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lundi 13 janvier 2020

"Apologie de Socrate" de Platon (IVè s. av. J.-C)


Après les hommes d’Etat, j’allais trouver les poètes, auteurs de tragédies, auteurs de dithyrambes et autres, comptant bien que cette fois j’allais prendre sur le fait l’infériorité de ma sagesse à l’égard de la leur. Je pris donc, avec moi ceux de leurs ouvrages qu’ils me paraissaient avoir le plus travaillés et je leur demandai ce qu’ils voulaient dire, afin de m’instruire en même temps auprès d’eux. Or j’ai honte, Athéniens, de vous dire la vérité. Il le faut pourtant. Eh bien, tous ceux qui étaient là présents ou peu s’en faut, auraient mieux parlé de leurs poèmes qu’eux-mêmes qui les avaient fait. Je reconnus donc bien vite que les poètes aussi ne sont point guidés dans leurs créations par la science, mais par une sorte d’instinct et par une inspiration divine, de même que les devins et les prophètes, qui, eux aussi, disent beaucoup de belles choses mais sans se rendre compte de ce qu’ils disent. Les poètes me parurent être à peu près dans le même cas. Et je m’aperçus en même temps qu’à cause de leur talent poétique, ils se croyaient sur tout le reste les plus sages des hommes, ce qu’ils n’étaient pas du tout.

Mais il y a bien des chances, juges, que le dieu soit réellement sage et que par cet oracle il veuille dire que la sagesse humaine n’est pas grand chose ou même qu’elle n’est rien. Et s’il a nommé Socrate, il semble bien qu’il ne s’est servi de mon nom que pour me prendre comme exemple. C’est comme s’il disait. « Le plus sage d’entre vous, hommes, c’est celui qui a reconnu comme Socrate que sa sagesse n’est rien ».

Car craindre la mort, Athéniens, ce n’est pas autre chose que de se croire sage, alors qu’on ne l’est pas, puisque c’est croire qu’on sait ce qu’on ne sait pas. Personne, en effet, ne sait ce qu’est la mort et si elle n’est pas justement pour l’homme le plus grand des biens, et on la craint, comme si l’on était sûr que c’est le plus grand des maux.

Je crains donc les maux que je connais pour tels ; mais les choses dont je ne sais si elles ne sont pas des biens, jamais je ne les craindrai ni ne les fuirai.

Car sachez-le bien, Athéniens, si, dès ma jeunesse, je m’étais mêlé des affaires publiques, je serais mort dès ma jeunesse, et je n’aurais rendu aucun service ni à vous, ni à moi-même. Et ne vous fâchez pas contre moi si je vous dis la vérité : il n’est personne qui puisse sauver sa vie s’il oppose bravement à vous ou à toute autre assemblée populaire, et s’il veut empêcher qu’il ne se commette beaucoup d’injustices et d’illégalités dans l’Etat. Il faut absolument quand on veut combattre réellement pour la justice et si l’on veut vivre quelque temps, se confiner dans la vie privée et ne pas aborder la vie publique.

Car ni dans les tribunaux, ni à la guerre, personne, ni moi, ni un autre, n’a le droit de chercher à se dérober à la mort par tous les moyens.

De même, dans toute espèce de dangers, on trouve mille autres expédients pour échapper à la mort, si l’on est décidé à tout faire et à tout dire. Seulement ce n’est peut-être pas cela qui est difficile, Athéniens, d’éviter la mort : il l’est beaucoup plus d’éviter le mal ; car il court plus vite que la mort.

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