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samedi 6 juin 2020

« Des chaussures pleines de vodka chaude » de Zakhar Prilepine (2007)

Une demi-heure plus tard, le Gris réapparut dans le parages, comme dessoûlé, mais avec un visage gonflé et une tête qui semblait si lourde qu’il la portait avec haine au sommet de son corps. Il se planta devant un tonneau d’eau de pluie et y plongea sa gueule un long moment, puis remplit plusieurs fois son béret d’eau et se le mit sur la tête. Enfin il se frotta furieusement le visage avec ses grosses paluches, comme s’il voulait s’arracher les joues et les yeux.
Je me détournai, le spectacle m’était désagréable.
(Slavtchouk)

-Tu veux boire ? dis-je, employant ces mots - parmi les plus importants - qui définissent les destins de la civilisation russe.
- Non, répondit-il.
Moi, oui, répliquai-je et, avec une forfanterie imbécile, je me versai d’un coup dans le gosier deux bons décilitres.
Je soufflai et posai par terre la bouteille vide. Elle tinta avec reconnaissance : du reste, après ce qui venait de se passer entre elle et moi, on ne pouvait que la briser contre le sol.
- Je me demande combien de temps encore tu vas vivre, me dit Mikhaïl d’un ton pensif et calme, et me toisant.
(Un héros de rock’n’roll)

Le blond et moi passions la nuit chez une amie dont le mari était en déplacement. Après avoir un peu blagué à ce sujet, nous bûmes dans la soirée une bouteille de vodka, puis une deuxième (…) L’amie était charmante, et il fut si agréable de la distraire qu’il fallut aller chercher une autre bouteille de vodka.

Nous rîmes un bon moment là-dessus, et le blond riait plus fort que les autres, mais ensuite, brusquement, il devint triste, et complètement imperméable à la plaisanterie.

Le jour nous retrouva au Salon du livre (…) Le liquide versé, peu à peu dans notre estomac, clapotait, se frayait un chemin vers nos yeux encore clairs.

Les tournées successives avaient quelque peu ébranlé nos organismes et, le soir venu, nous n’avions de force que pour une bouteille de cognac, qui faucha rapidement les deux jeunes écrivains que nous étions. La nuit fut fraîche, et je me réveillai en nage. Ma sueur sentait terriblement l’alcool.

Le blond et moi étions en train de dépenser notre argent en oreilles de porc et en boissons fortes. Les oreilles craquaient sous la dent.
(Des chaussures pleines de vodka chaude)

Nous - c’est-à-dire ma grande et tendre famille - nous arrachions les pommes de terre. Je me souviens jusqu’à présent de ce bruit joyeux qu’elles faisaient quand elles tombaient dans le fond du seau (…) Le temps était ensoleillé, mais cette lumière était déjà celle du mois d’août, celle du déclin lent et doré comme le miel.

Et comme il était doux de se comporter envers sa femme, comme si elle était votre propre fille, et de lui dire : « Ma petite fille, ma petite fille chérie ». On a alors, à l’intérieur de soi, une pitié débordante, suffocante. Tout est alors accueilli et compris avec infiniment plus de facilité.
(La grand-mère, les guêpes et la pastèque)

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