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jeudi 10 décembre 2020

« Sainte Geneviève, premier maire de Paris » de Geneviève Chauvel (2017)

(…) notre future sainte est née entre 420 et 422.

Ses parents (…) Severus et Gerontia (…) Les biographies ou hagiographies publiées dès la fin du Moyen Age mentionnent un couple de bourgeois aisés. Au XVIème siècle s’implante la version d'un couple de paysans modestes dont la fille aurait gardé les moutons. Cette légende bucolique est née sous l'influence de la Réforme qui rejetait le culte des saints. Pour éviter les sarcasmes des Réformés, l’Eglise met fin aux traditions médiévales et impose une version pacifique qui ne puisse froisser personne : Geneviève devient alors une bergère. 


Cette famille (…) appartenait à l’aristocratie gallo-romaine. Elle était puissante et riche. On verra que toute sa vie Geneviève disposa de revenus abondants et s’occupa de la gestion de ses vastes domaines situés dans la région de Paris et de Meaux.


Ainsi, le vétéran Severus, officier de souche barbare, a non seulement reçu, en guise de solde pour ses années de loyaux services rendus à l’Empire romain, des terres qui lui appartiennent en propre autour de Melun et Meaux, mais, en marge de la fonction de régisseur des « terres du fisc », il devient en outre principalis, l’un des dix premiers de la curie de Lutèce avec rang de clarissime, charge héréditaire qui reviendra à sa fille, son unique héritière.


Ainsi, plus de doute. Geneviève est franque, d’ascendance germanique.


(…) une éducation soignée (…) dans une atmosphère de discipline et d'autorité. L’ancien officier, devenu administrateur des terres d'Empire, tient son domaine et sa maison d'une main ferme, imposant un ordre et une rigueur quasi militaires…


Germain d’Auxerre et Loup de Troyes, tous deux spécialistes en théologie, tous deux maniant habilement le glaive ou la hache (…) Le pape Célestin Ier les a chargés d’une mission (…) Ils doivent se rendre en Bretagne pour combattre une hérésie qui s’attaque à la doctrine de la grâce, affirmant que chacun doit son salut à ses œuvres et qu’il n’y a pas de péché originel (…) L’auteur de ces contrevérités sacrilèges était le moine Pelage, d’origine bretonne (…)


Gerontia, apprêtée pour se rendre à l’église à l’occasion d’une fête religieuse, ordonne à sa fille de rester à la maison (…) Furieuse d'être contredite, Gerontia lève la main et administre une gifle à sa fille (…) Au même instant, ce geste accompli, elle se trouva plongée  dans une nuit obscure, frappée de cécité (…)

Vingt et un mois vont s'écouler tristement. Vingt et un mois, précise la Vita, pour qu’enfin, au plus profond d'elle-même, Gerontia accepte le choix de Dieu et s’incline devant Sa volonté (…) Gerontia mouille ses yeux avec confiance (…) Et voilà que l'obscurité se déchire (…) A-t-elle entendu ce que raconte les anciens de Nanterre ? Naguère, les païens prenaient l'eau de ce puits pour guérir les maladies incurables, affirmant qu'elle venait d'une source appartenant aux dieux celtes. Aujourd'hui encore, on peut voir dans la crypte de l'église le puits d'où fut tirée l'eau miraculeuse.


La fortune de son père n'est pas le seul héritage. Il lui lègue aussi sa charge de magistrat municipal à la curie de Lutèce.


(…) Le mont Leucotitius (l’actuelle montagne Sainte-Geneviève), qui aurait donné son nom à la Lutèce primitive (…) Le sommet du mont Leucotitius est depuis longtemps un champ de sépultures.


(…) l’endroit où (…) le premier évêque de Paris, Saint-Denis, aurait célébré les mystères de la messe. Pour commémorer le supplice du prélat martyr et de ses compagnons, les chrétiens ont renommé le mont Mercure : mons Martyrum (Mont des Martyrs, d’où Montmartre).


Une femme chez les curiales, en outre une vierge consacrée, tout juste âgée de vingt ans : le cas est inhabituel. Geneviève est la plus jeune dans le groupe des honorable principales (…) Elle appartient au cercle des « décideurs » et fera entendre sa voix pour défendre les humbles et les oubliés.


Prières, jeûnes et abstinence charpentent à nouveau sa vie (…) toute son attention est tournée vers ceux qui souffrent et qui ont faim, surtout ceux qui ignorent l’immense bonté de Dieu.


La vision du repos des justes et des châtiments réservés aux damnés n'est pas le seul bienfait accordé par le Seigneur. Au cours de son voyage céleste, Geneviève a reçu le don de lire dans les consciences.


On parle, on parle, et la machine à détruire la réputation s’emballe (…) Geneviève n'est pas de ce pays. Elle est d'origine franque, une barbare qui pourrait bien préparer une intrusion de ses alliés dans la cité (…) On va jusqu'à mettre en doute sa virginité en donnant des détails obscènes sur ses relations avec les bergers de Nanterre.


