Nombre total de pages vues

vendredi 6 décembre 2019

"Les Confessions" de Saint Augustin (400)

Toute la vie du bon Chrétien consiste en un désir de sainteté. Par le désir, tu te dilates afin que tu puisses ensuite, être rempli, quand tu parviendras à la vision. Dieu, par l'attente, élargit notre désir, par le désir, il élargit notre âme et en la dilatant, il la rend plus capable. Vivons de désir, ô frères, puisque nous devons être remplis.

Etrange corruption de l’âme, ô mon Dieu, qui, se détachant de vous dont la fermeté immobile est son unique soutien, devient ensuite si aveugle et si déréglée, qu’elle ne fait pas seulement pour satisfaire sa passion des choses honteuses et infâmes, mais qu’elle trouve sa propre satisfaction dans sa honte même et son infamie. 

Malheureux que j’étais ! Je ne considérais pas qu’au milieu même de toutes les voluptés charnelles, je n’eusse pu vivre heureux si j’eusse été sans amis, et des amis que je n’aimais nullement par intérêt, et que j’étais assuré qui m’aimaient de la même sorte.

De plus le démon se servait de moi pour séduire Alipe. Car ayant une opinion avantageuse de moi, il admirait que je fusse tellement attaché à ce plaisir bas et sensuel (…) Son esprit, qui était libre de ce joug, s’étonnait de ma servitude, et cet étonnement le portait à vouloir éprouver si ce qui me semblait si désirable l’était en effet autant que je me le figurais, ne considérant pas que par cette expérience qu’il voulait faire, il tomberait peut-être dans la même servitude qui était la cause de son étonnement, parce qu’il voulait faire alliance avec la mort, et que, selon la parole de l’Ecriture : « Celui qui aime le péril se perdra dans le péril. » Car ni lui ni moi n’étions que fort légèrement touchés du désir de conduire avec sagesse une famille, de bien vivre avec une femme, et d’élever des enfant en l’amour et en la crainte de Dieu, qui est tout ce qu’il peut y avoir de recommandable dans le mariage. Pour moi, je n’étais poussé que par le désir de satisfaire cette passion brutale qui n’était jamais satisfaite, et qui m’accablait depuis si longtemps sous la pesanteur de ses chaînes ; et, pour lui, l’étonnement de me voir esclave le portait à se rendre esclave aussi bien que moi.

Où étais-je donc quand je vous cherchais ? Vous étiez présent devant moi, et j’étais éloigné et comme absent de moi-même, et je n’avais garde ainsi de vous trouver, puisque je ne pouvais pas me trouver moi-même. 

(…) le mal qui m’était tourné en habitude ayant plus de pouvoir sur moi que le bien, auquel je n’étais pas accoutumé. Et plus le moment de ma conversion approchait, plus je sentais ma frayeur se redoubler.

De même je ne doutais plus qu’il ne valût mieux me jeter entre les bras de votre amour, que de me laisser emporter à ma passion déréglée. Mais j’approuvais l’un, et je suivais l’autre ; l’un était victorieux dans mon esprit, et l’autre tenait encore ma volonté dans ses chaînes.

Où es-tu, ma langue, toi qui disais que tu ne voulais pas te décharger du fardeau de la vanité, pour suivre une vérité qui ne t’était point connue ? Elle t’est connue maintenant, et néanmoins ce fardeau t’accable encore ; au lieu que d’autres qui ne sont pas tant tourmentés que toi pour chercher la vérité, et qui n’y ont pas employé l’étude de dix années et davantage, se sont non seulement déchargés de ce pesant poids, mais ont pris des ailes pour s’envoler vers le ciel. 

[Ma mère] obéit comme à son maître au mari qui lui fut donné, et travailla de tout son pouvoir pour vous l’acquérir, ô mon Dieu (…) Elle souffrit ses infidélités avec tant de douceur et de patience, qu’elle ne lui en fit jamais de reproches : car elle attendait l’effusion de votre miséricorde sur  lui, et que venant à croire en vous, la grâce du saint baptême le rendit chaste. [Elle suivait en cela l’exemple de ses sœurs chrétiennes qui,]  dès le moment qu’elles avaient entendu lire leur contrat de mariage, elles l’avaient dû considérer comme un titre qui les rendait servantes de leurs maris, et qu’ainsi se souvenant de leur condition, elles ne devaient pas s’élever contre leurs maîtres.

Mais lorsque pour satisfaire à son propre mouvement et à ma prière tout ensemble, [ma mère] vous demandait sans cesse et du plus profond de son cœur, qu’il vous plût de lui faire connaître en songe quelque chose de mon mariage à venir, vous ne voulûtes jamais le lui accorder. Elle voyait seulement quelques images vaines et fantastiques causées par les efforts continuels de son esprit dans la violente application qu’elle avait à cette pensée. Elle me les racontait avec mépris, et non avec la foi qu’elle avait accoutumé d’ajouter aux choses que vous lui faisiez connaître. Sur quoi elle me disait qu’elle discernait aisément, par une certaine douceur qui ne se peut exprimer par des paroles, ce que vous daigniez lui révéler durant son sommeil, d’avec ce que son imagination lui représentait dans ses songes.

« Jusques à quand, jusques à quand remettrai-je toujours au lendemain ? Pourquoi ne sera-ce pas tout à cette heure ? Pourquoi mes ordures et mes saletés ne finiront-elles pas dès ce moment ? »
Comme je parlais de la sorte, et pleurais très amèrement dans une profonde affliction de mon cœur, j’entendis sortir de la maison la plus proche une voix comme d’un jeune garçon ou d’une fille qui disait et répétait souvent en chantant : « Prenez et lisez, prenez et lisez » (…) j’arrêtai le cours de mes larmes, et me levai sans pouvoir penser autre chose, sinon que Dieu me commandait d’ouvrir le livre des épîtres de saint Paul, et de lire le premier endroit que je trouverais (…) Je n’en voulus pas lire davantage, et aussi n’en était-il pas besoin, puisque je n’eus pas plus tôt achevé de lire ce peu de lignes, qu’il se répandit dans mon cœur comme une lumière qui le mit dans un plein repos, et dissipa les ténèbres de mes doutes. 

(…) nous sommes trop faibles de nous-mêmes pour trouver la vérité par des raisons claires et évidentes, et (que) pour cet effet nous avons besoin de l’autorité des livres divins.

Car ils ne cherchent pas avec une piété religieuse quel est l’auteur de cet esprit avec lequel ils cherchent les choses. 

Mais où êtes-vous montés lorsque vous vous êtes élevés au-dessus de vous-mêmes par l’enflure de l’orgueil, et avez porté vos têtes jusque dans le ciel ? C’est de là que vous devez descendre par l’humilité, afin de monter ensuite, et de monter vers Dieu ; puisqu’en vous élevant contre lui, vous n’étiez pas montés vers lui, mais tombés dans le fond d’un précipice.

Attache-toi désormais à la vérité. Remets en ses mains ce que tu as reçu de ses mains. Tu conserveras tout en le rendant dépositaire de tout. Et de plus, tes plaies se refermeront ; toutes tes langueurs se guériront ; tes défauts se réformeront ; ta force se renouvellera ; les choses qui en toi sont sujettes à l’inconstance et au changement ne s’écouleront point hors de toi ; elles ne te porteront point en bas vers le néant où elles tendent : mais elles seront immobiles avec toi ; étant appuyées sur celui qui est toujours le même, et incapable de changer jamais.

Seigneur, exaucez ma prière, afin que je ne succombe point sous les châtiment de votre sévérité paternelle, et que je ne cesse jamais de vous rendre des actions de grâces pour cette infinie miséricorde par laquelle vous m’avez tiré de tous mes dérèglements. Faites, s’il vous plaît, que je trouve en vous un plaisir et une douceur qui passe sans comparaison tous ces faux plaisirs dont j’étais esclave, que je vous aime d’un amour ferme et inébranlable, et que je me tienne toujours à votre main toute-puissante, m’y attachant avec toutes les forces de mon cœur et de mon âme, afin que vous me préserviez de toutes sortes de tentations jusqu’à la fin de ma vie.

(… ) celui qui est fidèle dans les petites [choses], le sera aussi dans les grandes.

Seigneur, bienheureux celui qui vous aime, et qui aime son ami en vous, et son ennemi pour l’amour de vous ; car celui-là seul ne perd aucun de ses amis qui n’en aime aucun qu’en celui qui ne se peut jamais perdre (…) Nul ne vous perd, Seigneur, que celui qui vous abandonne (…) de quelque côté que se tourne l’âme de l’homme, et quoi qu’elle recherche pour y trouver son repos, elle n’y trouve que des douleurs jusqu’à ce qu’elle se repose en vous, quoique les choses qu’elle recherche hors d’elle et hors de vous soient toutes belles, parce qu’elles sont vos créatures, qui ne seraient rien du tout si elles n’avaient reçu de vous tout ce qu’elles sont (…) parce que l’âme désirant naturellement de se reposer dans ce qu’elle aime, il est impossible qu’elle se repose dans ces choses passagères puisqu’elles n’ont point de substance, et qu’elles sont dans un flux et un mouvement perpétuel… 

Celui qui connaît la vérité, connaît aussi cette lumière ; et celui qui connaît cette lumière, connaît aussi l’éternité ; et c’est la charité qui la fait connaître. Il n’y a point de véritable amitié que celle que vous formez, mon Dieu, entre ceux qui sont attachés à vous par cette charité que le Saint Esprit répand dans nos cœurs. 

