurs des ces tribus nomades). Ceux-ci se signalèrent aussitôt de la plus effroyable des manières, en détruisant de façon systématique tous les éléments de civilisation grecque et chrétienne que l’Islam avait jusqu'ici préservés.


La Chrétienté catholique parvint à reconquérir l'Espagne ; elle faillit bouter les mahométans hors de Syrie et sauver la civilisation chrétienne d'Orient, en coupant les axes de communication entre les mahométans africains et asiatiques. Si cette vaste opération de reconquête avait réussi, le mahométisme aurait peut-être disparu. Mais le résultat fut tout autre : l'échec des croisades est la plus grande tragédie dans toute l'histoire de notre opposition à l’Islam…


(…) les gens tendent à oublier combien, du milieu du VIIè à la fin du IXè siècle, les chances de survie de la civilisation chrétienne semblaient infimes.


L'empereur de Constantinople contrôlait toujours sa capitale, mais celle-ci était dangereusement menacée par les Turcs : brûlant de prendre la « nouvelle Rome » et de précipiter la ruine de la Chrétienté, ils étaient postés sur la rive orientale du Bosphore, en Anatolie. Cette pression fut immédiatement levée avec l’arrivée des croisés (…) l’un de leurs chefs fonda un royaume à cet endroit, installant sa capitale dans la ville chrétienne d’Édesse (…) A Antioche, un autre chef s’intronisa prince local ; s’ensuivront de longs mois de tergiversations et de sévères disputes entre ceux-ci et l’empereur de Constantinople : naturellement, ce dernier voulait qu’on lui restitue toutes les anciennes portions de son royaume qui avaient été reprises aux mahométans (…) Les croisés finirent par quitter Antioche à l’aube de la dernière année du XIè siècle - en 1099, soit trois ans après le déclenchement effectif de la croisade (…) ils parvinrent au abords de Jérusalem (…) lancèrent l’assaut, décimant la totalité des garnisons mahométanes (…) Ils y fondèrent un Etat, couronnant l’un de leurs souverains du nouveau royaume de Jérusalem. Cet homme qui recueillit leurs suffrages s’appelait Godefroy de Bouillon…


Ces « ports du désert » (…) forment un chapelet de villes disséminées aux abords du désert qui va d’Alep au nord, et qui descend jusqu’à Petra (…) chacun d’eux était tenu par les mahométans au moment des incursions occidentales. Leur ville centrale, la plus riche et la plus développée, était Damas ; si les premiers croisés avaient pu compter sur des hommes en nombre suffisant pour prendre la grande capitale de la Syrie leur victoire aurait été scellée une fois pour toutes.


(…) le roi de France et celui qui était alors le roi des Romains (…) concentrèrent leurs efforts sur Damas, pivot stratégique de toute la région (…) Salah ad-Din Yüsuf - mieux connu chez nous sous le nom de Saladin -, fils de l’ancien gouverneur de Damas et guerrier de génie, parvint à rassembler progressivement sous son commandement l’ensemble des forces mahométanes du Proche-Orient (…) Le siège de Damas, qui marqua l’échec de la seconde croisade, eut lieu en 1148 (…) Saladin reprit leurs villes les unes après les autres, à l’exception d’un ou de deux modestes retranchements sur la côte méditerranéenne, qui devaient demeurer sous contrôle croisé pour encore quelques générations. Surtout, le royaume de Jérusalem, établi pour veiller sur les Lieux saints, n’était plus (…)

Dans la foulée, tous les grands souverains de l’époque - le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion, le roi de France Philippe Auguste et l’empereur Frédéric Barberousse - consentirent à lever conjointement une grande armée, formée d’éléments germaniques pour l’essentiel. Aussi décidés qu’ils fussent à restaurer ce qu’ils avaient perdu, ils échouèrent.


Au passage, remarquons ici l'une des raisons de l'éclatement de la Chrétienté lors de la Réforme : la pression mahométane sur l'empereur germanique était telle qu’elle donna aux princes-électeurs ainsi qu’à un certain nombre de villes le champ libre pour organiser la sédition ; beaucoup mirent à profit cette lutte contre une puissance étrangère pour édifier des églises protestantes dans leur localité.


Napoléon Bonaparte l’a très bien exprimé : « Toute guerre en Europe est vraiment une guerre civile. » Rien n'est plus vrai : l’Europe chrétienne est une par nature, et elle devrait le rester ; son drame est d’avoir perdu de vue son essence et sa destinée en tournant le dos à sa propre religion.