Germain, l’évêque d’Auxerre (…) se tourne vers les Parisiens, leur montre la flaque boueuse et leur recommande de ne plus mépriser celle qui prie le Seigneur avec ce « don des larmes » qui est le signe des grands mystiques. « Chaque fois qu'elle contemplait le Ciel, dit le moine biographe, elle ne pouvait s'empêcher de pleurer. » « Ses larmes de dévotion étaient des preuves d'amour de Dieu, tellement désirées qu'on récitait des oraisons pour demander le don de larmes » (…) Saint-Louis ce serait écrié : « Ah ! sire Dieu, je n'ose demander une fontaine de larmes, mais quelques petites gouttes me suffiraient pour arroser la sécheresse de mon cœur ! »


Après avoir été chassé de l'Asie centrale à la fin du Ier siècle, une partie de ces Huns s'étaient fixés dans le Turkestan, près de la mère d'Aral, tandis que tous les autres s'étaient avancés jusqu'à la Volga, d’où, à la fin du IIIè siècle, il s'ébranlèrent en poussant devant eux les Wisigoths, les Alains et tout un flot de barbares qui se répandirent sur la Gaule en 406.


Des querelles sans fin opposent les Romains aux peuples barbares de toutes races auxquels ils accordent des territoires conquis en échange d'un foedus, lequel en fait des alliés dont la loyauté laisse à désirer. En Gaule, comme en Italie, la division règne.


Continuant sur sa lancée, Attila jette ses hommes sur Strasbourg, Laon, Tongres. Partout il brûle, saccage, pille, viole, extermine. Partout il répand le carnage, l'horreur et la désolation. Partout le Fléau de Dieu prend un malin plaisir à semer la terreur, car elle fait partie de son système. Prendre une ville importante, la détruire par le pillage, le massacre et la déportation des habitants, puis l'incendie de tout ce qui reste, telle est bien la méthode décrite par Michel Rouche : « Le choc psychologique était tel que l'onde de panique se répercutait au loin, provoquant l'exode des populations et l'abandon de leur cité. » (…)

Au bruit des galops meurtriers, Verdun et Troyes se sont vidés de leurs habitants (…) Les colonnes de réfugiés atteignent Lutèce, terrifiés, affamés, en haillons, tirant sur les chariots de misère et quelques biens qu'ils ont pu sauver.


À la curie, les clarissimi n’ont aucune solution. Eux aussi sont saisis d'effroi et ne pensent qu'à s'en aller, rejoindre d'autres villes plus à l'ouest, tandis que Geneviève leur propose la seule attitude logique selon elle :

– Ayez confiance, leur dit-elle. Priez et Dieu vous aidera !

Mais ils ne l'écoutent pas. Ils hésitent pourtant a décréter l'évacuation générale de la ville, car la clarissima, tout juste âgée de trente ans, s’y oppose. Devant leur absence de sang-froid et leur incapacité à arrêter une décision, c'est elle qui prend la barre.


Elle comprend très vite que la route d'Attila ne passera pas par Paris. Ce n'est pas cette ville qui l’intéresse. Son but est Toulouse. Il s'agit de vaincre le Wisigoth, de s'emparer d’Honoria, sa promise, et de s'approprier la dot qui représente la moitié de l'empire, donc la moitié de la Gaule.


Alors elle décide d’agir par les femmes (…) Tandis qu'ils se hâtent d'entasser leurs meubles et leurs effets dans des charrettes ou des barques, elle s'interpose en leur demandant de ne pas vider leur maison. Pour s’en aller où ? Il ferait mieux de prier avec confiance, leur dit-elle, et Dieu protégera Lutèce. Attila ne viendra pas, elle le répète, elle en est convaincue (…) Mais ces hommes refusent de l’entendre (…) De quel droit cette « pseudo–prophétesse » retient-t-elle leurs femmes dans le baptistère ? De quel droit leur donne-t-elle des ordres ? Les calomnies d'autrefois se réveillent (…) Lapidée ou jetée au fond d'un gouffre, une pierre au cou ? Ces messieurs délibèrent longuement.


Le discours de Germain est si convaincant que « les citoyens s'aperçoivent alors, au vu de toutes ces preuves, qu'elle est une servante très fidèle de Dieu ». Craignant pour eux-mêmes le courroux céleste, « Ils abandonnent leurs mauvaises décisions et mette fin aux embûches qu’ils lui tendaient ». (…) Le souvenir du saint évêque des Gaules exerce une sorte de magie sur les Parisiens, qui reviennent à la raison. Ils se souviennent de ses derniers mots, trois ans plus tôt, avant de rejoindre son diocèse. Ne leur avait-il pas confié Geneviève, leur rappelant qu'elle était bénie de Dieu ? Le remords les envahit.


Attila se rue sur Orléans (…) Or, contrairement à ses prévisions, loin de s'enfuir à son approche, les habitants se sont armés et résistent à ses attaques. De même que Geneviève à Lutèce, l’évêque Aignan a exhorté la population à défendre la ville et à prier, jeûner, veiller afin d'implorer la clémence de Dieu (…) L'attente dure quinze jours. Du haut des murs, tous scrutent la campagne. « Agne, mon frère Agne, ne vois-tu rien venir ? » [Agne, pour Aignan. Ces mots, passés dans la légende, se retrouveront dans le conte Barbe-Bleue : « Anne, ma sœur Anne »]. Sans jamais douter de leur foi, les habitants se battent contre les Huns qui, dès la fin mai 451, assiègent des remparts avec leurs machines de guerre (…) 