Que si les corps te plaisent, ô mon âme, prends d’eux un sujet de louer Dieu, et porte ton amour vers cet admirable ouvrier qui les a formés…

Celui qui est charnel, l’est jusque dans les choses de l’Esprit ; celui qui est spirituel l’est jusque dans les choses de la chair. 

Je croyais que ce me serait une extrême misère de passer ma vie sans une femme, ne considérant pas que c’est votre grâce qui nous guérit de cette faiblesse, parce que je n’avais jamais éprouvé un remède si divin ; et me figurant qu’un homme doit être chaste par ses propres forces, en quoi je reconnaissais mon impuissance : j’étais si aveugle que de ne savoir pas cet oracle de votre Ecriture : "Que nul ne peut être continent si vous ne lui donnez pas cette vertu."

(…) la justice suprême de Dieu, à laquelle toutes les âmes saintes sont soumises, devait, en une manière sans comparaison plus sublime et plus excellente, renfermer en elle-même toutes les lois différentes qu’elle peut donner aux hommes, et qu’elle demeure toujours la même, quoiqu’elle diversifie ses ordonnances, selon la diversité des personnes et des temps (…) Mais comme il y a des lois très justes qui peuvent changer, il y en a d’autres qui ne changent jamais : car peut-on s’imaginer, ou quelque temps dans l’ordre des siècles, ou quelque lieu dans le monde, auquel il ne soit pas juste d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, et son prochain comme soi-même ?

(…) il faut avouer que les contestations des hérétiques servent à faire connaître encore beaucoup plus clairement quels sont les sentiments de votre Eglise, et quelle est la saine doctrine. Aussi est-ce sans doute pour cette raison qu’il est nécessaire qu’il y ait des hérésies, afin que la faiblesse et la légèreté des uns fassent éclater davantage la constance et la fermeté des autres. 

(…) lorsqu’un homme en hait un autre, il se fait sans comparaison plus de mal par cette haine que ne lui en pourrait faire l’ennemi le plus barbare ; et qu’il ne saurait exercer tant de cruauté contre celui qu’il veut perdre, qu’il en exerce contre lui-même par cette passion violente qui lui déchire le cœur.

(…) la justice suprême de Dieu, à laquelle toutes les âmes saintes sont soumises, devait, en une manière sans comparaison plus sublime et plus excellente, renfermer en elle-même toutes les lois différentes qu’elle peut donner aux hommes, et qu’elle demeure toujours la même, quoiqu’elle diversifie ses ordonnances, selon la diversité des personnes et des temps (…) Mais comme il y a des lois très justes qui peuvent changer, il y en a d’autres qui ne changent jamais : car peut-on s’imaginer, ou quelque temps dans l’ordre des siècles, ou quelque lieu dans le monde, auquel il ne soit pas juste d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, et son prochain comme soi-même ? 

L’amour de Dieu est premier dans l’ordre du précepte, mais l’amour du prochain est premier dans l’ordre de l’agir (…)  Puisque tu ne vois pas encore Dieu, c’est en aimant le prochain que tu purifies ton œil pour voir Dieu… 

(…) il y a bien quelque douleur que l’on peut permettre, mais il n’y en a point que l’on doive aimer.

Mais je voudrais que les hommes considérassent attentivement en eux-mêmes ces trois choses, l’être, le connaître et le vouloir. Je sais bien qu’elles sont très éloignées et très différentes de la Sainte-Trinité : mais je les propose seulement afin qu’ils s’exercent à les méditer (…) Car je suis, je connais et je veux. Je suis ce qui connaît et ce qui veut ; je connais que je suis et que je veux ; et je veux être et connaître.
Je voudrais qu’ils considérassent comment notre âme est inséparable de ces trois choses, et comment elles ne font toutes trois ensemble qu’une âme, une même vie et une même nature intelligente et raisonnable ; et cependant il ne laisse pas d’y avoir entre elles de la distinction, quoique cette distinction ne fasse pas qu’elles puissent jamais être séparées.

… lui (…) qui pour nous s’est offert à vous comme vainqueur et comme victime, et qui n’a été vainqueur que parce qu’il a été victime ; qui pour nous s’est offert à vous comme sacrificateur et sacrifice ; et qui n’a été sacrificateur que parce qu’il a été sacrifice.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire