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dimanche 8 novembre 2020

« Dieu et le malheur du monde » de Jean-Marie Ploux, Thierry Niquot (2012)

(…) face au malheur, personne ne peut se substituer à l’autre. (…) Les victimes du malheur, quelles qu’en soient les formes, sont seules.

Le malheur, selon l’étymologie, c’est la « mauvaise fortune », le « mauvais sort », ce qui survient sans que nous ayons pu l’anticiper, ce qui s’impose à nous, sans que nous ayons eu notre mot à dire, sans que notre responsabilité soit directement engagée (…) nous voulons affronter la réalité du mal subi, de ce mal dont nous ne sommes objectivement pas responsables, de ce mal qui nous tombe dessus sans que nous sachions pourquoi et qui est, pour cette raison, beaucoup plus redoutable que le mal commis !


Les vraies questions se posent toujours aux limites. Aux limites de la misère, de la faim, de la souffrance, de l’injustice, de la déréliction. C’est en se tenant là que l’on a quelque chance de ne pas voir trop mal la situation de l’homme et de l’humanité. Et c’est à partir de là que l’on peut interroger la raison de l’homme ou sa foi en Dieu.


C’est une chose de donner sens à sa propre souffrance, c’en est un autre d’en faire la théorie pour autrui…


La conviction d’une raison éclairée qui devait ouvrir l’humanité à un nouvel âge, dont serait banni à tout jamais l’obscurantisme, l’injustice et la violence des maux de tous ordres, est née au siècle des Lumières (XVIIIè) (…) Mais à l’aube du XXè siècle, cette bouffée d’optimisme a connu un coup d’arrêt violent avec la Première Guerre mondiale…


(…) lorsque la philosophie essaie de penser par le jeu de la seule raison, elle aboutit au mieux à concevoir un Dieu qui, étant différent de l’homme, est conçu à son exact opposé. Ainsi Descartes, dans la quatrième partie de son Discours de la méthode, énonce que Dieu, l’Être parfait, est « infini, éternel, immuable, tout connaissant et tout puissant. » Mais contrairement au Dieu de la Bible, il est complètement indifférent au sort des victimes.


(…) [pour] ses amis (…) qu’il en ait conscience ou pas, Job est dans cet état parce qu’il a péché (…) Et Job demande des comptes à Dieu. Mais Dieu ne donne pas de réponse à Job, si ce n’est l’affirmation que sa grandeur est très au-dessus de l’intelligence que Job peut en avoir. Celui accepte donc de ne pas comprendre. L’étonnant dans cette affaire est que Dieu désavoue les amis de Job et considère que leur théologie ne tient pas debout : « Ils ont mal parlé de moi ! » (…) Il s’agit de savoir si la foi de Job est liée aux bienfaits de Dieu ou bien pour Dieu lui-même, en pure gratuité (…) Cependant lorsque Dieu à dit à Job que ses amis théologiens ont mal parlé de lui, Dieu, il faut remarquer aussi qu’ils ont parlé « de » Dieu ou « sur » Dieu alors que Job a parlé « à » Dieu (…) Si Dieu se donne à connaître, c’est dans l’épreuve et non dans la preuve…


Dans la Genèse, il y a deux versions de cette création. La première montre Dieu comme celui qui, par sa parole, met de l’ordre dans le chaos primitif de la matière.


Cette universalité de la compassion qui passe par des personne concrètes, juives ou non, justes ou non, est sans doute ce qui a provoqué le rejet de Jésus car elle mettait en cause les frontières religieuses par lesquelles les Juifs de son temps entendaient sauvegarder leur identité : le culte du Temple, le respect de la Loi.


C’est sans doute une grande différence avec la démarché initiée par le Bouddha qui consiste à se libérer de la souffrance. Le Christ par sa croix n’évite pas souffrance, il s’identifie au dernier des hommes et partage la souffrance du monde sans dire jamais que l’homme puisse s’en libérer.


Aider Dieu à être pour nous le Tout-Puissant, non pas dans l’espoir de « voir la vie extérieure tourner bien pour nous », mais dans l’espérance de continuer à « accepter la vie et à la trouver bonne, même dans les pires moments. »


Du coup, le Dieu immuable en est changé, le Dieu isolé dans son éternité est engagé dans le temps, le Dieu impassible est affecté par ce qui affecte l’homme (…) Non seulement il faut admettre que Dieu a une histoire, mais que cette histoire est liée à celle des hommes (…) Le chrétien Hegel y a même vu le ressort secret du mouvement de l’histoire…


« Sous l’effet même de l’opération unitive qui le révèle à nous, Dieu en quelque façon, se transforme en nous incorporant » (Pierre Teilhard de Chardin, Le Cœur de la matière, 1976).


Dans une conférence faite à Notre-Dame de Paris le 19 mars 2006, Julia Kristeva - qui se présentait comme « une femme non croyante, psychanalyste, enseignante, écrivain » - soulignait la dimension compassionnelle de la souffrance du Christ : « Cette souffrance à mort qu’est la Passion pascale, repérée par saint Paul, est-elle due à la seule humanité du Christ ou bien affecte-t-elle la nature de sa divinité même et donc de la divinité ? Telle est la question, prodigieuse, insoutenable dans aucune autre religion, et que le christianisme, lui, ne s’est pas privé de soulever. »


Ce que l’Ecriture appelle le péché contre l’Esprit (Mathieu 12, 31-32), c’est justement la suffisance ou la satisfaction car c’est un étouffement, un endormissement : la mort.


« Le Créateur de l’univers n’a pas de nom, parce qu’il est non engendré. Recevoir un nom suppose en effet quelqu’un de plus ancien qui donne ce nom. Ces mots, Père, Dieu, Créateur, Seigneur et Maître ne sont pas noms mais des appellations motivées par ses bienfaits et ses actions. » (Saint Justin, Apologie, IIè siècle)


(…) il faut tout voir à partir du bas. Voir l’état du monde à partir de la misère de populations qui survivent à peine, tenaillées par le manque d’eau et de nourriture ou bien otages de potentats ou de la dictature insidieuse d’égoïsmes internationaux. Voir l’état de notre société à partir des chômeurs, des sans-logis et des sans-papiers. Voir la condition humaine à partir de la détresse et de la misère.


« Car là où nous voyons naturellement une faute à condamner et à punir, Dieu, lui, voit tout d’abord une détresse à secourir. Le Tout-Puissant est aussi le plus doux des êtres, le plus patient » (Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, 1959).

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