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dimanche 26 janvier 2020

"La chambre claire" de Roland Barthes (1980)


(…) il me semblait que le mot le plus juste pour désigner […] l’attrait que certaines photos exercent sur moi, c’était celui d’aventure. Telle photo m’advient, telle autre non.

La photo elle-même n’est en rien animée […] mais elle m’anime : c’est ce que fait toute aventure.

(…) le studium, qui ne veut pas dire […] l’ « étude », mais l’application à une chose, le goût pour quelqu’un, une sorte d’investissement général, empressé, certes, mais sans acuité particulière.

[…] Le second élément vient casser (ou scander) le studium. Cette fois, ce n’est pas moi qui vais le chercher […] c’est lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer.

Le studium est de l’ordre du « to like », et non du « to love » ; il mobilise un demi-désir, un demi-vouloir.

Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne).

On connaît le rapport originel du théâtre et du culte des Morts : les premiers acteurs se détachaient de la communauté en jouant le rôle des Morts : se grimer, c’était se désigner comme un corps à la fois vivant et mort : buste blanchi du théâtre totémique, homme au visage peint du théâtre chinois, maquillage à base de pâte de riz du Katha Kali indien, masque du Nô japonais.

Pour moi, les photographies de paysages (urbains ou campagnards) doivent être habitables, et non visitables. Ce désir d’habitation […] est fantasmatique, et relève d’une sorte de voyance qui semble me porter en avant, vers un temps utopique, ou me reporter en arrière, je ne sais où de moi-même : double mouvement que Baudelaire a chanté dans L’Invitation au Voyage et La Vie Antérieure. Devant ces paysages de prédilection, tout se passe comme si j’étais sûr d’y avoir été ou de devoir y aller.

La voyance du Photographe ne consiste pas à « voir » mais à se trouver là.

La Photographie peut être en effet un art : lorsqu’il n’y a plus en elle aucune folie, lorsque son noème est oublié et que par conséquent son essence n’agit plus sur moi.

Voyez les Etats-Unis : tout s’y transforme en images : il n’existe, ne se produit et ne se consomme que des images. Exemple extrême : entrez dans une boîte porno de New York ; vous n’y trouverez pas le vice, mais seulement ses tableaux vivants […] la jouissance passe par l’image : voilà la grande mutation.

Regardez une photographie d’Avedon : vous y verrez en action le paradoxe de tout grand art, de tout art de grande race ; l’extrême fini de l’image ouvre à l’extrême infini de la contemplation, de la sidération […]
(…) cet art réaliste est aussi un art fantastique.
(…) tout d’abord, le vrai, la vérité, la sensation de vérité, l’exclamation de vérité (« comme c’est vrai ! »).

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