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jeudi 16 janvier 2020

"Le combat de Jacob" de Marie-Dominique Molinié (1967)


… Il faut être juif, c’est-à-dire adorateur, avant d’être chrétien, c’est-à-dire ami et fils.

… l’histoire du peuple juif reste le modèle absolu de toute initiation à l’amour de Dieu.

La religion hindoue s’est élevée à une notion de Dieu aussi pure et aussi transcendante – plus même, diront certains - que celle d’Abraham. Ce qui manque pourtant à cette religion pour former de véritables adorateurs (quoi qu’il en soit de la vie religieuse des hindous : nous ne considérons ici que la doctrine), ce n’est pas le sens de Dieu, c’est celui de la créature, de sa consistance, de son prix… et par conséquent le sens de l’adoration comme dialogue avec le Créateur, infiniment précieux aux yeux du Créateur lui-même.

Israël en effet eût été incapable de comprendre comment Dieu nous aime si cet amour ne lui avait été présenté comme un amour de choix, un amour qui tranche avec celui que nous pouvons prêter spontanément à Dieu ou aux dieux. Il fallait que ce peuple, et par lui tout le genre humain, fût initié à la notion difficilement assimilable d’un amour extraordinaire pesant sur lui, et cette initiation réclamait pratiquement que fût souligné le contraste entre cet amour extraordinaire et la bienveillance ordinaire de la Providence à l’égard des autres peuples.

Ce qu’Israël ne pouvait pas soupçonner (…) c’est qu’une telle prédilection concerne finalement tous les hommes. L’eût-il su qu’il eût infailliblement dissous cet amour dans une notion plus vague et plus universelle de la bienveillance divine.
Avant de révéler qu’Il aime tous les hommes de cette manière-là, Dieu devait d’abord préciser cette « manière » en ce qu’elle a de plus précieux et de plus insoupçonnable pour nous.
Tel est le rôle de la révélation trinitaire.

Celui qui a révélé son Amour a tout dit, même s’il se cache encore : on n’a pas besoin d’en savoir davantage, puisque par cet aveu l’être s’est donné tout entier. Les dévoilements ultérieurs ne seront qu’une prise de possession progressive de ce qui appartient déjà virtuellement au destinataire.

(…) pour avoir le désir efficace d’aimer les autres, il faut être décentré, projeté hors de soi par l’amour de Dieu.

Les égoïstes rétrécissent fatalement les ambitions de leur cœur, et sacrifient progressivement la joie de vivre à l’entretien d’un confort de plus en plus négatif et mesquin, débouchant finalement dans une sorte d’euthanasie :
« -Dormir, dormir, rêver peut-être… » (Hamlet)
C’est encore un paradoxe étrange, mais combien confirmé par l’expérience, que seuls ceux qui se donnent savent jouir et convoiter, précisément parce que la vraie vie comporte des risques perpétuels qu’on n’a pas la force d’affronter si l’on passe son temps à protéger son bien-être contre l’invasion des autres.

Jésus n’est pas venu apporter la paix, mais la division, c’est-à-dire un début de jugement, de séparation entre ceux qui aiment et ceux qui ne veulent pas aimer (et à l’intérieur de nous-mêmes, entre les forces qui aiment et celles qui n’aiment pas). « Si quelqu’un ne hait pas son père, sa mère et même sa propre vie… » jugement prononcé, comme il le sera toujours, par ceux-là mêmes qui décident d’aimer ou de ne pas aimer.

… c’est déjà beaucoup de regarder cette folie comme la sagesse inévitable et inexorable de l’amour, et d’avouer qu’en dehors de cette folie nous sommes en dehors de l’amour.

L’état mystique ici-bas est essentiellement un état de désir et de désolation […] « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il se renonce, qu’il porte sa croix chaque jour et qu’il me suive ». (Luc, 9, 23). La croix quotidienne, c’est la vie mystique elle-même.

[…] Le sentiment de l’absence de Dieu…

[Un chrétien] ne prie pas pour modifier la volonté de Dieu […], mais pour accomplir sa visée la plus profonde qui est justement de dialoguer avec nous […] Dès qu’une prière échappe à la routine ou à l’obsession d’un pur résultat temporel, dès qu’elle essaie de se mettre en face du Christ comme quelqu’un en face de Quelqu’un, elle est contemplative…
Que signifie alors pour un chrétien aimer les autres ? C’est désirer pour eux ce dialogue comme il le désire pour lui.

Et quiconque n’agit pas ainsi, quiconque dépense ses forces sans donner sa substance même et sans accepter de se livrer dans un dialogue éternel dès ici-bas… celui-là n’est pas chrétien ou du moins n’agit pas en chrétien.

(…) le tourment des poètes n’est rien d’autre que de retrouver cet émerveillement, si facilement et définitivement perdu par les adultes.

Les adultes perdent la joie, mais la vraie tristesse du monde leur est aussi cachée que sa beauté.

Devenir enfant, c’est aussi accepter de perdre pied. On n’entre pas dans la lumière de Dieu sans faire naufrage.

Si la délicatesse de Dieu permet vraiment à notre liberté de lui dire non, elle lui permet de le dire pour toujours.

… il y a aussi une résistance vraiment dangereuse parce que vraiment efficace, celle qui consiste au fond à refuser le combat […] en esquivant la rencontre : c’est devant cette dérobade invincible que Dieu s’incline lorsqu’Il renonce à nous sauver.

Dieu seul sait vraiment où est notre point faible, cette articulation de la hanche où il doit frapper pour que petit à petit nous devenions infirmes…

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