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lundi 6 janvier 2020

"Professeur de désir" de Philip Roth (1977)


Le succès auprès des inconnus, m’explique Baumgarten, réside dans le fait de ne jamais leur poser des questions dont la réponse exige réflexion et de prêter la plus grande attention à cette réponse, si banale soit-elle. « Rappelle-toi ton James, Kepesh – Dramatiser, dramatiser » Faire comprendre à ces gens, que ce qu’ils sont, d’où ils viennent, ce qu’ils portent est intéressant. En un certain sens, capital. Voilà la vraie compassion. Er je t’en prie, pas d’étalage d’ironie. Ton problème, c’est que tu les effarouches avec ta merveilleuse prédilection pour la complexité des choses. D’après mon expérience, la femme de la rue, la femme ordinaire, n’apprécie pas l’ironie, En fait, c’est l’ironie, qui la braque. Elle veut qu’on lui soit attentif ; elle veut être appréciée.

Pour Birgitta donc – pour ce que je préfère aujourd’hui oblitérer comme une « jeunesse prolongée et dévoyée » - le reflux d’un sentiment de perverse complicité, et pour Claire, pour cette femme aimante animée d’une vraie passion et qui m’a sauvé ? Irritation, déception, dégoût – mépris pour tout ce qu’elle fait si merveilleusement, rancœur à cause de ce petit geste auquel elle répugne. Je vois très bien ce qui me la rendrait insupportable. Les photos. Les listes. Cette bouche qui refuse de boire mon foutre. La commission d’examen des programmes. Tout.

Je pourrais feuilleter mon carnet d’adresses ou regarder par-dessus l’épaule de ma mère le registre des entrées au Hungarian Royale : Levy, Golschmidt, Sneider, Hirsch… les tombes s’alignent innombrables mais, seule, celle de Kafka paraît correctement entretenue – les autres morts n’ont pas de survivants assez proches pour venir couper la broussaille ou le lierre qui s’enlace autour des arbres et forme un dais serré joignant l’emplacement d’un Juif défunt à celui du suivant. Au seul célibataire sans enfant semble avoir été accordé le privilège d’une progéniture vivante. Où l’ironie peut-elle mieux fleurir que sur la tombe de Franze Kafky ?

Et jusqu’à ce que la mort nous sépare – la terrible proximité et la terrible distance existant entre mon père et moi vont se maintenir dans les mêmes proportions déroutantes qui les ont toujours caractérisées.

Ne vient-il pas un temps dans la vie où l’on cède au devoir, où on l’accueille en bienvenu comme l’on cédait autrefois au plaisir, à la passion, à l’aventure – un temps où le devoir est le plaisir plutôt que le plaisir un devoir…

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