Tant que Constantinople restait une ville chrétienne, et qu’on concélébrait la messe dans la basilique Sainte-Sophie, l’Islam était contenu aux portes de l’Europe.


La chute de Constantinople à la fin du Moyen Âge (en mai 1453) fut le prélude à de nouvelles avancées mahométanes. L’Islam se propagea dans les Balkans ; il conquit les îles de Méditerranée orientale, Crête, Rhodes et les autres ; il occupa intégralement la Grèce (…), il écrasa l’ancien royaume de Hongrie (…) pour finalement se présenter, lors du premier tiers du XVIè siècle - au moment où l’agitation de la Réforme battait son plein - à quelques pas seulement de Vienne (…) On tend à oublier combien le succès de la révolution religieuse de Luther eut partie liée avec cette menace mahométane, qui vint paralyser l’autorité centrale des empereurs germaniques : ces derniers furent en effet contraints d’accepter des compromis avec les chefs protestants, qui n’hésitèrent pas à conditionner leur appui militaire alors même que l’ennemi (…) se trouvait à leur portes.


(…) au matin du 7 octobre 1571, une immense armada de vaisseaux et guerriers mahométans défia la flotte chrétienne sur l’embouchure du golfe de Corinthe, à Lépante. Avec l’appui du Saint-Siège, les forces vénitiennes et espagnole remportèrent la bataille navale, confirmant leur prééminence en Méditerranée occidentale. Mais il s'en était fallu de peu ; c'est pourquoi le nom de Lépante devrait rester gravé dans la mémoire de tous ceux qui conservent encore quelque culture historique, comme l'une des cinq ou six plus grandes victoires de la chrétienté.


(…) il y a tout juste un peu plus de 200 ans (…) Vienne (…) fit à deux doigts d’être prise ; elle ne dut son salut qu’à l’intervention de l’armée catholique du roi de Pologne, en cette date qui devrait compter parmi les plus importantes de l’histoire : le 11 septembre 1683.


Les mamométans perdirent leur aptitude à concurrencer les Occidentaux dans la maîtrise de ces instruments nécessaires à la domination politique ; l’armement, les techniques de communication, et tout ce qui concourt à la supériorité stratégique.


Pour ma part, je crois fermement qu’une de ces grandes choses inattendues sera le retour de l’Islam ; la religion étant au fondement de tout élan et de tout changement politique substantiel…


(…) la force vitale qui sous-tend toute culture est sa philosophie, c’est-à-dire son attitude face au mystère de l’univers (…) Le travail de sape initié à l’époque de la Réforme porte ses derniers fruits ; et à travers la dissolution de nos doctrines traditionnelles, c’est toute la structure de notre société qui se liquéfie.


L’Islam n’a pas connu pareille subversion de sa doctrine originelle ; en tout cas, rien de semblable à la grande désintégration religieuse qui frappe l’Europe (…) l’horizon politique du monde mahométan fourmille de signes avant-coureurs d’une révolte prochaine.


La question de savoir dans quelle proportion l’Islam influença notre science et notre philosophie est souvent discutée. Naturellement, son apport a été très largement exagéré afin de rabaisser le catholicisme. La majeure partie de ce que les savants musulmans ont rédigé en arabe sur les mathématiques, la science physique et la géographie (…) trouve sa source dans la civilisation gréco-romaine que l’Islam a envahie. Il est néanmoins exact que ses lettrés ont assuré la transmission d’une grande partie des savoirs antiques.


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(…) trois grandes vagues au cours de l’ère chrétienne ; l’épisode albigeois n’en constituant que le phénomène central. La première vague correspond à la tendance manichéenne des premiers siècles chrétiens. La troisième lame s’apparente au mouvement puritain, qui naît dans le sillage de la Réforme et qui se prolonge à travers les séquelles de cette maladie : le jansénisme. 

Le jansénisme est un courant théologique issu de la Contre-Réforme qui maintiendra une certaine influence, en particulier en France, jusqu’au début du XXè siècle. D’abord basé sur un retour à la conception augustinienne de la grâce, ici et là teinté de gallicanisme, il n’a cessé d’évoluer au gré des circonstances. S’il est donc difficile de le situer sur le plan doctrinal, son unité procéderait davantage d’un état d’esprit, d’une rigueur parfois excessive qui a contribué à répandre un sentiment de crainte voire de tristesse parmi certains catholiques.


