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vendredi 25 octobre 2019

« La puissance de la joie » de Frédéric Lenoir (2015)


(…) une émotion plus profonde que le plaisir, plus concrète que le bonheur, une émotion qui emporte tout l’être…

« La nature nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. » (Bergson)

(…) j’éprouve aussi du plaisir, c’est-à-dire une satisfaction (…) Le problème du plaisir (…) c’est qu’il ne dure pas (…) Le plaisir est lié à une stimulation extérieure qu’il faut sans cesse renouveler (…) certains plaisirs nous font du bien dans l’immédiat, mais du mal à plus long terme.

Epicure est le grand philosophe de la modération (…) il estime que trop de plaisir tue le plaisir (…) « le plus grand des biens, c’est la prudence » (…) pour les philosophes de l’Antiquité, la prudence est une vertu de l’intelligence, qui nous permet de discerner, de juger et de choisir avec justesse.

Les philosophes de l’Antiquité répondent qu’il faut parvenir à dissocier le bonheur de ses causes extérieures et lui en trouver de nouvelles, en sois cette fois. C’est le stade supérieur du bonheur, appelé la sagesse. Être sage, c’est consentir à la vie et l’aimer comme elle est.

« Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède déjà. » (Saint Augustin)

Ce n’est pas le fait du hasard si une des plus émouvantes cantates de Bach est inspirée par ce souhait universel : « Que ma joie demeure. » En même temps que ce sentiment d’euphorie, la joie apporte une force qui augmente notre puissance d’exister. Elle nous rend pleinement vivants.

Le plaisir peut se programmer (…) Le bonheur se construit : il résulte d’un travail sur soi, d’un sens donné à sa vie et des engagements qui en découlent. La joie, elle, a un côté gratuit, imprévisible.

Né à Amsterdam en 1632, Spinoza appartient à une famille juive d’origine portugaise ayant émigré en Hollande pour fuir les persécutions de l’Eglise catholique (…)
Il est le précurseur d’une analyse rationnelle critique du texte biblique et affirme, par exemple, que la plupart des grans récits de le Bible, comme le Déluge ou encore la division de la mer Rouge par Moïse pour faire fruit son peuple d’Egypte, sont des mythes et non des vérités historiques.
(…) Il fut frappé d’un herem, c’est-à-dire une excommunication qui l’a banni, pour cause d’hérésie, de manière définitive, de la communauté juive.
(…) il ne s’est pas marié, n’a pas eu d’enfants et, pour gagner sa vie, il polit des verres d’optique.
(…) à ses yeux un Etat viable : une République laïque où s’exercerait une totale liberté de conscience et d’expression pour tous les citoyens unis dans un contrat social. Il annonce, en ce sens, avec un siècle d’avance, la pensée de Lumières.
Spinoza consacre plus que quinze ans écrire son chef d’œuvre L’Ethique, publié de manière posthume - il semble qu’il n’avait pas osé en prendre le risque alors qu’il était envie; il est mort assez jeune, à quarante-cinq ans (…) Menacé physiquement par ceux que ses idées révoltaient (il fut même la cible d’une tentative d’assassinat), il a choisi, dans L’Ethique, de s’exprimer de manière codée, usant d’une construction géométrique, avec des scolies, des définitions, des propositions qui s’enchevêtrent (…) Par exemple, il y parle volontiers de Dieu. En réalité, le Dieu de Spinoza n’est pas le Dieu personnel révélé par les monothéismes, mais un Dieu qu’il identifie avec la Nature. 
(…) chaque fois que nous grandissons, que nous progressons, que nous remportons une victoire, que nous nous accomplissons un peu plus selon notre nature propre, nous sommes dans la joie (…)
Tout événement qui nous fait croître, qui augmente notre puissance vitale, qui nous « tire vers le haut » nous met dans la joie (…)
Pour Spinoza, le désir constitue l’« essence même de l’homme ». La servitude de l’homme réside dans une mauvaise orientation de ses désirs (…) réorienter nos désirs vers des objets qui nous élèvent. Il ne s’agit donc pas de diminuer notre affectivité, mais de l’éclairer pour l’enrichir, l’orienter de manière juste. Il est nécessaire, dans son langage propre, de convertir nos passions (…) l’éthique de Spinoza ne s’attaque à aucun mal pour l’éradiquer : elle vise à dévoiler les faux biens qui nous illusionnent et à révéler l’authenticité des biens désirables (…)
« Un affect ne peut être ni supprimé ni réprimé si ce n’est pas un affect contraire et plus fort que l’affect à réprimer. » Le rôle de la raison consiste à susciter un nouveau désir, meilleur et plus fort que le désir inapproprié (qui nous aliène et nous attriste) (…)
Tout désir est poursuite de la joie, c’est-à-dire une augmentation de notre puissance vitale (…)
Bien avant freud, Spinoza a compris que nous étions mus par notre inconscient (…)
On ne peut bien s’accorder aux autres, nous dit Spinoza, que si l’on est déjà accordé avec soi-même. Tous les conflits, quels qu’ils soient, proviennent des passions. Un être humain qui est parvenu à surmonter ses passions, à les transformer en joies actives, ne peut plus nuire à autrui. Il a vaincu en lui l’égoïsme, la jalousie, l’envie, le besoin de dominer, la peur de perdre, le manque d’estime de soi ou une trop grande estime de soi, bref tout ce qui crée les conflit entre les individus et les guerres entre les peuples.
(…) la mystique spinoziste est une mystique de l’immanence : elle ne procède pas de la foi, mais de la raison et de l’intuition. Le sage ne s’unit pas à un Dieu personnel, mais il saisit qu’il fait partie de Dieu, entendu comme la Substance infinie du monde (…) C’est une mystique fondée sur une conception non dualiste du monde, ce qu’on appelle un « monisme » (…) il y a à cet égard, une profonde similitude entre la métaphysique du Vedanta hindoue, issue des Upanishads, et celle de Spinoza : Dieu n’existe pas hors du monde : le monde et Lui participent de la même substance ; tout est en Dieu, comme Dieu est en tout.

Nietzsche souligne que le christianisme assume la dimension tragique de l’existence, mais il rejette sa vision morbide, son insistance sur la nécessité de souffrir pour accéder à la rédemption. Quant au bouddhisme qu’il a étudié, il lui reproche à la fois de refuser la souffrance et de prôner l’extinction des désirs. Entre ces deux voies, Nietzsche en propose une troisième : celle qui consiste à affirmer la vie avec ses souffrances, à lui dire « oui » malgré tout ce qui peut nous entraver, nous blesser, nous effrayer. C’est un oui sacré, un consentement absolu qu’il appelle amor fati, c’est-à-dire l’amour du destin », aimer ce qui nous arrive, et par simplement le subir.

« Le plaisir, écrit Bergson, n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie : il n’indique pas la direction où la vie est lancée; mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, quelle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. » (« L’Energie spirituelle »)

La joie ne se commande pas, elle s’invite. On ne peut pas décider d’être soudain en joie.

Pour que la joie puisse fleurir, ne restons pas dans cette constante dimension utilitaire qui nous interdit l’ouverture et la disponibilité. La joie survient bien souvent quand on n’attend rien, quand on n’a rien à gagner.

La joie est liée au progrès de la conscience, à l’effort qu’elle a fait pour surmonter une colère, une angoisse, un crispation, et à la victoire qu’elle a obtenue.

Confucius nous dit : pour être heureux, il faut être vertueux ; et pour être vertueux, il faut imiter l’ordre cosmique. Tout est prévisible dans l’ordre cosmique, c’est rassurant : le soleil se lève parfaitement à l’heure prévue et se couche parfaitement à l’heure annoncée.

