Prenez
un mot de la langue. Choisissez-le de préférence assez long. Oubliez le sens,
pour ne vous attacher qu’à sa physionomie. Lentement, patiemment (ceci est un
jeu dominical), dévisagez votre vocable. Si la chance vous sourit, un mot
surgira dans votre esprit qui présente avec le premier quelque trait de
ressemblance. Alors commence l’opération délicate : il faut que ces deux
termes fusionnent, vous devez les croiser afin que naisse de cette union un
petit bâtard bizarre (puisqu’il ne se rencontre dans aucun dictionnaire vivant)
et familier (puisqu’on reconnaît en lui la présence des deux mots d’origine).
Il est des hybridations impossibles, mais, au cas où vous réussiriez,
dites-vous bien, gros balaise, que votre beau malaise a fait un mot-valise.
Mais
ne vous laissez pas étourdir. Le jeu continue. Cherchez maintenant une
définition à ce terme inédit. En mélangeant les significations des mots qui
sont enfermés dans votre valise, vous ferez advenir un sentiment compliqué, une
réticence impalpable, un animal chimérique, ou un concept fou. La réside le
vrai plaisir : vous qui n’êtres pas philosophe, vous inventez des
notions ; vous dont l’imaginaire est pauvre, vous engendrez des amorces
d’histoires auxquelles vous n’aviez jamais rêvé, et vous fabriquez des
fantasmes qui ne sont même pas à vous ; vous qui pratiquez d’habitude une
psychologie rudimentaire, vous dévoilez, sans le faire exprès, des subtilités
affectives, à faire pâlir d’envie Dostoïevski lui-même ; vous, enfin, qui
affectionnez les tout petits vertiges, vous vous sentez perdre pied : à la
faveur d’un balbutiement, votre univers mental vacille, et des objets impensables
naissent d’être nommés.
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