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mercredi 29 janvier 2020

"Lunes de fiel" de Pascal Bruckner (1981)


Les vraies rencontres nous jettent hors de nous-mêmes, nous mettent en état de transe, de création permanente.

La séparation est une anticipation de la rupture puisqu’elle nous apprivoise à l’idée qu’on peut vivre sans l’autre.

L’amour c’est évidemment deux solitudes qui s’accouplent pour créer un malentendu.

Je devais avoir des yeux d’halluciné ; par ces orifices d’où me venait tout un monde d’outrances, je sentais la proximité d’appétits monstrueux, un appel obscur vers les matières enfouies sous le cuir chaud, et je crois que machinalement j’ouvrais la bouche et salivais. Si des relents d’aversion refluaient à mon cerveau, je les chassais en pensant aux fleurs noires qui s’épanouissaient dans les intestins de ma maîtresse, à toute cette nuit dont elle allait me gratifier en de fabuleux bouquets. Il y eut quelque chose d’effrayant quand l’œil aveugle de son cul s’ouvrit démesurément pour vomir soudain, telle une flèche molle, un étron gigantesque. Un instant, j’eus le sentiment, comique à vrai dire, que son derrière me tirait la langue, qu’un petit bonhomme me faisait un pied de nez, puis la chose me tomba sur le menton avec un bruit mat et flasque. Je portai à mes lèvres un fragment de ce fromage d’immondices qui s’égouttait dans mon cou, c’était chaud, visqueux, infâme, j’étais écœuré, mais sauvé, j’avais franchi le pas, surmonté ma peur, je m’étais colleté à cette morve noirâtre et puante.

Bref, à partir de ce jour, je devins le pot de chambre de Rebecca, ses latrines, son tout-à-l’égout, son sol d’épandage, ses sentines, sa tinette : au moindre besoin, elle déversait dans ma bouche l’abondance de ses entrailles bien nourries. Souffleté par ses mains, éventé par ses pets, arrosé de ses pluies, engraissé par ses déjections, je devins le gardien de son entrejambe, l’observateur bienveillant de ses entrailles.

Alors évoquons ces heureux souvenirs : les centaines de repas pris ensemble dans des centaines de restaurants, d’hôtels, d’auberges, de snacks, les centaines d’eaux minérales et de bouteille de vin bues ensemble, les centaines de plats commandés, de recettes, de cafés dégustés. Les voilà nos souvenirs : un gigantesque menu, un almanach de Gault et Millau ! Beau palmarès pour une vie !

… le couple qui, au sortir de l’adolescence, prolonge la chaleur et la sécurité de la famille.

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