Toute
la vie du bon Chrétien consiste en un désir de sainteté. Par le désir, tu te
dilates afin que tu puisses ensuite, être rempli, quand tu parviendras à la
vision. Dieu, par l'attente, élargit notre désir, par le désir, il élargit
notre âme et en la dilatant, il la rend plus capable. Vivons de désir, ô frères,
puisque nous devons être remplis.
Etrange corruption de l’âme, ô mon Dieu, qui, se détachant de vous dont la fermeté immobile est son unique soutien, devient ensuite si aveugle et si déréglée, qu’elle ne fait pas seulement pour satisfaire sa passion des choses honteuses et infâmes, mais qu’elle trouve sa propre satisfaction dans sa honte même et son infamie.
Malheureux que j’étais ! Je ne considérais pas qu’au milieu même de toutes les voluptés charnelles, je n’eusse pu vivre heureux si j’eusse été sans amis, et des amis que je n’aimais nullement par intérêt, et que j’étais assuré qui m’aimaient de la même sorte.
De plus le démon se servait de moi pour séduire Alipe. Car ayant une opinion avantageuse de moi, il admirait que je fusse tellement attaché à ce plaisir bas et sensuel (…) Son esprit, qui était libre de ce joug, s’étonnait de ma servitude, et cet étonnement le portait à vouloir éprouver si ce qui me semblait si désirable l’était en effet autant que je me le figurais, ne considérant pas que par cette expérience qu’il voulait faire, il tomberait peut-être dans la même servitude qui était la cause de son étonnement, parce qu’il voulait faire alliance avec la mort, et que, selon la parole de l’Ecriture : « Celui qui aime le péril se perdra dans le péril. » Car ni lui ni moi n’étions que fort légèrement touchés du désir de conduire avec sagesse une famille, de bien vivre avec une femme, et d’élever des enfant en l’amour et en la crainte de Dieu, qui est tout ce qu’il peut y avoir de recommandable dans le mariage. Pour moi, je n’étais poussé que par le désir de satisfaire cette passion brutale qui n’était jamais satisfaite, et qui m’accablait depuis si longtemps sous la pesanteur de ses chaînes ; et, pour lui, l’étonnement de me voir esclave le portait à se rendre esclave aussi bien que moi.
Où étais-je donc quand je vous cherchais ? Vous étiez présent devant moi, et j’étais éloigné et comme absent de moi-même, et je n’avais garde ainsi de vous trouver, puisque je ne pouvais pas me trouver moi-même.
(…) le mal qui m’était tourné en habitude ayant plus de pouvoir sur moi que le bien, auquel je n’étais pas accoutumé. Et plus le moment de ma conversion approchait, plus je sentais ma frayeur se redoubler.
De même je ne doutais plus qu’il ne valût mieux me jeter entre les bras de votre amour, que de me laisser emporter à ma passion déréglée. Mais j’approuvais l’un, et je suivais l’autre ; l’un était victorieux dans mon esprit, et l’autre tenait encore ma volonté dans ses chaînes.
Où es-tu, ma langue, toi qui disais que tu ne voulais pas te décharger du fardeau de la vanité, pour suivre une vérité qui ne t’était point connue ? Elle t’est connue maintenant, et néanmoins ce fardeau t’accable encore ; au lieu que d’autres qui ne sont pas tant tourmentés que toi pour chercher la vérité, et qui n’y ont pas employé l’étude de dix années et davantage, se sont non seulement déchargés de ce pesant poids, mais ont pris des ailes pour s’envoler vers le ciel.
[Ma mère] obéit comme à son maître au mari qui lui fut donné, et travailla de tout son pouvoir pour vous l’acquérir, ô mon Dieu (…) Elle souffrit ses infidélités avec tant de douceur et de patience, qu’elle ne lui en fit jamais de reproches : car elle attendait l’effusion de votre miséricorde sur lui, et que venant à croire en vous, la grâce du saint baptême le rendit chaste. [Elle suivait en cela l’exemple de ses sœurs chrétiennes qui,] dès le moment qu’elles avaient entendu lire leur contrat de mariage, elles l’avaient dû considérer comme un titre qui les rendait servantes de leurs maris, et qu’ainsi se souvenant de leur condition, elles ne devaient pas s’élever contre leurs maîtres.
