C’était
le premier être vivant que Robinson avait rencontré sur l’île. Il l’avait tué.
La
nudité est un luxe que seul l’homme chaudement entouré par la multitude de ses semblables
peut s’offrir sans danger.
Il
s’avisa ainsi qu’autrui est pour nous un puissant facteur de distraction, non
seulement parce qu’il nous dérange sans cesse et nous arrache à notre pensée
actuelle, mais aussi parce que la seule possibilité de sa survenue jette une
vague lueur sur un univers d’objets situés en marge de notre attention, mais
capable à tout instant d’en devenir le centre.
Le
sommeil est une expérience authentique et comme la répétition générale de la
mort. De tout ce qui peut arriver au dormeur, l’éveil est certainement ce à
quoi il s’attend le moins, ce à quoi il est le moins préparé. Aucun cauchemar
ne le choque comme ce brusque passage à la lumière, à une autre lumière.
Exister,
qu’est-ce-que ça veut dire ? Ça veut dire être dehors, sistere ex.
Ce qui est à l’extérieur existe. Ce qui est à l’intérieur n’existe pas. Mes
idées, mes images, mes rêves n’existent pas (…) Ce
qui complique tout, c’est que ce qui n’existe pas s’acharne à faire croire le
contraire (…) Ce
qui n’ex-siste pas in-siste. Insiste pour exister. Tout ce petit monde se
pousse à la porte du grand, du vrai monde. Et c’est autrui qui en tient la
clef.
Procréer,
c’est susciter la génération suivante qui innocemment, mais inexorablement,
repousse la précédente vers le néant. A
peine les parents ont-ils cessé d’être indispensables, qu’ils deviennent
importuns (…) Dès
lors, il est bien vrai que l’instinct qui incline les sexes l’un vers l’autre
est un instinct de mort. Aussi bien la nature a-t-elle cru devoir cacher son
jeu, pourtant transparent. C’est apparemment un plaisir égoïste que poursuivent
les amants, alors même qu’ils marchent dans la voie de l’abnégation la plus
folle.
Revenues
à l’état sauvage, les chèvres ne vivaient plus dans l’anarchie à laquelle la
domestication par l’homme contraint les bêtes. Elles s’étaient groupées en
troupeaux hiérarchisés que commandaient les boucs les plus forts et les plus
sages.
Ainsi
étais-je amené par tâtonnements successifs à chercher mon salut dans la
communion avec des éléments, étant devenu moi-même élémentaire.
Pour
Robinson le mal était bien plus profond. Il le dénonçait par-devers lui-même
dans l’irrémédiable relativité des fins qu’il les voyait tous poursuivre
fiévreusement. Car ce qu’ils avaient tous en but, c’était telle acquisition,
telle richesse, telle satisfaction, mais pourquoi cette acquisition, cette
richesse, cette satisfaction ? Certes aucun n’aurait su le dire. Et
Robinson imaginait sans cesse le dialogue qui finirait bien par l’opposer à
l’un de ces hommes, le commandant par exemple. « Pourquoi
vis-tu ? » lui demanderait-il.
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