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mardi 11 août 2020

"Siddhartha" de Hermann Hesse (1922)

Mais une chose est certaine, c’est que moi, Siddhartha, je n’ai jamais trouvé dans mes pratiques et mes méditations que de brefs instants de torpeur et que je suis aussi éloigné de la sagesse et de la délivrance, que je l’étais dans le sein de ma mère…

Qu’il était beau le monde pour qui le contemplait ainsi naïvement, simplement, sans autre pensée que d’en jouir !

Chacun peut être magicien et atteindre son but, s’il sait réfléchir, s’il sait attendre, s’il sait jeûner.

Presque toutes les créatures, ô Kamala, ressemblent à la feuille qui, en tombant, tournoie dans l’air, vole et chavire en tous sens avant de rouler sur le sol. D’autres au contraire, le petit nombre, ressemblent aux étoiles : ils suivent une route fixe, aucune bourrasque ne les en fait dévier ; ils portent en eux-mêmes les lois qui les régissent.

Il lui sembla que toute l’existence qu’il avait menée jusqu’à ce jour était absurde et vide et qu’il n’en avait rien retiré de réconfortant, de précieux ou qui valût seulement la peine d’être conservé. Il se voyait isolé et pauvre comme le naufragé sur le rivage où la mer l’a jeté.

Et c’était aussi, du moins il se l’imaginait, cette impuissance à aimer qui et quoi que ce fût, qui l’avait rendu si malade.

N’était-ce pas son moi, ce moi mesquin, anxieux et orgueilleux contre lequel il avait lutté tant d’années, qui l’avait toujours vaincu et qui renaissait après chaque victoire pour lui interdire la joie et lui inspirer la crainte ?

Avoir été en proie à ce désespoir, à ce profond écœurement de tout, et n’y avoir point cédé, avoir senti vivre encore en lui le petit oiseau, source et vie de son âme, c’est ce qui faisait maintenant sa joie et éclairait d’un rayon de bonheur son visage sous ses cheveux grisonnants.
« Il est bon, se répétait-il, d’avoir appris à ses dépens, ce qu’on a besoin de savoir. Même quand j’étais enfant je n’ignorais pas que le plaisir du monde et les richesses ne valent pas grand-chose. Je le savais depuis longtemps ; mais ce n’est qu’à présent que j’en ai fait l’expérience. »

La première chose qu’il apprit ce fut à écouter, à écouter d’un cœur tranquille, l’âme ouverte et attentive, sans passion, sans désir, sans jugement, sans opinion.

Est-ce que tout ce qui dans le monde pesait sur nous ou nous était hostile ne disparaissait pas et ne se surmontait pas dès qu’on avait vaincu le temps, dès que par la pensée on pouvait faire abstraction du temps ?

(…) que le fleuve est partout simultanément : à sa source et à son embouchure, à la cataracte, au bac, au rapide, dans la mer, à la montagne : partout en même temps et qu’il n’y a pas pour lui la moindre parcelle du passé ou la plus petite idée d’avenir, mais seulement le présent…

Rien ne fut, rien ne sera ; tout est, tout a sa vie et appartient au présent.

(…) le vrai chercheur, celui qui a vraiment le désir de trouver, ne devait embrasser aucune doctrine. Par contre, celui qui avait trouvé, pouvait les admettre toutes, comme il pouvait admettre toutes les voies, toutes les fins.

Qui dit chercher, dit avoir un but. Mais trouver, c’est être libre, c’est être ouvert à tout, c’est m’avoir aucun but déterminé.

(…) la sagesse ne se communique pas. La sagesse qu’un sage cherche à communiquer a toujours un air de folie. (…) Le Savoir peut se communiquer, mais pas la sagesse. On peut la trouver, on peut en vivre, on peut s’en faire un sentier, on peut, grâce à elle, opérer des miracles, mais quant à la dire et à l’enseigner, non, cela ne se peut pas.

Le Temps n’est pas une réalité, ô Govinda. J’en ai maintes et maintes fois fait l’expérience. Et si le Temps n’est pas une réalité, l’espace qui semble exister entre le Monde et l’Eternité, entre la Souffrance et la Félicité, entre le Bien et le Mal, n’est qu’une illusion (…) le Bouddha à venir est maintenant, il est aujourd’hui en puissance dans le pécheur, son avoir est déjà en lui, tu dois vénérer en lui, en toi, ce Bouddha en devenir, ce Bouddha encore caché.

La profonde méditation donne le moyen de tromper le temps, de considérer comme simultané tout ce qui a été, tout ce qui est et tout ce qui sera la vie dans l’avenir, et comme cela tout est parfait, tout est Brahma.

(…) l’Amour, ô Govinda, doit tout dominer. Analyser le monde, l’expliquer, le mépriser, cela peut-être l’affaire des grands penseurs. Mais pour moi il n’y a qu’une chose qui importe, c’est de pouvoir l’aimer, de ne pas le mépriser, de ne le point haïr tout en ne me haïssant pas moi-même, de pouvoir unir dans mon amour, dans mon admiration et dans mon respect, tous les êtres de la Terre sans m’en exclure.

(…) je n’ai qu’à y consentir, qu’à le vouloir, qu’à l’accepter d’un cœur aimant. En agissant ainsi, je ne puis qu’y gagner sans risquer jamais de me nuire. J’ai appris à mes propres dépens qu’il me fallait pécher par luxure, par cupidité, par vanité, qu’il me fallait passer par le plus honteux des désespoirs pour réfréner mes aspirations et mes passions, pour aimer le monde, pour ne pas le confondre avec ce monde imaginaire désiré par moi et auquel je me comparais, ni avec le genre de perfection que mon esprit se représentait ; j’ai appris à le prendre tel qu’il est, à l’aimer et à en faire partie… »

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