Mais lorsque pour satisfaire à son propre mouvement et à ma prière tout ensemble, [ma mère] vous demandait sans cesse et du plus profond de son cœur, qu’il vous plût de lui faire connaître en songe quelque chose de mon mariage à venir, vous ne voulûtes jamais le lui accorder. Elle voyait seulement quelques images vaines et fantastiques causées par les efforts continuels de son esprit dans la violente application qu’elle avait à cette pensée. Elle me les racontait avec mépris, et non avec la foi qu’elle avait accoutumé d’ajouter aux choses que vous lui faisiez connaître. Sur quoi elle me disait qu’elle discernait aisément, par une certaine douceur qui ne se peut exprimer par des paroles, ce que vous daigniez lui révéler durant son sommeil, d’avec ce que son imagination lui représentait dans ses songes.
« Jusques à quand,
jusques à quand remettrai-je toujours au lendemain ? Pourquoi ne sera-ce
pas tout à cette heure ? Pourquoi mes ordures et mes saletés ne
finiront-elles pas dès ce moment ? »
Comme je parlais de la
sorte, et pleurais très amèrement dans une profonde affliction de mon cœur,
j’entendis sortir de la maison la plus proche une voix comme d’un jeune garçon
ou d’une fille qui disait et répétait souvent en chantant : « Prenez
et lisez, prenez et lisez » (…) j’arrêtai le cours de mes larmes, et me
levai sans pouvoir penser autre chose, sinon que Dieu me commandait d’ouvrir le
livre des épîtres de saint Paul, et de lire le premier endroit que je
trouverais (…) Je n’en voulus pas lire davantage, et aussi n’en était-il pas
besoin, puisque je n’eus pas plus tôt achevé de lire ce peu de lignes, qu’il se
répandit dans mon cœur comme une lumière qui le mit dans un plein repos, et
dissipa les ténèbres de mes doutes.
(…) nous sommes trop faibles de nous-mêmes pour trouver
la vérité par des raisons claires et évidentes, et (que) pour cet effet nous
avons besoin de l’autorité des livres divins.
Car ils ne cherchent pas avec une piété religieuse quel est l’auteur de cet esprit avec lequel ils cherchent les choses.
Mais où êtes-vous montés lorsque vous vous êtes élevés au-dessus de vous-mêmes par l’enflure de l’orgueil, et avez porté vos têtes jusque dans le ciel ? C’est de là que vous devez descendre par l’humilité, afin de monter ensuite, et de monter vers Dieu ; puisqu’en vous élevant contre lui, vous n’étiez pas montés vers lui, mais tombés dans le fond d’un précipice.
Attache-toi
désormais à la vérité. Remets en ses mains ce que tu as reçu de ses mains. Tu
conserveras tout en le rendant dépositaire de tout. Et de plus, tes plaies se
refermeront ; toutes tes langueurs se guériront ; tes défauts se
réformeront ; ta force se renouvellera ; les choses qui en toi sont
sujettes à l’inconstance et au changement ne s’écouleront point hors de
toi ; elles ne te porteront point en bas vers le néant où elles
tendent : mais elles seront immobiles avec toi ; étant appuyées sur
celui qui est toujours le même, et incapable de changer jamais.
Seigneur, exaucez ma prière, afin que je ne succombe point sous les châtiment de votre sévérité paternelle, et que je ne cesse jamais de vous rendre des actions de grâces pour cette infinie miséricorde par laquelle vous m’avez tiré de tous mes dérèglements. Faites, s’il vous plaît, que je trouve en vous un plaisir et une douceur qui passe sans comparaison tous ces faux plaisirs dont j’étais esclave, que je vous aime d’un amour ferme et inébranlable, et que je me tienne toujours à votre main toute-puissante, m’y attachant avec toutes les forces de mon cœur et de mon âme, afin que vous me préserviez de toutes sortes de tentations jusqu’à la fin de ma vie.
