Non
pas que je me fasse des illusions, tu n’entends pas grand chose, Willie, à Dieu
ne plaise. Des jours peut-être où tu n’entends rien. Mais d’autres où tu
réponds. De sorte que je peux me dire à chaque moment, même lorsque tu ne réponds
pas et n’entends peut-être rien, Winnie, il est des moments où tu te fais
entendre, tu ne parles pas toute seule tout à fait, c’est-à-dire dans le désert,
chose que je n’ai jamais pu supporter… à la longue. C’est ce qui me permet de
continuer, de continuer à parler s’entend. Tandis que si tu venais à mourir… le
vieux style !... ou à t’en aller en m’abandonnant, qu’est-ce que je
pourrais bien faire, toute la journée…
je veux dire depuis le moment où ça sonne, pour le réveil, jusqu’au moment où
ça sonne, pour le sommeil ? Simplement regarder droit devant moi, les
lèvres rentrées ?
Les
mots vous lâchent, il est des moments où même eux vous lâchent.
Hé
oui, si peu à dire, si peu à faire, et la crainte si forte, certains jours, de
se trouver… à bout, des heures devant soi, avant que ça sonne, pour le sommeil,
et plus rien à dire, plus rien à faire, que les jours passent, pour le sommeil,
et rien ou presque rien de dit, rien ou presque rien de fait. Voilà le danger.
Dont il faut se garer.
Je
prends cette petite glace, je la brise sur une pierre… je la jette loin de moi…
elle sera de nouveau là demain, dans le sac, sans une égratignure, pour m’aider
à tirer ma journée. Non, on ne peut rien faire.
Je
pensais autrefois… je dis, je pensais autrefois que j’apprendrais à parler
toute seule. Je veux dire à moi-même le désert. Mais non. Non non. Donc tu es
là. Oh tu dois être mort, oui, sans doute, comme les autres, tu as dû mourir,
ou partir, en m’abandonnant, comme les autres, ça ne fait rien, tu es là.
Autrefois…
maintenant… comme c’est dur, pour l’esprit.
Il y
a si peu qu’on puisse dire. On dit tout. Tout ce qu’on peut. Et pas un mot de
vrai nulle part.
Que
ferais-je sans eux, quand les mots me lâchent ? Regarder devant moi, les
lèvres rentrées ? Je ne peux pas. Ah oui, de grandes bontés, de grande
bontés. Quelquefois j’entends des bruits. Mais pas souvent. Je les bénis, je
bénis les bruits, ils m’aident à… tirer ma journée. Le vieux style ! Oui,
ce sont des beaux jours, les jours où il y a des bruits.
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