Le 14 juin, Aetius arrive enfin. Avec lui (…) les Wisigoths (…) les Alains (…) des Burgondes (…) des Sarmates, des Armoricains, des Bretons (…) au même moment, sur l'horizon nord, apparaissent les Francs (…) La rage au cœur, Attila abandonne Orléans (…) 

Aetius et sa grande armée de coalisés galopent derrière Attila et le rejoignent (…) L'Occident contre l’Orient ; l’empire de Rome, qui défend sa civilisation, contre la barbarie du conquérant mongol, venu des steppes d’Asie (…) les deux armées, ne comptant chacune qu'une minorité de Romains et de Huns, étaient en fait majoritairement germaniques : Wisigoths contre Ostrogoths, Francs contre Gépides, Alains et Sarmates contre Hérules et Suèves (…)

Aetius arrête la bataille. Il renvoie ses alliés qui rejoignent leurs différents fiefs : ils sont trop étrillés pour poursuivre les Huns lorsqu'ils se retireront. Les Burgondes ont été décimés, les Wisigoths ont perdu leur roi et des milliers de guerriers, les Francs ont beaucoup souffert. Une victoire chèrement payée par ces barbares dont Aetius a dû quémander le soutien et qui en réclameront bientôt le prix. Devant le champ de bataille vide et silencieux, Attila refuse encore son échec et laisse éclater une fausse joie en s’attribuant la victoire.


(…) une autre conséquence positive de cette victoire : le changement très important qu'elle apporte dans les relations entre les Francs saliens et le pouvoir impérial en cette Gaule septentrionale. Leur ralliement à la coalition les a rendus moins dangereux. On les regarde même comme des alliés potentiels, ce qui était loin d'être le cas jusqu'aux derniers mois précédant la bataille, où ils étaient encore considérés comme des barbares conquérants, donc des ennemis.


Lors des persécutions contre les chrétiens, en l'an 250, Denis avait subi le supplice du gril dans le prétoire de l’île de la Cité, puis tous trois avait été décapités sur le mont Mercure (qui deviendra mons Martyrum, l'actuel Montmartre). On raconte que Denis ramassa sa tête tranchée, alla la laver à une fontaine proche et, la tenant dans ses mains, marcha jusqu'aux abords de Catheuil, où il finit par s’écrouler dans un champ.


(…) elle eut la pieuse pensée de construire une église en l’honneur de saint Denis (…) La chaux manque. Le calcaire et le gypse abonde pourtant aux environs de Paris. Pourquoi ce triste constat des prélats désabusés ? (…) Geneviève réfléchit, puis sourit, comme saisie d'une inspiration, et rétorque par une révélation prophétique :

– Saints ministres de Dieu, sortez donc, je vous prie, et allez vous promener de l'autre côté du pont. Vous reviendrez me dire ce que vous avez entendu. (…) 

Non loin de là, deux porchers conversent entre eux.

– Comme je recherchais une de mes laies qui s'était échappée du troupeau, dit l’un, j'ai trouvé un four à chaux d'une prodigieuse grandeur.

– Et moi, réplique l'autre, j'ai trouvé dans la forêt un arbre déraciné par le vent, et sous les racines se trouvait un four à chaux dont rien, je crois, n'a été enlevé (…)

La clarissima engage une grosse partie de ses revenus, mais elle se tourne aussi vers les citoyens de Paris, les cives, qu'elle met à contribution par le paiement d'une conlationem que tous verseront sans discuter (…)

La Vita raconte qu'un jour la boisson vint à manquer aux charpentiers et aux maçons. Genesius en informe Geneviève et la prie de faire patienter tous ces ouvriers, le temps pour lui d'aller s’approvisionner à la ville (…) Elle s'agenouille et implore le ciel, par la prière et les larmes (…) fait un signe de croix au-dessus du vase qui se trouve aussitôt rempli jusqu'au bout (…)

De style paléochrétien, construit avec des pierres de réemploi, le bâtiment ne sera consacré qu'en 475. Long de vingt mètres, large de huit, il est de taille modeste et couvert d'une importante voûte solidement charpentée. C'est là que Geneviève accomplira son premier exorcisme (…) Douze personnes, hommes et femmes, gravement tourmentés par les démons…


Geneviève accomplira de nombreux miracles, mais ce cierge qui s'allume dès qu'elle le saisit restera à jamais dans les mémoires.


Si l'empire d'Occident s'écroule, qu’adviendra-t-il de la Gaule catholique romaine, entourée de royaumes barbares, ariens ou païens, qui ne songent qu'à s'en emparer ? Au sud de la Loire, les Wisigoths tiennent l'Aquitaine et l’Ibérie, les Burgondes occupent toute la vallée du Rhône et une partie de l'Helvétie. Quant aux Francs saliens, établis en Belgique seconde avec leur capitale à Tournai, ils semblent impatients de s’avancer jusqu'à la Seine.


(…) À Rome, les représentants de l'Empire se succèdent en cascade, au gré des volontés du nouvel homme fort de l'Italie, le Goth Ricimer, arien, qui sera le fossoyeur de l'empire d'Occident faisant et défaisant les empereurs à sa guise (…) chimères, qui tient désormais entre ses mains le pouvoir réel de l'empire décadent, dont dont il accélérera la chute en installant sur le trône impérial des potiches de plus en plus faibles (…) souverains sans envergure qui feront le jeu des puissances barbares en général et des Wisigoths en particulier.