L’Église catholique se fonde sur la reconnaissance de la douleur et de la mort (…) et dans sa conviction d’apporter une solution au problème qu’elles posent. Ce problème est universellement reconnu comme « le problème du Mal. »


(…) il est un point sur lequel les manichéens de tous bords se sont toujours accordés : pour chacun d’eux, la matière est intrinsèquement mauvaise. Dans leur perspective, le bien doit être entièrement spirituel - et ce malgré l’existence de nombreux maux de nature spirituelle. Ce point, on le retrouve toujours autant chez les premiers manichéens que chez les Albigeois du Moyen Âge et les puritains qui subsistent encore dans le monde moderne.


(…) au XIè siècle (…) ces communautés acquirent une certaine importance dans les Balkans avant d’atteindre l’Italie. Elles semblent avoir renforcé leurs positions en Italie du Nord avant de se propager en France, où devait se produite l’affrontement décisif (…) cette autre appellation qui évoquait leur origine bulgare, les bogomiles. On les appelait communément « les purs ». Ils aimaient qu’on les désigne ainsi, et ils avaient coutume d’employer entre eux ce vocable, qui donnait en grec le mot « cathare ».


(…) le XIIIè siècle, cet âge d’or au cours duquel la civilisation chrétienne atteignit son apogée.


En 1194 (…) Cette fois, c’était un grand seigneur - le comte de Toulouse Raymond VI, monarque local - qui apportait son soutien aux hérétiques. Alors et alors seulement, le grand pape Innocent III décida de passer à l’action. Il était temps ; presque trop tard. La papauté avait temporisé jusque-là dans l’espoir que la prêtrise et l’exemple installerait la paix.


Un bref examen des préceptes prêchés et observés par les Albigeois donne à voir combien leur doctrine menaçait cette culture dans ses fondements. Elle répudiait tous les sacrements : à leur place, les hérétiques instauraient un rituel étrange, rituel dit du « consolament » (…) Compte tenu de leur attitude devant la chair et l’univers matériel, la procréation - et donc la propagation de l’espèce humaine - se trouvait formellement condamnée, de même que le mariage (…) Tout comme le vin, la viande était mauvaise et défendue ; la guerre était toujours absolument infondée, ainsi que la peine capitale. Seule la réconciliation pleine et entière avec l'Église catholique faisait figure de péché impardonnable.


(…) la partie sud-est de la France, entre le Rhône et les Pyrénées, avec Toulouse pour capitale.


Par la force de son caractère, par son énergie et sa volonté sans faille, saint Dominique, venu d'Espagne, devint l'âme d'une réaction dont la mise en œuvre était désormais imminente. En 1207, le pape demanda au roi de France Philippe Auguste, en tant que suzerain des féodaux compromis, d’employer la force (…)

Le 29 août 1214, contre toute attente, Philippe Auguste remporta la bataille de Bouvines, près de Lille. L’année précédente, une autre victoire décisive des signeurs croisés contre les Albigeois avait montré la voie (…)

Les nouveaux alliés du compte de Toulouse venaient de l’autre côté des Pyrénées. Ils affluèrent en masse sous le commandement de leur roi : le jeune Pierre d’Aragon, beau-frère de Raymond VI (…) il mena directement à travers monts ses quelques 10 000 hommes (…) Face à lui, la seule force active et mobilisable était constituée par les 1000 hommes aux ordres de Simon de Montfort. A dix contre un, leurs chances de succès paraissaient infimes (…)

C’était le matin du 13 septembre 1213. Juchés sur leurs montures, avec Simon à leur tête, les hommes qui formaient les rangs prirent part à une messe, que célébra saint Dominique en personne. Seuls les plus hauts gradés, ainsi que quelques rangées à leur suite, pouvaient être présents dans l’enceinte de l’église ; ils y demeuraient en selle (…)

Telles sont les raisons pour lesquelles la bataille de Muret devrait compter, avec celle de Bouvines, comme un évènement fondateur, aussi bien pour la couronne de France que pour tout le Moyen Âge tardif. Muret ouvre et scelle le sort du XIIIè siècle - le sicle de saint Lois, le siècle d’Edouard d’Angleterre et du formidable épanouissement de la culture occidentale.


Le premier tribunal de l’Inquisition naquit de la nécessité d’extirper les derniers symptômes de la maladie : à titre indicatif, rappelons qu’un homme n’avait qu’à prouver qu’il était marié pour faire valoir son innocence…


Longtemps tapie à l’ombre des montagnes du centre de la France, ou terrée dans les vallées alpines sous des formes dérivées, l’hérésie devait reprendre une certaine vigueur, notamment avec les vaudois.


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Son principe directeur - qui n’est rien d’autre que la réaction contre une autorité spirituelle unifiée - bénéficia de tant de soutiens qu’il brisa littéralement l’unité de notre civilisation européenne (…) la Réforme s’activa à dissoudre l’Eglise catholique de l’intérieur…


Une fois la rupture consommée, au tournant des années 1700, de nouveaux éléments vinrent se faire jour : la propagation du doute et d'un esprit anticatholique au sein même de la culture catholique plus le plus remarquable. Dans les pays de culture protestante, les dissensions internes restaient limitées, du simple fait qu'il n'y existait plus aucune doctrine précise à contester. En revanche, on y voyait croître un sentiment diffus de « tolérance » et d’acceptation des différences religieuses ; sentiments qui émergea tout d'abord dans l'intimité des consciences individuelles, puis qui s'exprima de plus en plus ouvertement de la manière suivante : « Puisque rien ne peut être certain en matière religieuse, toute opinion à ce sujet devrait être également respectée et tolérée. »

Cependant, la lutte politique se poursuivait entre les nations de culture catholique et les régions acquises à la nouvelle culture protestante (…) c'est ainsi qu'on a pu dire, non sans vérité, que « Londres et Berlin était les deux piliers de la domination protestante au cours du XIXe siècle. »


(…) les effets combinés de la défaite militaire et de l'immense fatigue des populations civiles, après des années de privations, ont rendu possible le soudain avènement du bolchevisme dans la Russie contemporaine


La première phase, j'insiste, n'était pas une erreur de confrontation entre « catholiques » et « protestants » tels que nous pouvons les qualifier de nos jours : la lutte avait lieu à l'intérieur des limites d'un seul et même ensemble (…) Même Jacques 1er – qui, au moment de son accession au trône, parlait du pape comme d'un monstre à trois têtes - revendiquait toujours avec virulence son droit d'appartenir à l'Église catholique.


Ulrich Zwingli, artisan majeur de la Réforme à Zürich et en Suisse alémanique. Remettant en cause les sacrements catholiques, il niait la présence réelle dans l’Eucharistie et ne lui concédait qu’un valeur figurative, ce qui lui attira les foudres de Luther.


Aucun ensemble doctrinal n’avait été formulé en opposition à l’ancien corps de doctrines (…) jusqu’à ce qu’émerge un homme de génie, un lettré armé d’un seul livre et de son redoutable pouvoir de persuasion. Fils d’un notaire en charge du  tribunal ecclésiastique de la cathédrale de Noyon, Jean Cauvin (ou Calvin) était français. Alors que son père venait d’être excommunié pour malversation et qu’un grande part de son propre revenu avait été confisqué par l’évêque local, Calvin se mit à pied d’œuvre : il allait réaliser un travail considérable (…) il érigea une contre-Église (…) il formula une théologie complètement nouvelle, stricte et consistante, qui ne laissait plus aucune place à la prêtrise ou aux sacrements (…) Il s'agissait donc d'un authentique hérésiarque (…) Tout ce qui demeure concret et vivant dans le tempérament protestant procède de Jean Calvin.


(…) les affirmations calvinistes (dont le noyau n'était rien d'autre que l'intégration du mal dans la nature divine, à la suite de cette idée selon laquelle il n’existerait qu'une seule et unique volonté agissante dans tout l'univers), on ne put empêcher de répandre sa conception d'un Dieu-Moloch - conception à laquelle s’agrégèrent fatalement le culte de la richesse matérielle, ainsi que son allergie à la pauvreté et à l’humilité, qui persistent avec une vigueur intacte de nos jours (…) c'est puissant esprit français délivra son message quelques vingt années après le déclenchement de la révolution religieuse…


[Le protestantisme] sera en effet parvenu à diviser la civilisation occidentale en deux cultures opposées : catholique pour l’une, anti-catholique pour l’autre.


Près d'un siècle après la rébellion de Luther, et huit décennies après le déclenchement de la guerre civile en France, les Allemands parvenaient à contenir l'escalade, échappant ainsi au conflit religieux armé. La cause principale d'une telle situation se trouvait dans leur éparpillement politique : ils étaient en effet dispersés parmi toute une mosaïque de cités indépendantes, de grandes et petites principautés, de grands et de petits États.


