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samedi 25 juillet 2020

"Kubrick" de Michel Ciment (1980)

Mais Welles n’eut jamais le contrôle économique de ses films, toujours à la merci des producteurs. La force de Kubrick est d’avoir compris que le savetier devait être aussi financier, que si le cinéaste ne contrôle pas tous les éléments de son film, depuis l’achat des droits, l’écriture du scénario, jusqu’à la campagne publicitaire qui le lancera et la salle de cinéma qui le programmera, son travail de trois ou quatre ans peut-être réduit à néant.

« Je conseillerai à tout metteur en scène novice d’essayer de réaliser un film par lui-même. Un court métrage de trois minutes lui apprendra beaucoup. Je sais que tout ce que j’ai fait à mes débuts était en microcosme ce que je fais aujourd’hui comme réalisateur et producteur ».

« Ils ont tendance à traiter l’acteur à contrecœur comme quelqu’un qui serait susceptible de ruiner leur œuvre au lieu de comprendre que l’acteur est dans tous les sens du terme leur médium. »

Il préfère préparer un projet, se documenter pendant des mois, voire des années, dévorer livres et revues avec la curiosité systématique de l’autodidacte, contrôler la capacité d’accueil et l’indice de fréquentation des cinémas dans chaque ville étrangère ou le graphisme et l’emplacement futur des affiches, ou encore l’éloignement des fauteuils par rapport à l’écran dans les salles de projection privées, tout comme la taille de la publicité dans les journaux, ou les cours des monnaies au marché de changes, se faire retraduire en anglais la liste des sous-titres de chaque version étrangère pour bien voir si rien d’essentiel n’a été omis, superviser les doublages et vérifier la qualité des sept-cents copies de « Shining » qui vont être projetées le même jour aux Etats-Unis .

Quatre fois « nominé » comme meilleur metteur en scène pour quatre films successifs, il partage avec Charlie Chaplin, Joseph von Sternberg, Orson Welles, Robert Altman (ces autres rebelles !), mais aussi Fritz Lang, Alfred Hitchcock, Howard Hawks et Ernst Lubitsch la distinction singulière de ne jamais avoir reçu l’oscar du meilleur réalisateur.

Et cette prise en compte du temps et de l’évolution des formes est sans doute une des caractéristiques de l’art moderne. Les cinéastes n’ont atteint ce stade de réflexion que fort tard. En s’éveillant à l’idée d’une histoire du cinéma, ils ont perdu leur innocence.

La démarche de Kubrick est centripète. Elle est fondée sur la concentration et vise à créer un système autarcique. Notons comme chaque œuvre renvoie à la précédente. Quilty se drape dans une toge au début de Lolita et déclare : « Je suis Spartacus ». L’explosion cosmique à la fin de Dr. Folamour est un prélude à 2001. L’œil du fœtus à la fin de ce film annonce le premier plan d’Orange Mécanique sur l’œil du mutant d’Alex.

Comme Vienne pour un Sternberg ou un Stroheim ou tant d’artistes de l’époque des Habsbourg, le XVIII siècle est pour Kubrick une époque minée en profondeur, attendant sa destruction prochaine et où derrière la façade de la fête, du luxe et des plaisirs, rôdent la mort et la désintégration.

Le XVIIIème siècle aussi la rencontre de la passion et de la raison.

(…) le lien entre l’amour et la mort qui est au cœur de ses films.

Norman O.Brown, dans son magistral essai « Eros et Thanatos », a examiné les rapports entre l’instinct de vie (et l’amour) et l’instinct de mort, montrant que l’histoire humaine est celle d’une névrose liée au sentiment de culpabilité de l’humanité.  

Alex pendant le traitement Ludovico d’Orange mécanique » quand il s’écrie : « C’est drôle comme les couleurs du monde réel ne paraissent vraiment réelles que lorsque vous les voyez sur l’écran »

« L’art occupe le milieu entre le sensible pur et la pensée pure ». L’art de Kubrick est à la fois conceptuel et concret.

(…) il a compris que l’intensification du réalisme à l’écran était liée au développement des artifices techniques.

Orange mécanique, comme l’œuvre entière de Kubrick, se nourrit de la culture populaire tout en en offrant la critique.

Le masque a noté Georges Buraud, nous insuffle une nouvelle énergie. « Porter un masque nous incite à agir, à faire effet, à nous dépasser. »

Le commentaire crée la distance, enferme le récit dans la fatalité, corrige par un contrepoint constant l’impression de réalité, enlève aux personnages leur liberté.

2001 fait figure de rêve utopique, où le surhomme donne naissance au fœtus astral, s’autoreproduisant pour ainsi dire, sans l’intermédiaire de la femme. Le vieil homme meurt pour céder la place à son fils, autre lui-même.

L’homme est pour Kubrick, en bon disciple de Hobbes, un loup pour l’homme.

« Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un évènement en apparence surnaturel » (Todorov)

Le fantastique est donc le choc entre le réel et l’imaginaire, et il exclut le merveilleux où rien ne surprend, rien n’étonne puisque, étant le domaine de l’imaginaire pur, tout peut y arriver.

« La science ne nous a pas encore appris si la folie est ou n’est pas le sublime de l’intelligence ». (Edgan Poe)

C’est ce qu’exprime 2001 : l’homme dépasse le stade animal par le moyen de la technologie, il atteint le stade de surhomme en se délivrant de cette même technologie.

Le monolithe – qu’il soit image de Dieu, des extra-terrestres ou d’une force cosmique – est une nouvelle manifestation du déterminisme qui tend à gouverner la vision du monde de Kubrick.

Le fœtus qui apparaît à la fin et forme comme un deuxième globe face à la terre, ce nouvel être au seuil d’une aube nouvelle, est l’expression d’un éternel retour.

Car comme toute vraie odyssée, 2001 est un voyage dans le monde extérieur qui devient une découverte de soi-même.

« Je pense que c’est dans « Orphée » que Cocteau fait dire au poète « Que dois-je faire ? » et la réponse est : « Etonne-moi ». Une grande partie de l’art moderne ne remplit certainement pas cette condition. C’est de l’art mais ce n’est pas étonnant et cela ne vous remplit pas d’admiration et de surprise. » 

« Si vous ne commencez pas avec une histoire solide, alors, quel que soit l’intérêt des idées, quels que soient les personnages, vous aurez au bout du compte quelque chose où le total sera moins que la somme des parties. Par contre, si vous commencez avec une fiction pleine de force, vous avez la liberté d’expérimenter dans d’autres domaines. Vous avez l’assurance que du moins les gens s’intéresseront à ce qui se passe. »

« L’intérêt des personnages démoniaques, c’est qu’on peut aisément se moquer d’eux. » (Kubrick)

« Si la violence était nocive, je pense qu’il faudrait en premier montrer du doigt les dessins animés de « Tom et Jerry », les films de James Bond et les westerns italiens, parce qu’ils présentent la violence comme une chose drôle, sans aucune conséquence. »

« L’homme naît avec de nombreuses faiblesses, et, fréquemment, la société le rend pire. »

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