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lundi 3 février 2020

"Moby Dick" de Herman Melville (1851)


Aucun homme ne peut avoir aussi bien conscience de sa propre réalité qu’en ayant les yeux fermés ; comme si, en vérité, l’obscurité était la chose la plus propice à l’essence de notre être ; la lumière, elle, étant surtout utile à notre corps de terre.

[…] peut-être aussi que des bancs étaient apparus au fond de l’horizon, mais ce gars distrait ne les avait pas vus. Bercés dans un état de rêverie inconsciente, indifférent à tout, il avait perdu son identité dans la cadence des vagues opiacées et de ses pensées. Il prenait l’océan mystique à ses pieds pour l’image bleue de l’âme profonde de l’univers, humanité et nature mêlées [….] Dans cet état d’enchantement, l’esprit se retire dans le grand tout, se dissout dans le temps et l’espace […] Il n’y a nulle vie en vous sauf ce mouvement de balance que donne le bateau roulant doucement, qu’il prend à la mer et que la mer prend au flux insondable de Dieu. Mais dans cet état de sommeil, de rêve, bougez d’un pouce votre main ou votre pied, lâchez prise un tant soit peu et, avec épouvante, votre identité vous revient. Vous planez au-dessus des tourbillons des cartésiens.

La sorte d’humeur fantasque dont je parle s’empare d’un homme seulement aux moments extrêmes de la tribulation ; elle apparaît au beau milieu de son ardeur et fait que ce qui, l’instant d’avant, avait une énorme importance, lui semble  tout à coup n’être qu’une partie de la farce. Il n’y a rien comme les périls de la chasse à la baleine pour faire naître ce genre de philosophie géniale et de désespoir sans façons.

Après l’accomplissement de cette cérémonie (testament), je me sentais soulagé ; un poids de moins me pesait sur le cœur. Chaque jour que je vivrais désormais me serait aussi bon à vivre que ceux vécus par Lazare après sa résurrection […] Je regardais tout autour de moi avec tranquillité et contentement, comme si j’avais été un revenant calme, à conscience propre, assis  l’intérieur d’un confortable tombeau de famille.

Il n’y a que de grandes peines et de petits gains pour ceux qui demandent au monde de leur donner l’explication de tout.

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