Car un autre élément sous-tend cette grande affaire : (…) il s'agit de la cupidité (…) Ce qu'il faut absolument savoir, c'est que, chaque fois qu'ils connurent quelque succès, le premier acte des réformateurs fut de permettre aux riches de s'accaparer ces ressources (…)

On peut se féliciter de l'absence de guerres civile anglaises, mais si l'Angleterre fut épargnée, c'est pour la bonne et simple raison que les occupants du trône - en l'occurrence un enfant-roi, suivi par deux femmes - ne virent aucun inconvénient à ce que les plus fortunés s’emparent des trésors de l’Église (…)

Lorsque le processus prit fin, le corps de l'Église désormais limité à ce qu'il restait de l'Europe catholique avait perdu la moitié de ses anciens moyens de subsistance (…) Quant à cette partie de la Chrétienté qui fit sécession, les nouveaux ministres du culte protestant ainsi que les nouvelles écoles, collèges et hôpitaux ne jouissaient pas du dixième de ce que les anciennes dotations leur rapportaient avant la rupture.


Dans la seconde partie du XVIIe siècle, cette Europe désunie vit le triomphe d'une armée dirigée par des officiers puritains en Angleterre, le succès des protestants allemands qui voulait se libérer de l'emprise de l'empereur catholique (avec le soutien de la France du cardinal de Richelieu), sans oublier la victoire des rebelles néerlandais contre l'Espagne. Tous ces affrontements l'avaient conduite au bord de l'épuisement. Les guerres de Religion s'achevant, le résultat était sans appel : match nul. Aucun camp ne l’avait emporté.


(…) bien que les provinces du sud eussent prit part à la révolte contre l'Espagne, lorsque les négociants et riches propriétaires du nord se firent calvinistes pour rompre avec les anciens maîtres, leurs homologues du sud s’opposèrent vigoureusement à cette rupture. « Belgique » est le nom que nous donnons aujourd'hui à la partie catholique des anciennes Provinces-Unies néerlandaises…


[En France], une minorité de protestants survivait encore - minorité importante en nombre (personne ne sait exactement combien : moins d’1/7è, sans doute plus d’1/10e de la population) mais surtout remarquable en termes de richesse et de position sociale. Leur poids dans la société était renforcé par le fait qu’ils n’étaient pas concentrés en un seule région, mais dispersés un peu partout : au nord du pays, la ville portuaire de Dieppe gardait une majorité protestante ; il en allait de même pour La Rochelle, le port sur l’Atlantique, et pour beaucoup de villes prospères du sud telles Montpellier et Nîmes. De fait, les protestants concentraient entre leurs mains une grande partie des activité bancaires et commerciales de France.


[En Angleterre et en Écosse], une majorité de leur population en était venue à considérer le catholicisme comme une chose étrangère, contraire aux intérêts du pays ; et une minorité particulièrement active vouait à cette chose une haine d'une intensité sans pareille en Europe.

Bien sûr, on sait que l'Irlande resta catholique ; même après la conquête de Cromwell et l'implantation des colons, les protestants ne représentaient qu'une infime minorité de la population (…) la totalité du pouvoir, quasiment toute la terre et toute la richesse monétaire du pays avaient été confisquées par des protestants et par des individus déterminés à anéantir pour de bon le catholicisme.


Dans les profondeurs de l'esprit humain - l'épicentre de tout changement substantiel -, l'issue équivoque des guerres de religion aboutit à un affaiblissement du sens religieux.


(…) La culture protestante était dotée d'une vitalité supérieure (…) à son contact, la structure sociale se fluidifiait toujours davantage, libérant des énergies que le catholicisme avait maintenues dans d’étroites limites - notamment l'esprit de compétition (…)  au sein de la sphère protestante (…) le paysan libre était en voie d'extinction ; il se mourait parce que les anciennes normes et structures qui le soutenaient avait été démantelées. Tandis que les plus riches agrandissaient leurs domaines et multipliaient leurs possessions, de grandes masses de fermiers se trouvèrent déchus de leur propriété. C'est ainsi que commença à se former le prolétariat moderne, et avec lui ce que nous appelons le capitalisme (…)

Si on pratiquait l'usure au sein de la culture catholique, des règles strictes en limitaient le recours (…) des nations protestantes relativement petites se mirent à acquérir une formidable puissance économique. Les négociants de Hollande furent les précurseurs de la banque moderne ; et l'Angleterre allait bientôt leur emboîter le pas.


