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mardi 4 août 2020

"Le couple ; sa vie, sa mort" de Jean-Georges Lemaire (1979)

(…) une relation amoureuse conçue comme passagère doit apporter au sujet des satisfactions immédiates, et qu'elle est abandonnée dès qu'elle ne le donne plus ou dès qu'elle s'accompagne de difficultés considérables. Ce qui caractérise le lien que nous appellerons « conjugal », c’est cette capacité de supporter la souffrance et le conflit.

Ce qui n'auront pas été préparés dès l’enfance à exprimer leurs besoins, leurs désirs, leurs craintes et à les échanger avec leurs contemporains, seront bien mal placés dans leur tentative de vie commune. Les parents et éducateurs qui, de nos jours, continuent de façonner leurs enfants en fonction de leurs normes propres et se réjouissent de les voir se conformer sans discussion à leurs propres modèles rendent à ce dernier un bien mauvais service.

L’organisation stable et peu conflictuelle du couple suppose l'intrication mutuelle, non seulement des désirs hétérosexuels mutuels, mais aussi celle des tendances homosexuelles habituellement latentes, dont on sait par ailleurs la très grande importance dans l'établissement des relations d’amitié.

(…) le grand rôle joué dans le choix d'Objet par l'organisation défensive, notamment par l'ensemble des mécanismes de défense organisée contre les pulsions les plus mal intégrées à l'ensemble pulsionnel (…) Le choix du partenaire principal est étroitement lié à l'organisation défensive…

Dans ces derniers cas, l'aspect hédonique et la quête de satisfactions pulsionnelles directes est exclusif ou largement prioritaire ; ce qui est demandé alors à l'Objet est essentiellement d'être le moyen d'une satisfaction, et s’il n’y répond pas, la relation cesse immédiatement.
Dans la relation présumée durable, au contraire, si l’aspect hédonique et la recherche de satisfaction restent importants (…) ils doivent pouvoir contribuer à maintenir chez le Sujet une certaine sécurité intérieure, ce qu'il fait en contribuant à son organisation défensive.

(…) un solide sentiment de son existence, de sa réalité, de son identité, est nécessaire pour que l'être humain soit capable d'établir une relation véritable avec autrui sans se sentir menacé.

Il se sent constamment menacé et constamment obligé de préserver son insuffisante identité et sa vie mal différenciée (…) C'est bien l'intensité de l'amour qui est vécue par eux comme redoutable.

(…) pour Winnicott avant que se forment un véritable Moi infantile, il existe un continuum entre l'être mal différencié et la mère enveloppante (…) Lorsque la mère est suffisamment bonne et grâce à ses réactions parfaitement adaptées aux désirs, aux fantasmes, aux illusions ou aux hallucinations du nourrisson celui-ci acquiert petit à petit la possibilité d'une véritable illusion de toute-puissance, nécessaire à cette étape de son développement, illusion à laquelle, plus tard, il deviendra capable de renoncer.

(…) une mère possessive, à l'amour envahissant, s’avance avec excès vers le nourrisson au moment où il ne désire rien, tout se passe comme si ce dernier en éprouvait un tort et devait se défendre contre cet empiètement. Il se sent menacé comme s'il était lui-même creux ou vide et comme si ce contact intrusif de la mère risquait de le détruire (…) La principale réaction défensive de ceux qui redoutent cet empiètement ou cette invasion amoureuse d'autrui est une réaction d'isolement.

La manœuvre défensive consiste le plus souvent dans le choix d'un futur partenaire avec lequel ne seront partagés que certains aspects de leur vie (…) C'est de la défaillance du partenaire qui est en quelque sorte attendue et choisie. C’est la disposition latente à cette défaillance qui, dans l’inconscient du Sujet, est repérée chez l’Objet, précisément dans le plan où le Sujet craint de ressentir en lui également une même défaillance qu’il tend à nier ou à écarter de son champ de conscience, et qu’il est soulagé de prêter à son alter-ego. 

« Au lieu de faire face à ses conflits personnels et de tenter de les démêler, chaque intéressé les introduit dans sa relation avec autrui et manipule son partenaire comme un objet substitutif ou un prolongement narcissique de soi-même » (Richter, « Parents, enfants et névrose », 1972)

(…) le rôle d’un partenaire dit substitutif (…) tel un parent. Celui qui accepte ce rôle substitutif est chargé de compenser ou de réparer la frustration ou l’insupportable déception laissée par une relation première du Sujet ; il en tire de son côté des bénéfices propres, notamment narcissiques, éventuellement masochiques, lorsqu’il sent combien, par son dévouement, il apporte de satisfaction au Sujet précédemment frustré.

(…) c’est autour du pôle dépressif que se choisissent spontanément des êtres qui ont l’un et l’autre des difficultés avec leurs positions dépressives personnelles.

Tout se passe comme si l’inconscient de chaque individu percevait, dans l’inconscient de l’autre, une série de conflits intérieurs. Si ces conflits sont pour une part analogues aux siens propres, et qu’il ressente chez l’autre une manière différente d’y réagir, l’individu se trouve alors puissamment attiré vers cet autre, avec une forte chance de réciprocité.

Le processus de crise est introduit par la déception éprouvée par le Sujet en face d’une défaillance supposée de l’Objet (…) ce n’est évidemment par un phénomène objectif dont il est question ici, mais d’un phénomène subjectif intra-individuel. Même modeste, même partielle, la déception apparaît, l’Objet ne semble plus répondre à tous les désirs du Sujet ; c’est au moins sur un plan qu’il manque, qu’il fait défaut : il faillit à l’attente.

La déception ressentie est à la mesure de la projection qui a été faite sur l’Objet élu. Tout ce que les processus de clivage et d’idéalisation ont permis de projeter de bon sur cet Objet, et tout ce qui l’avait rendu fantasmatiquement tout-puissant en tant que source de satisfaction, risque désormais d’être remis en question.

C’est toute la réalité psychique du Sujet qui se modifie à partir du moment où est éprouvée cette déception. L’univers se transforme à nouveau, non que soient annulés totalement les effets de la phase de lune de miel, mais ils sont réduits à n’être plus qu’une partie de son existence (…) C’est donc la réalité psychique du Sujet qui est modifiée et non la réalité objective de l’Objet.

(…) par exemple, la confrontation plus fréquente avec le partenaire (…) conduit le Sujet à corriger l’image embellie qu’il s’était construite (…) il faut évoquer la fréquence avec laquelle cette défaillance de l’Objet est attribuée à une modification de sa « valeur sociale » (…) par exemple capacité professionnelle moins importante que prévue, gains d’argent moins substantiels.

Ce qui se vit à cette période est une sorte d’expérience correctrice qui, outre la fin de cette méconnaissance de l’Objet, entraîne également le renouvellement de sentiments ambivalents à son égard (…) Le réveil de l’ambivalence à l’égard de l’Objet peut être difficile à supporter, dans la mesure où il suppose que le Sujet reconnaisse en soi-même une certaine forme d’agressivité, une certaine capacité de haine à l’égard de cet Objet d’amour aux aspects multiples qui avaient été idéalisés.

En reprenant la proposition freudienne, liant le choix de l’Objet à l’Idéal du Moi, on peut dire qu’aimer l’Objet, c’est aussi aimer la meilleure partie de soi réelle ou imaginaire. Dès lors faire la critique de l’Objet et réveiller à son égard des pulsions agressives (…) c’est atténuer le bénéfice de ce comblement narcissique (…) Mais si agresser ou critiquer l’Objet intériorisé est se critiquer et s’agresser soi-même jusqu’où peut aller ce mouvement ? Pour la plupart, il se limite à la possibilité de retrouver un certain sens autocritique en même temps que critique ; cette phase de crise est alors particulièrement maturative ; à celui qui accepte ce mouvement, est donné l’avantage de développer son insight et de trouver une meilleure adaptation dans sa vie affective, dans la mesure où il comprendra mieux ses propres besoins et ses propres limites.

Précisément, ce qui se produit au moment des crises, c’est un doute plus ou moins profond et plus ou moins durable sur la « valeur » objectale de l’autre chargé précisément d’apporter la confirmation de soi.

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