Seigneur, exaucez ma prière, afin que je ne succombe point sous les châtiment de votre sévérité paternelle, et que je ne cesse jamais de vous rendre des actions de grâces pour cette infinie miséricorde par laquelle vous m’avez tiré de tous mes dérèglements. Faites, s’il vous plaît, que je trouve en vous un plaisir et une douceur qui passe sans comparaison tous ces faux plaisirs dont j’étais esclave, que je vous aime d’un amour ferme et inébranlable, et que je me tienne toujours à votre main toute-puissante, m’y attachant avec toutes les forces de mon cœur et de mon âme, afin que vous me préserviez de toutes sortes de tentations jusqu’à la fin de ma vie.
Seigneur, bienheureux celui qui vous aime, et qui aime son ami en vous, et son ennemi pour l’amour de vous ; car celui-là seul ne perd aucun de ses amis qui n’en aime aucun qu’en celui qui ne se peut jamais perdre (…) Nul ne vous perd, Seigneur, que celui qui vous abandonne (…) de quelque côté que se tourne l’âme de l’homme, et quoi qu’elle recherche pour y trouver son repos, elle n’y trouve que des douleurs jusqu’à ce qu’elle se repose en vous, quoique les choses qu’elle recherche hors d’elle et hors de vous soient toutes belles, parce qu’elles sont vos créatures, qui ne seraient rien du tout si elles n’avaient reçu de vous tout ce qu’elles sont (…) parce que l’âme désirant naturellement de se reposer dans ce qu’elle aime, il est impossible qu’elle se repose dans ces choses passagères puisqu’elles n’ont point de substance, et qu’elles sont dans un flux et un mouvement perpétuel…
Celui qui connaît la vérité, connaît aussi cette lumière ; et celui qui connaît cette lumière, connaît aussi l’éternité ; et c’est la charité qui la fait connaître. Il n’y a point de véritable amitié que celle que vous formez, mon Dieu, entre ceux qui sont attachés à vous par cette charité que le Saint Esprit répand dans nos cœurs.
Que
si les corps te plaisent, ô mon âme, prends d’eux un sujet de louer Dieu, et
porte ton amour vers cet admirable ouvrier qui les a formés…
(…) lorsqu’un
homme en hait un autre, il se fait sans comparaison plus de mal par cette haine
que ne lui en pourrait faire l’ennemi le plus barbare ; et qu’il ne
saurait exercer tant de cruauté contre celui qu’il veut perdre, qu’il en exerce
contre lui-même par cette passion violente qui lui déchire le cœur.
L’amour
de Dieu est premier dans l’ordre du précepte, mais l’amour du prochain est
premier dans l’ordre de l’agir (…) Puisque
tu ne vois pas encore Dieu, c’est en aimant le prochain que tu purifies ton œil
pour voir Dieu…
(…) il y a
bien quelque douleur que l’on peut permettre, mais il n’y en a point que l’on
doive aimer.
Mais je voudrais que les
hommes considérassent attentivement en eux-mêmes ces trois choses, l’être, le
connaître et le vouloir. Je sais bien qu’elles sont très éloignées et très
différentes de la Sainte-Trinité : mais je les propose seulement afin
qu’ils s’exercent à les méditer (…) Car je suis, je connais et je veux. Je suis
ce qui connaît et ce qui veut ; je connais que je suis et que je
veux ; et je veux être et connaître.
Je voudrais qu’ils
considérassent comment notre âme est inséparable de ces trois choses, et
comment elles ne font toutes trois ensemble qu’une âme, une même vie et une
même nature intelligente et raisonnable ; et cependant il ne laisse pas
d’y avoir entre elles de la distinction, quoique cette distinction ne fasse pas
qu’elles puissent jamais être séparées.
… lui (…)
qui pour nous s’est offert à vous comme vainqueur et comme victime, et qui n’a
été vainqueur que parce qu’il a été victime ; qui pour nous s’est offert à
vous comme sacrificateur et sacrifice ; et qui n’a été sacrificateur que
parce qu’il a été sacrifice.
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