C'est qu'un dernier facteur pesait lourd en faveur de la culture protestante : le déclin du sentiment religieux (…) [Les protestants] s'en accommodaient peu à peu ; comme ils pensaient que la disparité des points de vue et des façons de penser était inévitable, ils ne les laissaient pas dégénérer en rancœur personnelle et en division civile (…) la montée du scepticisme ne dérangeait pas la culture protestante (…) Et pour cause : le trait le plus saillant de son esprit consistait à poser comme absolu le principe de libre examen, c'est-à-dire la liberté pour chacun de juger par lui-même ; la seule chose que cette culture récusait de toutes ses forces était l'autorité d'une religion commune. La situation était en tout point différente au sein de la culture catholique, naturellement structurée autour d'une communauté de religion ; c'est pourquoi le rapide affaissement de la croyance y causa de tels ravages. L’autorité morale des gouvernements - étroitement liée à la religion- en sortit ruinée.


Malgré son incontestable génie, Napoléon n'avait pas clairement perçu que les différences culturelles procèdent toutes du fait religieux ; la génération à laquelle il appartenait avait perdu de vue cette loi aussi profonde qu’universellement observable.


(…) la disparition de l'exigence religieuse s'accompagnait d'un dépérissement du goût en architecture et dans tous les arts - spécialement en littérature. La proverbiale clarté d'esprit française se brouilla, devint trouble et confuse.


Le protestantisme se mit alors à basculer dans l'extrême opposé : après avoir vénéré le texte biblique comme la Parole immuable de Dieu, il en vint à questionner presque tout ce qui s'y trouvait.

Il remit en cause l'authenticité des quatre Évangiles, et tout particulièrement les deux qu’avaient rédigé les témoins oculaires de la vie de Jésus-Christ, à commencer par l'Évangile selon saint Jean -  le témoin crucial de l'Incarnation. Il finit par nier la valeur historique de la quasi-totalité des textes de l'Ancien Testament antérieurs à l'exil babylonien ; dans son élan rationaliste, il récusa tout passage évoquant un miracle ou une prophétie.


Dans un autre registre, l'économie sociale nous offre une nouvelle illustration de cette disposition singulière de la culture protestante à saper ses propres bases. Celle-ci avait institué une compétition de tous les instants, en donnant libre cours à l'usure et en abolissant tous les garde-fous qui protégeaient autrefois le petit propriétaire (…) Parmi les nombreux facteurs de ce déclin protestant, relevons aussi la concurrence entre ses propres acteurs (…) une telle évolution était somme toute prévisible de la part d'un système fondé dès l’origine sur l'esprit de compétition et la force d'entraînement de l'orgueil humain.


L'Angleterre et la Prusse pouvaient faire bloc dans leur mépris commun de la culture catholique, mais c'était en fin de compte la seule chose susceptible de les réunir.

Une aberration notable allait encore aggraver le problème : après s’être affirmée en exagérant le pouvoir de la raison, la culture protestante finit par perdre la sienne. Elle attribuait volontiers ses succès à son instinct, voire à sa bonne étoile (…) chaque société protestante se considérait peu ou prou comme « élue de Dieu », prédestinée à réussir d'une manière ou d'une autre (…) C’est cette vaniteuse cécité qui a ouvert la porte à toutes sortes d'extravagances, aussi bien matérielles que spirituelles, comme ces idées de domination universelle, de gouvernement mondial et autres ambitions du même ordre, dont les conséquences sont autant de poisons mortels pour le monde entier (…) Le modèle du parlement - institution constitutive de cette hégémonie, essentiellement composée de professionnels de la politique autoproclamés « représentatifs »- connut le même sort.


L'existence même de l'Église éternelle étant menacée, c'est le salut du monde qui est en jeu.


Il n'existe pas de religion générale appelée « christianisme ». Il y a et il y a toujours eu d'un côté l'Église, et de l'autre un certain nombre d'hérésies émanant d'hommes qui refusent une partie de ses doctrines, tout en se réservant le droit de conserver le reste de son enseignement et de sa morale.


Qu’on l'appelle « l'attaque moderne » ou « l'œuvre de l'Antéchrist », il s'agit au fond de la même chose ; de cette opposition désormais frontale entre le maintien de la morale, de l'autorité et de la tradition catholiques et l'entreprise de démolition dont elles font l'objet (…) Il s'agit d'un duel, et d'un duel à mort.


(…) cette attaque moderne (…) est à la fois matérialiste et superstitieuse (…) Il s'agit d'un assaut matérialiste dans la mesure où toute sa philosophie se cantonne aux seules causes matérielles. Son caractère superstitieux n'est que le corollaire de cet état d'esprit qui génère et favorise l'expression des stupides manies du spiritualisme (…) En définitive, les uns et les autres ne s’accordent que pour récuser une chose est une seule : la Révélation chrétienne.


Il existe néanmoins une indissoluble trinité de la Vérité, de la Beauté et de la Bonté (comme les plus anciens des anciens Grecs le découvrirent). Si bien qu'on ne peut s'en prendre à l'un des pôles sans attenter simultanément à tous les autres.


Fondamentalement, il s'agit bien sûr du fruit ultime de la dissolution de la Chrétienté entamée lors de la Réforme ; ce même mouvement qui commença en s'opposant à tout principe d'autorité centrale, pour finir par convaincre l'homme qu'il se suffisait à lui-même, lui enjoignant d’élever partout de grandes idoles auxquelles vouer des cultes divers et variés.


Elle conçoit l'homme comme autosuffisant, la prière comme pure autosuggestion et Dieu comme un simple produit de l'imagination, une sorte d'image de l'homme projetée sur l'univers ; un fantasme déconnecté de toute réalité.


En premier lieu, nommons la résurgence de l'esclavage : il s'agit d'une conséquence logique de la négation du libre arbitre, négation d’essence calviniste qui, poussée à ses extrémités, conduit au refus de toute responsabilité vis-à-vis de Dieu, ainsi qu'au refus de toutes les limites à la puissance de l'homme. Ainsi voit-on peut un peu émerger deux formes de servilité, qui atteindront leur plénitude à mesure que progressera l'attaque moderne contre la foi : l'esclavage organisé par l'État et l'esclavage instauré par les corporations et les individus privés (…) Quand la plupart des familles au sein d'un État ne possèdent rien en propre, alors ceux qui étaient des citoyens deviennent des esclaves en puissance.


Jusque-là, son action a consisté à saper toute forme de contraintes résultant de l'expérience et fondée en tradition.


La cruauté sera donc la conséquence principale de l'attaque moderne dans le domaine moral (…) loin d'être de plus en plus choquée par le spectacle de la cruauté, la multitude s'en accommode.


Partout, tout le temps, on dénigre la raison. L'ancien procédé de démonstration par la preuve et par l’argument est remplacé par l'affirmation réitérée…


(…) c'est le principe même de humanité que l'attaque moderne entend abolir - cela, bien sûr, au nom de sa fausse religion de l'humanité.


En bref, soit nous autres catholiques finiront par former un archipel marginal et persécuté, soit nous serrons les rangs pour faire raisonner au terme du combat notre vieux cri de ralliement : « Christus imperat » (…) L’Eglise ne saurait disparaître, car elle n'est pas une chose mortelle (…) mais qu'elle soit réduite aux dimensions d'un tout petit cénacle, méprisé et ostracisé par la foule de ses adversaires.


(…) l’ignorance accrue du monde à notre égard, couplée au naufrage de ces facultés grâce auxquelles les hommes pouvaient apprécier l’apport du catholicisme et œuvrer au salut de leur âme. Le degré de culture, et dans son sillage le sens du passé, sombre à vue d'œil ; chaque décennie qui passe voit le niveau baisser encore davantage. Dans ce contexte, la tradition se désagrège, fondant comme neige au soleil. Des pans entiers de la structure se détachent et disparaissent.


Nous sommes déjà parvenus à cette situation étrange : alors que la masse des catholiques (de nos jours concrètement minoritaire) comprends ses adversaires, ces derniers ne comprennent plus rien au rôle et à la nature de l'Église.


On doit se résoudre à envisager un futur païen, un avenir sous-tendu par une forme inédite de paganisme, une sorte de nouvel ordre païen à la fois surpuissant, omniprésent et foncièrement abject.


(…) mais l'observation appliquée au cas particulier de l'église ne suggère rien de tel. Cette dernière paraît douée d'une vie organique plutôt inhabituelle : elle a un mode d'être unique, des capacités de rebond insoupçonnées, et une affinité certaine avec la résurrection.

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