Les taoïstes ont adopté une tout autre logique. S’ils reconnaissent la beauté de l’ordre cosmique, ils constatent que nous vivons sur terre, et non au ciel. Or, sur terre, rien n’est prévisible. On peut savoir à quelle heure se lèvera le soleil dans trois cents ans, mais on ignore quel temps il fera demain. Ici-bas règnent le chaos, le flux, le mouvement, l’incertitude. La philosophie du Tao ne propose pas une quête de la sérénité, de l’ataraxie, chère aux sages grecs ou confucéens. Sa quête, c’est la joie. Son chemin, c’est l’accompagnement joyeux - le cœur ouvert - du flux naturel de la vie.

Apprenons (…) à utiliser la contrariété pour en faire émerger du positif… et de la joie.

Schopenhauer, qui était pourtant fort sceptique sur la question du bonheur, affirmait que la chose la plus importante pour être heureux consistait à marcher au moins deux heures par jour, et si possible, dans la nature !

Jésus, à l’instar de Spinoza, est le « maître du désir »…

« Etre capable de trouver sa joie dans la joie de l’autre, voilà le secret du bonheur. » (Bernanos)

L’exemple le plus célèbre d’amitié est sans doute celle de Montaigne et de La Boétie. Ils s’étaient rencontrés en 1558, au parlement de Bordeaux, où ils siégeaient tous deux. Michel de Montaigne avait alors vingt-cinq ans. Etienne de La Boétie trois ans de plus, et ils ont immédiatement su qu’ils étaient faits pour s’entendre (…) « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Dans ses Essais, il avoue volontiers que les plus beaux moments de son existence ont été ceux qu’il a partagés avec La Boétie. La mort précoce de son ami, cinq ans à peine après leur première rencontre, restera l’immense douleur de son existence, bien davantage, avoue-t-il que le décès précoce de cinq de ses enfants.

La joie a l’étrange faculté de s’accroître quand on la donne.

Ego et mental sont donc les deux instances nécessaires pour nous aider à survivre, à nous élever et à dépasser les obstacles et les dangers inhérents à l’existence. Quand notre personnalité est construite, nous sommes complètement identifiés à notre ego (…)  Quand à mon mental, il est le logiciel de survie qui guide mon cerveau, qui m’inspire dans toutes mes pensées, mes décisions etc…

Lâcher le mental, ne plus s’identifier à l’ego.

Romain Rolland (…) n’était pas croyant, mais il a trouvé la belle expression de « sentiment océanique » pour décrire ce sentiment d’unité avec l’univers, avec - pour reprendre ses propres termes - « ce qui est plus grand que soi ».

Coincés dans nos petits égo, limités à nos petites ambitions personnelles, nous passons à côté de cet élan, à côté du flot de la vie qui n’est que création et joie.

« Toute joie parfaite consiste en la joie de vivre en elle seule. » (Clément Rosset)

(…) la joie de vivre, c’est recevoir la vie comme un cadeau et s’en réjouir (…) la joie de vivre n’a d’autre cause que le simple fait d’exister. Rien d’autre n’est exigé : ni le confort, ni le succès, ni même la santé (…)
Mais force est de constater que nous avons bien souvent aussi perdu la joie de vivre, qui est celle de l’accueil spontané de la vie comme elle est, et non comme nous voudrions qu’elle soit. Nous sommes en permanence encombrés par un ego insatisfait et parasités par un mental qui entend tout contrôler. Cette insatisfaction est nichée au fondement même de nos sociétés postindustrielles.

La joie parfaite réside dans ce grand « oui sacré » à la vie, dans la force du consentement.

L’enfant et les gens simples sont dans la joie car ils acceptent la vie comme elle est.

Je me suis souvent demandé pourquoi il nous arrive de pleurer lorsque nous sommes dans la joie. Je crois que c’est dû au fait que la joie vient d’une épreuve surmontée.

Les sagesse de l’ataraxie tendent en effet à supprimer ou diminuer le désir pour éviter la souffrance. Elles conduisent ainsi au renoncement, à une diminution des plaisirs et de l’affectivité.

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