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dimanche 26 juillet 2020

"Carnets secrets de Louis II de Bavière" - Préface de Dominique Fernandez (1987)

A dix ans, il se tournait contre le mur et criait, trépignait lorsqu’il rencontrait dans les couloirs de la Résidence de Munich un domestique qu’il jugeait laid.

Certes, victoire il a obtenu, Louis II. Mais victoire du « vulgaire », qu’on peut mesurer aujourd’hui à la densité de la foule – du vulgus puant la bière – qui se presse pour visiter ces châteaux, devenus la Mecque du tourisme de masse, une sorte de Lourdes laïque et vacancier.

Le mot allemand et non américain, comme on le croit souvent, de « kitsch » - pot-pourri de styles disparates – est apparu en Bavière vers les années 1870, peu après le début de la construction de Neuschwanstein et de Linderhof.

Mais je verrais plutôt, dans ces bizarreries du roi, les indices d’une crise d’identité – qui suis-je ? Ai-je un être à moi ? – (...)

« Je suis le roi », pouvait-il se dire. Mais ce qui pour tout autre eût été une raison de rassurer, fut pour Louis II une source de nouveaux tourments.

(…) un pouvoir qui veut montrer sa force commence par éliminer les marginaux.

(…) le cas du philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein […] extraits du « Journal secret » rédigé par le philosophe pendant la Grande Guerre, alors qu’il se trouvait au front. Non seulement il eut à lutter contre ses penchants homosexuels, qu’il n’acceptait pas, mais cette expérience douloureuse fut à l’origine de sa vocation et de sa pensée philosophiques. Le doute radical qu’il éprouvait à l’égard de son propre être et la perception d’une insuffisance de sa nature constituèrent le point de départ du célèbre « Tractatus logico-philosophicus » qui allait renouveler la logique contemporaine.

« Je suis encore en train de lutter contre ma mauvaise nature. Que Dieu me vienne en aide ! » notait Wittgenstein le 13 août 1916, en proie à l’amer regret de se sentir éloigné de la « vie authentique ». Invoquer Dieu pour se libérer de ses pulsions sexuelles, encore un trait qui le rapproche de Louis II.

Louis II et sa cour de valets, à la in de sa vie, font penser à deux célèbres précédents historiques. Ivan le Terrible, qui préférait lui aussi les jeunes garçons du peuple aux riches boyards, s’entoura d’une bande tapageuse d’ « opritchniki ». Tantôt il leur permettait la plus grande familiarité, tantôt il les remettait à leur place en le humiliant publiquement. Le dernier des Médicis, le grand-duc Jean-Gaston, remplaça les dignitaires de sa cour par des voyous, les « ruspanti », avec qui il organisait des divertissements, arrosés d’alcool et pimentés de sadisme. Jean-Gaston peut-être cité comme un exemple de fin de race, l’extrême surgeon d’une lignée en décadence, mais Ivan fut le bâtisseur de la Russie moderne. Le goût de la parodie et de la provocation semble répandu chez les hommes qui ont perdu foi en eux-mêmes.

Marcel Proust, dans le bordel masculin où il rencontrait des prostitués, se faisait donner en spectacle, pour arriver à l’orgasme, des combats de rats affamés dont les cris, les morsures, le sang, l’agonie lui permettaient d’être heureux.

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