La nuit n’était plus là dans l’air humide, elle s’était retirée sous la surface de l’eau. Pour le moment, son équilibre était parfait ; raide comme une planche, elle se maintenait sur le bord de l’abîme. Elle fixa le regard sur une vague qui avançait au loin. Lorsque la vague atteindrait le roc, sa tête aurait basculé en avant, l’équilibre serait rompu. Mais la vague ne bougea pas.
- Réveille-toi ! Réveille-toi ! cria-t-elle.
(…) l’étrange langueur au cœur de sa conscience, ces idées vaporeuses qui se succédaient comme indépendamment de sa volonté, n’étaient que des tentatives fragmentaires de sa propres présence qui se dessinait sur le néant d’un sommeil encore tiède…
Tu sais, dit Port, et sa voix paraissait irréelle comme il arrive aux voix qui viennent rompre un silence absolu, le ciel est vraiment étrange ici. J’ai souvent l’impression, que je le regarde, que c’est une masse solide qui nous protège de ce qu’il y a derrière.
Kit frissonna un peu.
- De ce qu’il y a derrière ?
- Oui.
- Mais qu’est-ce qu’il y a derrière ? (Elle avait une toute petite voix).
- Rien, j’imagine. Rien que du noir. La nuit absolue. (…) Tu ne sais pas ? dit-il avec chaleur, je crois que nous avons tous les deux peur de la même chose. Et pour la même raison. Nous n’avons jamais trouvé le moyen, ni toi, ni moi, de pénétrer vraiment dans l’existence (…) La lumière du jour baissait peu à peu. Statue austère, le vieil Arabe continuait à prier dans l’ombre envahissante.
Depuis le jour où il était parti avec Kit à bicyclette, il avait éprouvé le désir précis de renforcer leur liens sentimentaux (…) Il se disait parfois que cette idée hantait déjà son subconscient à New York, quand il avait imaginé de partir avec Kit vers l’inconnu ; Tunner n’avait été convié qu’à la dernière minute, et peut-être y avait-il eu, là encore, un mobile inconscient, mais un mobile né de la peur (…) Pour forger de tels liens, il leur fallait être seuls ensemble. Les deux derniers jours à Bassif avaient été une torture. On aurait dit que Tunner avait deviné le désir de Port et qu’il était décidé à le contrecarrer.
Il lui vint pour la première fois à l’esprit qu’au-delà des murs de la chambre, quelque part, tout près, dans les rues sinon même dans la maison, il existait des quantités d’êtres de ce genre. Et parmi ces hommes il s’en trouvait certainement d’aussi merveilleux que Belqassim, qui seraient tout aussi capables et aussi désireux de lui donner du plaisir.
Il n’était certainement pas amoureux de cette pauvre fille. Il ne lui avait fait des avances que par pitié (puisqu’elle était femme) et par vanité (parce qu’il était homme) et les deux sentiments réunis avaient éveillé en lui le désir de possession, qui caractérise un collectionneur de trophées, rien de plus.
- Vous avez besoin d’un peu de détente. Ce n’est pas sain de broyer du noir. Je connais justement la fille…
Il s’interrompit en se rappelant par expérience que des suggestions claires détruisent en général l’intérêt qu’elles prétendent éveiller. Aucun chasseur ne souhaite se voir offrir une proie choisie et déjà terrassée…
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