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jeudi 30 janvier 2020

"La généalogie de la morale" de Friedrich Nietzsche (1887)


… les expressions du « bon » dans les diverses langues : j’ai trouvé qu’ils renvoient tous à la même transformation des concepts, que partout « distingué », « noble », au sens du rang social, est le concept fondamental d’où naissent et se développent nécessairement les idées de « bon » au sens « d’âme distinguée » et de « noble » au sens « d’âme supérieure », « d’âme privilégiée ». Cette évolution se fait parallèlement à celle qui finit par transformer les idées de « commun », « populacier », « bas », en celle de « mauvais ».

… les Juifs, ce peuple sacerdotal qui ne put en définitive avoir raison auprès de ses ennemis et de ses vainqueurs que par le total renversement de leurs valeurs, donc par l’acte de vengeance intellectuel par excellence. C’était là la seule issue qui convînt à un peuple de prêtres […] Ce sont les Juifs qui, avec une effrayante logique, osèrent retourner l’équation des valeurs aristocratiques (bas=noble=beau=heureux=aimé des dieux) et qui ont maintenu ce retournement avec la ténacité d’une haine sans fond (la haine de l’impuissance).

… avec les Juifs avait commencé la révolte des esclaves dans la morale : révolte qui a une histoire de deux mille ans derrière elle et que nous perdons aujourd’hui de vue pour cette seule raison – qu’elle a remporté la victoire.

Alors que toute la morale aristocratique naît d’un oui triomphant adressé à soi-même, de prime abord la morale des esclaves dit non à un « dehors », à un « autre », à un « différent-de-soi-même », et ce non est son acte créateur.

C’est dans cette sphère, celle du droit des obligations, que se trouve le foyer d’origine du monde des concepts moraux, « faute », « conscience », « devoir », « caractère sacré du devoir » - il a été à son début longuement et abondamment arrosé de sang comme l’ont été à leur début toutes les grandes choses sur terre.

Ce qui révolte dans la souffrance ce n’est pas la souffrance en soi, mais le non-sens de la souffrance…

Plus la puissance et la conscience de soi d’une communauté augmentent, plus le droit pénal s’adoucit…

… la cause de la naissance d’une chose se distingue toto coelo de son utilité, de son application effective et de son classement dans un système […]

Tout but, toute utilité ne sont cependant que des symptômes indiquant qu’une volonté de puissance s’est emparée de quelque chose de moins puissant qu’elle et lui a, de son propre chef, imprimé le sens d’une fonction…

… un progrès véritable : lequel prend toujours forme de volonté et de voie vers plus de puissance et s’accomplit toujours aux dépens d’un grand nombre de puissances mineures.

… on met au premier plan l’« adaptation », c’est-à-dire une activité secondaire, une simple réactivité, on en vient à définir la vie même comme une adaptation interne, toujours plus adéquate, à des circonstances extérieures. C’est ainsi que l’on méconnaît la nature de la vie, sa volonté de puissance.

(…) l’homme souffrant de l’homme, de soi-même : conséquence d’une séparation violente avec son passé animal, d’un saut, d’une chute dans un nouvel état, dans de nouvelles conditions d’existence, d’une déclaration de guerre contre les anciens instincts sur lesquels s’étaient appuyés jusqu’alors sa force, son plaisir et ce qu’il avait de redoutable.

Cette secrète violation de soi-même, cette cruauté d’artiste, ce plaisir de se donner à soi-même une forme comme on ferait d’une matière difficile, récalcitrante, souffrante de se marquer au fer d’une volonté […] toute cette « mauvaise conscience » active, véritable matrice de phénomènes idéaux et imaginaires, a fini par produire au grand jour une foison d’affirmations et de beautés nouvelles et étranges et peut-être, pour la première fois, la beauté elle-même.

Il n’y a de vision que perspective, il n’y a de « connaissance » que perspective ; et plus nous laissons de sentiments entrer en jeu à propos d’une chose, plus nous savons engager d’yeux, d’yeux différents pour cette chose, plus notre « concept » de cette chose, notre « objectivité » sera complète.

… par nécessité naturelle les forts ont tendance à se séparer autant que les faibles ont tendance à s’unir, si les uns s’associent ce n’est qu’en vue d’une action agressive commune, d’une satisfaction commune de leur volonté de puissance, et non sans avoir à surmonter individuellement de grandes répugnances ; les faibles au contraire, en s’associant, prennent plaisir précisément à cette association…

Science et idéal ascétique […] reposent tous deux sur un seul terrain : sur la même surestimation de la vérité.

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