Celui
qui aime le plus est le plus faible, et doit souffrir.
Il
avait une façon d’enfant gâté et sûr de soi de proclamer ses sympathies et ses
aversions, de daigner pour ainsi dire les distribuer…
Mais
quoi qu’il sût parfaitement que l’amour […] détruisait la paix de l’âme et
remplissait le cœur de mélodies, sans qu’il fût possible de trouver le repos
nécessaire pour leur donner une forme précise et créer dans le calme une œuvre
achevée, il l’accueillit tout de même avec joie, s’abandonna tout entier à lui,
et le nourrit avec toutes les forces de son âme, car il savait que l’amour rend
riche et vivant, et il aspirait à être riche et vivant plutôt qu’à créer dans
le calme une œuvre achevée.
Car
le bonheur, se disait-il, n’est pas d’être aimé : il n’y a là qu’une
satisfaction de vanité, mêlée de dégoût. Le bonheur est d’aimer et peut-être
d’attraper ça et là de petits instants où l’on a l’illusion d’être proche de la
personne aimée.
Il
travaillait en silence, enfermé chez lui, invisible et plein de mépris pour les
petits écrivains dont le talent n’était qu’une parure de société, et qui […]
ignoraient que les bonnes œuvres ne naissent que sous la pression d’une vie
mauvaise, que celui qui vit ne travaille pas, et qu’il faut être mort pour être
tout à fait créateur.
Quant
à l’ « expression », il s’agit peut-être moins là d’une
libération que d’un moyen de refroidir, de glacer le sentiment.
Nous
autres artistes ne méprisons personne plus complètement que le dilettante,
l’homme vivant qui s’imagine pouvoir être par-dessus le marché, à l’occasion,
un artiste.
Tonio
Kröger se tenait debout, enveloppé par le bruissement du vent, absorbé dans ce
fracas fatiguant, étourdissant, continuel qu’il aimait tant. S’il se détournait
et s’en allait, tout semblait soudain devenir tranquille et chaud autour de
lui. Mais il savait qu’il avait la mer derrière lui ; il entendait son
appel, son salut, sa promesse. Et il souriait.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire