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lundi 14 octobre 2019

« Morceaux choisis » de Paul Claudel (1925)


Développement de l’Eglise (1900)

Car, depuis le Paradis, et comme Jonas au jour de la pénitence de Ninive, comme Elie dans sa douleur, l’homme toujours a eu pour gardien de  sa prière et pour protecteur de ses eaux l’arbre qui, pousse et végétation de l’unité, est l’expression de l’Attente dans le témoignage ; assis, agenouillé sous l’ombre.

(…) l’Eglise, quand elle parut au jour, s’accommoda, pour y dresser son banquet, de l’abri banal de la basilique, -debout au croisement des chemins (…) La basilique profane existait par son toit, chargé de fournir aux passants qui venaient échanger entre eux des paroles et des monnaies un couvert momentané et l’ombrage comme d’un jardin fictif.

Corona Benignitatis Anni Dei (1916)

Saint Paul

Moi de même, mon Sauveur, je Vous en prie par ce décapité, 
Ayez pitié de ceux que j’aime, de peur qu’ils ne meurent dans leur incrédulité,
Et pour qu’ils entendent comme moi avant l’heure où la Sentence s’exécute,
Votre voix qui leur dit : Paul, je suis ce Jésus que tu persécutes.

L’Enfant Jésus de Prague

Il neige. Le grand monde est mort sans doute. C’est décembre.
Mais qu’il fait bon, mon Dieu, dans la petit chambre !
La cheminée emplie de charbons rougeoyants
Colore le plafond d’un reflet somnolent,
Et l’on n’entend que l’eau qui bout à petit bruit.
Là-haut sur l’étagère, au-dessus des deux lits,
Sous son globe de verre, couronne en tête
L’une des mains tenant le monde, l’autre prête
A couvrir ces petits qui se confient à elle,
Tout aimable dans sa grande robe solennelle
Et magnifique sus cet énorme chapeau jaune,
L’Enfant Jésus de Prague règne et trône (…)
Quand il est avec nous, nul mal ne nous arrive.
On peut dormir, Jésus notre frère, est ici (…)
Les rideaux sont tirés… Là-bas, on ne sait où,
Dans la neige et la nuit sonne une espèce d’heure.
L’enfant dans son lit chaud comprend avec bonheur
Qu’il dort et que quelqu’un qui l’aime bien est là,
S’agite un peu, murmure vaguement, sort le bras,
Essaye de se réveiller et ne peut pas.

Saint François-Xavier

D’un côté les millions de l’Asie, l’hoirie du Prince de ce Monde,
(Et le trois fois infâme Bouddha tout blanc sous la terre allongé comme un Ver immonde !)
D’un côté l’Asie jusqu’au ciel et profonde jusqu’à l’Enfer !
(Il vient un souffle, il passe une risée sur la mer)-
De l’autre ce bateau sur la mer un point noir ! et sur le pont
Sans une pensée pour le port, sans un regard pour l’horizon,
Un prêtre en gros bas troués à genoux devant le mât,
Lisant l’Office du jour et la lettre de Loyola.

Quatrième station

Elle ne dit pas un mot et regarde Jésus-Christ.
La Mère regarde son Fils, l’Eglise son Rédempteur,
Son âme violemment va vers lui comme le cri du soldat qui meurt !
Elle se tient debout devant Dieu et lui offre son âme à lire
Il n’y a rien dans son cœur qui refuse ou qui retire,
Pas une fibre en son cœur transpercé qui n’accepte et ne consente.

Propositions sur la justice

« Le monde est plein de Vérités chrétiennes devenus folles » (…) Devenir fou, c’est perdre la tête. Une vérité qui n’est plus dans son ordre à la tête, ou Principe, est une vérité devenue folle.

(…) le règne de la Bonne Volonté et de la grâce a été substitué à celui de la Loi.

Cinq grandes odes (1910)

Magnificat

Soyez béni, mon Dieu, qui m’avez délivré des idoles,
Et qui faites que je n’adore que Vous seul, et non point Isis et Osiris,
Ou la Justice, ou le Progrès, ou la Vérité, ou la Divinité,
ou l’Humanité, ou les Lois de la Nature ou l’Art, ou la Beauté (…)

Ainsi tous ces parleurs de paroles du surplus de leurs adjectifs se font fait des monstres sans substance,
Plus creux que Moloch, mangeurs de petits enfants,
plus cruels et hideux que Moloch.
Ils ont un son et point de voix, un nom et il n’y a point de personne,
Et l’esprit immonde est là, qui remplit les lieux déserts et toutes les choses vacantes.
Seigneur, vous m’avez délivré des livres et des Idées,
des Idoles et de leurs prêtres (…)

Je sais que vous n’êtes point le dieu des morts, mais des vivants.
Je n’honorerai point les fantômes et les poupées, 
ni Diane, ni le Devoir, ni la Liberté et le bœuf Apis.
Et vos « génies », et vos « héros », vos grands hommes et vos surhommes,
la même horreur de tous ces défigurés.
Car je ne suis pas libre entre les morts (…)

Qui ne croit plus en Dieu, il ne croit plus en l’Être,
et qui hait l’Être, il hait sa propre existence (…)

Soyez béni, mon Dieu, qui m’avez délivré de moi-même,
Et qui faites que je ne place pas mon bien en moi-même
et l’étroit cachot où Thérèse vit les damnés emmaçonnés,
Mais dans votre volonté seule,
Et non pas dans aucun bien, mais dans votre volonté seule.

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