Sous peu, la Gaule romaine va se trouver coupée du pouvoir romain d’Italie par deux royaumes indépendants, les Wisigoths de Toulouse et les Burgondes qui se sont empressés de reprendre Lyon, leur capitale perdue. Seuls les Francs saliens restent des alliés de Rome, fidèles au traité conclu avec Aetius avant le siège d'Orléans et la victoire sur Attila aux champs Catalauniques.


Face au parti romain pro-wisigoths que défendent Ricimer et ses affidés du sud de la Gaule, Aegidius sera désormais le représentant d'un parti romain légitimiste auquel se rallient la plupart des habitants du nord de la Gaule, surtout ceux de Paris sous l'influence de Geneviève. Installé à Soissons, il devient l'espoir et le défenseur de cette Gaule catholique et romaine qui refuse toute collaboration avec les puissants voisins ariens. Son armée sait se battre, il a surtout le soutien des farouches guerriers de son allié Childéric, le roi des Francs saliens (…) Geneviève laisse deviner sa préférence pour les Francs (…) leur paganisme sera plus aisément réformable que la redoutable hérésie arienne.


Aux milices d’Aegidius et aux troupes franques de Childéric se sont joints les Bretons d'Armorique, et cette formidable coalition repousse inexorablement les Wisigoths et leurs amis romains (…) La Gaule catholique romaine a vaincu l'hérésie arienne (…) Aegidius est-il mort dans un guet-apens ou empoisonné ? Un nom court sur toutes les lèvres : Ricimer (…) Un comte Paul prend la relève (…) En 470, lorsque les Saxons débarquent à Boulogne, foncent sur la Normandie, prennent Bayeux et s’emparent d’Angers, Childéric suivra le comte Paul pour les repousser.


Childéric (…) Son nom vient du vieux francique Hilde-Rik, qui signifie « puissant à la guerre » (…) de longs cheveux bouclés séparés par une raie. Chevelure léonine en signe de noblesse et symbole de la force du Soleil (…) Les Francs ont la taille haute, la peau fort blanche, les yeux d'un bleu pur au regard clair. Leur visage est entièrement rasé, à l'exception de la lèvre supérieure où ils laissent croître deux petites moustaches. Leurs cheveux (…) sont d'un blond admirable (…) une intrépidité si grande que rien ne les effraie. Ils sont soldats avant d'être hommes, avec un amour viril de la guerre…

Peu après, Basine, épouse de Bisin, roi de Thuringe, arrive de son lointain pays en expliquant qu'elle a quitté son mari pour lui (…) Basinene lui donnera, en 466, un fils appelé Lhod-Wig, « illustre au combat » en langue fancique. Latinisé, ce nom deviendra Lhodovicus, ou Chlodovicus (…) Clovis…

(…) Childéric est le seul chef valable pour assurer la défense du dernier bastion gallo-romain : une Gaule divisée, abandonnée par un empire d'Occident qui se délite un peu plus chaque année (…) Chaque ville s'administre comme elle peut. Chacun dans son fief, les évêques jouent le rôle de defensor civitatis (…) Dans les villes épiscopales, il se substitue à l'autorité défaillante des comtes au gouverneur…


C'est à Laon, en Belgique seconde, qu’aura lieu la rencontre entre Childeric et Geneviève, au cours d'un déplacement entouré des honneurs dus à un fonctionnaire officiel (…) Parmi eux, les parents d'une jeune fille paralysée depuis neuf ans, qui s'agenouillent devant elle en la suppliant de venir au chevet de la jeune handicapée (…) On l'entraîne vers la maison où, après une prière, elle touche les articulations de la malade, puis lui ordonne de se vêtir et de se chausser. Ce que fait l'adolescente, après s'être levée de son lit.


En obtenant la vie sauve pour ses victimes de la guerre civile, la « maîtresse de Paris » pose les bases d'une réconciliation solide entre Gallo-romains, autour d'une autorité franque fidèle à Rome, qui, contrairement aux Wisigoths, respecte leurs convictions politiques et religieuses (…) Childéric, quant à lui, n'est pas mécontent d'avoir cédé devant celle qu'il a surnommée la « mater patriae », la mère de la patrie.


Son pouvoir thaumaturgique se développe et semble sans limites, puisqu'on s’étonne à peine lorsqu'elle ressuscite des morts (…) Comme l’écrit Henri Lesêtre, « il fallait des miracles pour faire accepter la foi aux peuples païens et pour l'affermir dans l’âme des nouveaux convertis. Guidée par la volonté de Dieu, investie de Sa puissance, notre vierge consacrée ne cessera d’en faire pour enraciner la foi chrétienne et catholique au cœur d'un pays qui donnera naissance à la France, « fille aînée de l’église". »


Pendant ce temps, l'Empire d'Occident s'effondre inexorablement. L’an 476 sonne le glas de sa disparition. Le dernier empereur, Romulus Augustulus, est déposé dans son palais de Ravenne par Odoacre, qui vient d'envahir le pays à la tête de ses Hérules. Ce petit roi barbare, arien, ne veut pas régner sur l'Italie (…)

Entre les Wisigoths d’Euric, ariens fanatiques et prosélytes, massés au sud de la Loire jusqu'à Arles, les Burgondes, ariens plus tolérant qui tiennent le Rhône de Lyon à Genève, et les Francs saliens au nord de la Somme, des païens qui respectent la romanité et la religion catholique, vers qui se tourner ? (…) les Francs, qui ont toujours admiré la romanité et respecté la religion trinitaire sans imposer leur paganisme.


Childéric déploie ses troupes autour de Paris (…) Le blocus a dû commencer environ en 476–477, ayant pour conséquence l'interruption des chemins habituels de l'approvisionnement entraînant une famine parmi la population civile (…) dès l'hiver 479, après une mauvaise récolte, la famine s'installe. Les gens meurent et Geneviève décide d'agir (…) Elle partit pour acheter du blé vers l'oppidum d’Arcis, avec un titre de transport naval officiel (…) Dès le printemps, par une nuit sans lune, elle remonte le fleuve avec onze bateaux affrétés à ses propres frais.


Childéric mourut en 481(…) un grand roi qui fut aussi un officier supérieur romain et qui, selon la tradition franque, descendait des anciens dieux germaniques (…) Au roi païen défunt, succède son fils Clovis, tout juste âgé de quinze ans (…) Comme son père, il porte les cheveux longs, privilège des princes de ligne royale et signe évident de son droit à régner (…) Clovis revêtu du manteau pourpre brodé d'abeilles d’or (ces abeilles serviront de modèles pour le manteau du sacre de Napoléon)…


(…) les Francs rêvèrent Wotan, Dieu de la Guerre, et croient aux Walkyries qui accueillent les héros morts au champ d'honneur dans le Walhalla des félicités éternelles…


Et c'est tout naturellement que l'évêque de Reims, ville du territoire franc de Belgique seconde, s’empresse d’envoyer au jeune souverain une lettre de félicitations, accompagnée de recommandations surprenantes pour un destinataire païen : « (…) Il faut veiller tout d'abord à ce que le jugement du Seigneur ne vous abandonne pas, et à ce que votre mérite se maintienne au sommet où l’a porté votre humilité ».


Le prestige de la majesté romaine hanta toujours fortement l'esprit des rois barbares (…) une métisse germano–gallo–romaine ; placé à la tête d'un groupe de Francs en voie d’expansion, Childéric a dû apprécier à son juste prix l'interposition de la sainte comme intermédiaire respecté entre deux mondes (…)

Le « fils des dieux », qui tient son pouvoir de Wotan, acceptera-t-il d'oublier son culte germanique, au risque d'être rejeté par ses guerriers ? (…) en suivant son père sur différents théâtres d'opérations, Clovis a pu constater que la dégradation de l'Empire romain a projeté les autorités ecclésiastiques au premier rang des affaires municipales et même nationales. Elles sont désormais le seul élément stable, organisé et rigoureux (…) Et Rémi deviendra l'un de ses plus proche conseillers.


Geneviève tient la ville et la protège, après l'avoir sauvée. Son influence morale est incommensurable et d'autant moins discutée qu’elle a su, à maintes reprises, déjouer l'emprise du blocus et ravitailler Paris.


Désormais, la Gaule gallo-romaine n'existe plus. Ces territoires, entre Somme et Seine, appartiennent à un barbare, le roi des Francs saliens, tout juste âgé de vingt ans (…) Clovis s’installe à Soissons, capitale de son nouveau royaume (…) 

Après la bataille, tout le butin avait été réuni à Soissons pour être partagé, et c'est un messager de Rémi qui va demander à Clovis la restitution de l'objet volé : une grande coupe servant à recueillir les pains et les offrandes des fidèles. Elle était d'une dimension considérable et d'une valeur inestimable (…) On connaît l'histoire : le tirage au sort malheureux pour Clovis, qui réclame néanmoins le vase hors part ; le soldat, rebelle à tout privilège, qui lève sa hache et frappe la pièce d'orfèvrerie (…) Le vase de Soissons ne fut jamais cassé, tout au plus cabossé. Mais le soldat qui l’avait refusé à son roi eut bien la tête tranchée sur le champ de Mars, un an plus tard, au cours d'une inspection militaire. Tous les soldats alignés ont entendu la célèbre phrase ponctuée par le coup de hache du souverain qui, en sa qualité de chef de guerre, avait droit de vie et de mort sur chacun deux. Elle est rapportée par Grégoire de Tours : « C'est ainsi que tu fis à Soissons avec le vase. »


Ainsi Geneviève en a-t-elle décidé et elle laisse entendre : - Paris n'ouvrira ses portes qu'à un roi chrétien ! (…) Clovis ne tente pas de prendre Paris par la force. C'est le futur fleuron de son royaume et il ne veut ni le dévaster ni le piller.


Clotilde, la jeune princesse burgonde est chrétienne (…) et Clotilde, qui appréhende peut-être d'épouser un roi païen, rejoint le cortège de chariot qui l’emmène hors de Genève, avec sa suite, son trousseau et sa dot, vers son royal fiancé, en espérant échapper enfin au meurtrier de son père. Elle se méfie de l'oncle cruel et fanatique dont elle connaît l'humeur versatile et ne se sent pas encore délivrée de son emprise.


En abjurant les croyances germaniques, Clovis abjurait sa propre identité, anéantissait le prestige que ses origines réputées divines lui valaient. Il perdait le caractère sacré que lui reconnaissait les Francs. À Rémi, qui lui explique les mystères de la Trinité, il répondra : - Ce n'est pas moi qu'il faut persuader, ce sont les hommes de ma bande.


Théodoric le Grand demande alors à Clovis la main de sa sœur Aldoflède. Cette dernière doit se convertir à l'arianisme avant de rejoindre la cour de Ravenne, où elle l’épousera. En devenant le beau-frère de ce puissant souverain arien, Clovis pourrait être tenté d’embrasser cette religion qui s'est répandue dans tous les pays situés au sud de ce territoire : les royaumes wisigoths d'Espagne et d'Aquitaine, la Burgondie du Rhône au Rhin, la Provence et l’Italie sur lesquels plane l’ombre dominatrice du roi Ostrogoths. Geneviève prend conscience de cette montée inexorable de l'arianisme, dont l'étau se resserre autour de la Gaule catholique (…) Malgré son âge avancé, elle décide donc de se rendre à Tours afin de se recueillir sur la tombe de Saint Martin, le soldat du Christ qui, par sa parole et ses œuvres, triompha du paganisme jusqu'au fin fond des campagnes. L'histoire de cet officier des armées romaines, devenu moine puis évêque, racontée par son disciple Sulpice Sévère, l’a profondément marquée dans ses jeunes années.


(…) L’étau arien se resserrait autour du roi des Francs saliens, jusque dans sa propre famille. Ses deux sœurs, ayant récemment adopté le dogme rival, l'exhortaient à suivre leur exemple.


D'autres miracles vont suivre. Tout au long de son séjour, les gens défilent dans la maison qui l’héberge. Ils demandent une aide, un conseil, une guérison, et Geneviève écoute, rassure, impose les mains et chasse les infirmités d'un signe de croix. Les boiteux marchent, les sourds entendent, les aveugles voient… Aux remerciements, elle répond par un sourire et rappelle à tous qu’ils ne sont redevables qu'à Jésus-Christ, dont elle est l'humble servante.


L'auteur de La Vita ( …) est aux ordres de la vieille reine Clotilde qui, avant de mourir dans cette même ville de Tours, lui a commandé une « Vie de Sainte Geneviève », la première vie de sainte jamais écrite…


Quand les prières et les signes de croix ne suffisent pas, elle plonge sa main dans la bouche des possédés. Ils hurlent et se débattent en criant qu'ils souffrent, comme si chacun de ses doigts était la flamme d’un cierge. Les démons finissent par s'en aller en laissant derrière eux une odeur épouvantable.


On se précipite à sa rencontre pour tenter de la voir, être sur son passage et avoir la chance de frôler le bord de son vêtement, de croiser son regard plein de lumière ou d'entendre le son de sa voix lorsqu'elle diffuse ses messages de réconfort et d'espoir. Devant elle, aucune perfidie, aucune maladie ou infirmité ne résiste, ni les démons ni même Satan, qu'elle débusque et chasse d'un soufflet.


Avant la fin de l'été, elle se rend sur ses terres, près de Meaux, pour surveiller ses récoltes. La moisson n'est pas terminée quand une tornade s’annonce à l'horizon et tous les paysans s'affolent. Geneviève entre alors dans sa tente et se prosterne en versant des larmes, comme à son habitude. En peu de temps, elle est exaucée, et le moine biographe écrit : « Le Christ montre que, pour ceux qui le craignent, sa puissance est admirable : la pluie arrosait les champs à l’entour, sans qu'une seule goutte d'eau touchât la moisson ou l'un des moissonneurs de Geneviève. » Il raconte ensuite qu’au cours d'un autre voyage sur la Seine, une tempête l’avait surprise. « Son petit bateau était tellement secoué par les vents qui était presque recouvert par les flots. Geneviève regarda vers le ciel, les mains étendues, et implora le secours du Seigneur. Aussitôt se fit un calme tel que tous crurent que le Christ était venu pour commander au vent et au fleuve. »


À l'automne 496, les Alamans tentent une nouvelle poussée expansionniste, franchissent le Rhin supérieur et attaquent les Francs de Trèves, puis descendent vers Cologne. Conscient de leur supériorité numérique, le roi rhénan, Sigebert, appelle son cousin Clovis à la rescousse (…) Lorsqu'ils arrivent, les Alamans ont déjà livré un premier assaut à la forteresse de Zülpich, devenue Tolbiac dans les livres d'histoire (…) Coiffé de son casque doré à ailettes et couvert de son manteau rouge, Clovis, en première ligne en avant de ses troupes, monté sur son cheval blanc, s’élance vers le roi des Alamans, lui aussi en tête de ses farouches guerriers, mais sur un cheval noir (…) Clovis leva les yeux au ciel, le cœur plein de componctions, ému jusqu'aux larmes, il s'écria : « Ô Jésus-Christ que Clotilde proclame fils du Dieu vivant,  « (…) viens à mon secours ! »


Rejoindre l'arianisme est une solution de facilité, certes (…) Mais (…) il ne pourra plus prétendre à de nouvelles guerres de conquête, afin d’espérer un jour gouverner la Gaule tout entière. Car telle est son ambition secrète : être le continuateur de l’imperium romanum.


A la tête de ses Francs, Clovis attaque les Wisigoths par surprise, atteint Bordeaux, mais doit lever le siège et rétrograde vers la Loire. Il passe par Tours. Effet du hasard ou de la Providence ? Il y arrive en novembre 498, lorsque s'ouvre la cérémonie en l'honneur de saint Martin, dont la fête est célébrée le 11 de ce mois. Devant le spectacle hallucinant des guérisons au sein même de la cathédrale, les sourds qui entendent, les aveugles qui voient, les possédés soudain délivrés, le tout dans une ferveur populaire inimaginable, il est frappé de stupeur et décide de se faire baptiser sine mora, sans délai.


Malgré son vœu, le vainqueur de Tolbiac reste incrédule à cette religion chrétienne qui lui paraissait faite pour des esclaves et non pour des guerriers, encore moins pour des rois.


Le 24 décembre 499 (…) ce baptême est véritablement un événement international (…) par trois fois, Rémi lui verse l'eau d'un vase sur la tête et prononce la phrase célèbre inscrite dans tous les manuels scolaires : – Courbe la tête, fier Sicambre ! Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ! (…) Dépose les colliers, fier Sicambre ! (…)

Viendront ensuite une foule de guerriers : 3000 (…) L'événement eut un retentissement considérable (…) Il mettait les rois ariens en porte-à-faux vis-à-vis de leurs sujets gallo-romains, c'est-à-dire de la majorité de leur peuple. L'évêque de Vienne, Avit, exprime à Clovis ses compliments et les espoirs de l’épiscopat (…) : « Que Dieu fasse sien par vous tout votre peuple et que des peuples plus éloignés, pas encore corrompus par les germes du dogme mauvais, reçoivent de vous la semence de la foi, prise au bon trésor de votre cœur »


« (…) les Francs tinrent ferme, et contre les Saxons païens, derniers venus de la Germanie, et contre les Wisigoths ariens, enfin contre les Sarrasins, grands ennemis de la divinité du Christ. Ce n'est pas sans raison que nos rois reçurent le nom de « fils aînés de l'Église » » (Jules Michelet, Histoire de France)


(…) la date du décès a été fixée arbitrairement en 502, et celle de la Vita en 520.


(…) Clovis prend la tête de ses armées, attaque les Wisigoths et les écrase à la bataille de Vouillé, près de Poitiers. Alaric II sera tué, puis le roi des Francs enchaînera d'autres victoires : Angoulême, Bordeaux, Toulouse et le fabuleux trésor des rois Wisigoths, autant de conquêtes foudroyantes qui agrandiront son royaume, depuis de la Loire jusqu'aux Pyrénées.

Sur le chemin du retour, Clovis s’arrête à Tours, afin de rendre grâce à Saint Martin qui a changé sa vie. Depuis qu'il est baptisé, tout lui sourit.


Alors s'accomplit le deuxième vœux, le plus important : la construction de l'église. Comme pour celle de Constantin à Constantinople, Clovis choisit un point élevé qui domine la ville, le mont Leucotitius, dont le sommet est un cimetière sur une ancienne nécropole.


Et soudain, en 511, au retour d'une campagne en Thuringe, Clovis s’affaiblit brusquement. Il s'éteint alors qu'il était en pleine force (…) « Il mourut à Paris, écrit Grégoire de Tours, il fut enseveli dans la basilique des Saints-Apôtres que lui-même avait construit avec la reine Clotilde. »


Se faire inhumer aux côtés de Geneviève (…) Le roi avait voulu honorer celle à qui il devait l'axe général de sa politique et ses pratiques humanitaires envers ses adversaires gallo-romains.


La basilique commencée par Clovis est achevée en 520 par l'adjonction d'une abbaye (…) L’évêque Rémi a obtenu de Rome des reliques de saint Pierre et de saint Paul (…) et si l'église ne désemplit pas, ce n'est pas pour rendre hommage aux saints apôtres Pierre et Paul ou aux membres de la famille royale, mais bien à Geneviève, restée chère au cœur des Parisiens. Sous l'impulsion de la ferveur populaire, l'église changera de nom et prendra celui de la sainte, ainsi que le mont sur lequel elle est construite.


Quel n'est pas leur étonnement de constater que la simple application du précieux liquide fait marcher les boiteux, ouvre les oreilles des sourds, rend la vue aux aveugles ; mais la stupéfaction est encore plus grande de voir que le niveau de l'huile ne baisse pas.


Plusieurs conciles seront célébrés en son sein (…) L’un en 557, auquel assistait Grégoire de Tours qui reconnaîtra le pouvoir thaumaturgique du sépulcre.


En 857, nouvelle alerte. Les chanoines s'empressent de descendre la châsse et l'emporte plus loin encore, à Marisy, dans une abbaye que protège la robuste forteresse de La Ferté–Milon. Elle y restera cinq ans au cours desquels, selon un témoignage contemporain, « tant de miracles ont été faits audit lieu par ladite vierge qu'il est impossible de les rédiger par écrit ». Et pendant ce temps, les Normands incendiaient l’église où reposaient encore Clovis et sa famille, détruisant une grande partie de l'édifice (…) 

C'est en cette fin du IXe siècle que Geneviève est reconnue « patronne de Paris » et que l'église des Saints-Apôtres devient l'église Sainte-Geneviève…


(…) Le « miracle des Ardents ». Un mal bien singulier appelé « feu sacré », ou mal des ardents, se propageait périodiquement. Comme son nom l’indique, il brûlait, telle une flamme, toutes les parties du corps auxquelles il s'attaquait (…) Il était dû à l'ingestion d'ergot de seigle (…) en 1129 et 1130, ce mal ravage Paris et le Soissonnais. 14 000 personnes sont emportées par ce fléau et la médecine est impuissante. Processions et jeûnes restent vains. L’évêque de Paris, Étienne de Senlis, se tourne alors vers l'ultime recours, Geneviève, leur protectrice. Il demande aux chanoines génovéfains de descendre la châsse de la sainte et de la faire venir à Notre-Dame, en grande procession de tout un peuple d'artisans et de bourgeois chantant les litanies. Avant son arrivée, il fait compter les malades rassemblés devant le porche. Cent trois se sont alignés sur le seuil de la cathédrale, à l'endroit même où doit passer la châsse contenant les saintes reliques. À peine l’effleurent-ils du bout des doigts qu'ils sont guéris. Trois seulement ne le sont pas et l'on dira qu'ils étaient incrédules.


Saint Louis vénérait particulièrement la sainte…


(…) jusqu’au début du XVIIIe siècle, de nouveau, les diverses processions contre les intempéries, les disettes, les épidémies, en particulier la peste, vont la mettre à mal. On en comptera plus de quatre-vingts. Dans le cours du seul XVIe siècle, fortement troublé par la propagande protestante, quarante-quatre processions de la châsse sont enregistrées.


Il y en aura six autres au cours du XVIIe siècle, l'une pour obtenir la fin des troubles de la Fronde et le retour à Paris du jeune roi Louis XIV, les autres pour obtenir un meilleur temps. Celle de mai 1694, après six mois de sécheresse, est particulièrement exaucée. Non seulement la pluie tombe dru dès la sortie de Notre-Dame et donnera des récoltes inespérées, mais ce même jour, le maréchal de Noailles remporte une brillante victoire sur les Espagnols.


Au XVIIIe siècle, on ne verra que deux processions. L’une, en 1709, pour abréger la famine et les maux de la guerre ; l'autre, en 1725, pour arrêter les pluies diluviennes menaçant les récoltes (…) Il semble que l'on priait moins en ce temps-là, et Dieu n’exauçait plus. La Raison établissait son empire et l'Esprit des Lumières triomphait (…) La reconnaissance la plus marquante fut celle de Louis XV (…) Comme son peuple, lui aussi, en dernier recours, prie la sainte et fait vœux, s'il guérit, de lui construire une nouvelle église (…) Soufflot meurt en 1780, son élève, Rondelet, l'achève à la veille de la Révolution. L'ensemble, majestueux, est loin d'inspirer l'élan de spiritualité que l'on ressent dans nos cathédrales médiévales, construites avec tant de ferveur (…) le 4 avril 1791, l'Assemblée constituante saisit la nouvelle église Sainte-Geneviève, qui est laïcisée, et décrète qu'elle sera désormais le panthéon où reposeront les grands hommes de la patrie (…)

En 1793, la commune de Paris décrète que les ossements de sainte Geneviève doivent être « brûlés sur-le-champ, place de Grève, pour y expier le crime d'avoir servi à propager l'erreur ». C'est là qu’au matin du 3 décembre, ils sont portés et jetés sur un bûcher de chasubles et d'ornements d'église. Les cendres seront ensuite jetées dans la Seine, comme autrefois celles de Jeanne d'Arc. Et pendant dix ans, tout culte public à sainte Geneviève est interdit.


Ainsi, aux plus mauvais jours de la guerre de 1870, à la veille du bombardement, le général Trochu, gouverneur de Paris, rédige une proclamation appelant officiellement à organiser des prières publiques à celle qui tant de fois avait sauvé le pays. Les membres du gouvernement s'y opposent, redoutant l’obus clérical plus que ceux des Prussiens. Le lendemain, Paris était bombardé (…) 

En 1885, à l'occasion des funérailles grandioses de Victor Hugo, un décret présidentiel désaffecte définitivement le Panthéon pour le consacrer aux seuls grands hommes de la Patrie reconnaissante (…) Et c'est à Saint-Étienne-du-Mont que va se perpétuer le culte de Geneviève…


Mais surtout en août 1914, lorsque l'armée allemande avançait si rapidement qu'elle approchait des portes de Paris. La ville toute entière, affolée, se tourne alors vers sa protectrice. Un triduum officiel est célébré. Pendant trois jours, les 5, 6, et 7 septembre, des prières publiques sont organisées à Saint-Étienne-du-Mont. L’église ne peut contenir la foule innombrable qui emplit bientôt toute la place entre le Panthéon, la faculté de droit et la bibliothèque Sainte-Geneviève (…) au troisième jour, on apprend la bonne nouvelle « (…) C'est le « miracle de la Marne ». Est-ce pour la remercier qu'en 1928 on a juché sa statue, sculptée par Paul Landowski, sur le pont de la Tournelle ?

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