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mardi 13 août 2019

« De l’enfant roi à l’enfant tyran » de Didier Pleux (2002)


Les comportements infantiles omnipotents précèdent les passages à l’acte les plus tyranniques (violences, destructions).

La coercition theory décrit comment les enfants obtiennent ce qu’ils désirent au moyen de comportement coercitif tel que geindre, se plaindre, bouder, se mettre en colère.

Nous sommes bien loin de cet idéal vieillot : « Les enfants et les petits-fils admirent, et ils admirent pour apprendre… » (Thomas Mann, La Montagne magique).

Le refus systématique d’obéir traduit plus, chez l’enfant, une intolérance aux frustrations qu’un caractère affirmé.

Une règle chez l’enfant tyran : le sport est un loisir, je dois pouvoir jouer comme j’ai envie, qu’on ne m’inflige ni exercices, ni entraînements, ni fréquence sinon j’en change !

L’enfant tyran ne se définit pas par la gravité de ses actes, mais par la multitude de petits acquis quotidiens au détriment de l’autorité adulte.

L’enfant tyran n’est jamais responsable de ses dysfonctionnements : il est victime d’autrui, l’environnement est la cause de toutes ses difficultés. 

« Il a toujours été plus mûr que son âge… » Que de fois n’ai-je pas entendu cette réflexion ! (…) surtout des réflexions de parents séduits par les attitudes d’enfant-adulte de leur petit. (Quand il est capable de raisonner sur des thèmes adultes ou de faire de l’humour, tout ce qui tourne autour des mots… )

Je repense à La Bruyère et à sa définition non pas de l’enfant mais de ce que nous appelons l’enfant tyran : « Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, dissimulés : ils rient et pleurent facilement ; ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur de très petits sujets ; ils ne veulent pas souffrir de mal et aiment à en faire : ils sont déjà des hommes. »

L’enfant tyran recherche l’autorité et des adultes significatifs.

La survalorisation suscite rarement l’adhésion des enfants. Ces derniers ne supportent pas les faux compliments.

Répéter ne sert à rien, l’enfant tyran s’habitue aux mots !

Du choix des films au cinéma en passant par les petites vacances d’hiver ou de printemps, tout est fait pour le plaisir des enfants.

(…) précisément c’est le dysfonctionnement premier de l’enfant tyran : son incapacité à se décentrer devant la demande de plaisir immédiat.

L’enfant tyran vit dans l’impunité, les sanctions ne semblent pas faire d’effet, elles sont abandonnées (…) Il se démotive très vite, doit constamment trouver de nouveaux centres d’intérêt pour être stimulé (…) Il n’accepte de se frustrer que pour obtenir des bénéfices secondaires. 
Il sait séduire, user du chantage affectif.
Il réifie autrui, l’autre est une chose, à son service.
Il provoque souvent le rejet de la part des autres.
Il amplifie son omnipotence avec l’âge.
Il manifeste une pseudo-maturité.
Il est souvent survalorisé.
Il paraît insensible.
Il n’est pas heureux.
Il provoque l’émotionnel des parents (colère, anxiété, dépression).
Il est aussi facteur de stress pour tous les adultes qui s’en occupent.

Les parents évitent souvent une éducation où sont incluses les punitions et récompenses en invoquant que « la carotte et le bâton, c’est du chantage ! » Non, ce sont des conséquences liées aux comportements tout simplement, le vrai chantage est de lier tous ses actes à l’amour de l’autre comme le fait Tanguy (…) Très stratège, il a su qu’il fallait courir après les diplômes pour amadouer le père et parler d’amour pour séduire la mère (…) 

Il sait se montrer stratège quand il veut obtenir. Toutes les ruses sont permises quand il s’agit de répondre à son principe de plaisir immédiat.

Les injonctions culturelles du « tout pour l’enfant », bien légitimes après le « rien pour l’enfant » des siècles précédents ont, elles aussi, participé à l’omnipotence infantile, nous sommes bien vite passés de l’enfant esclave à l’enfant tyran.

L’enfant tyran est aussi le produit des valeurs ou non-valeurs actuelles. « Il existait des professions qui exigeaient des vertus d’honnêteté et parfois de désintéressement : on trouve plutôt aujourd’hui des métiers où l’intérêt personnel est le modèle déterminant. » (Louis Roussel, l’Enfance oubliée, 2001) Le modèle proposé est vite compris, il s’agit de dominer l’autre pour vivre et non de respecter autrui.

Je regardais récemment une émission télévisée qui louait les talents d’enfants de 5 à 12 ou 13 ans. L’un chantait, l’autre amusait, le troisième déclamait, sans oublier le sportif-né ou le Mozart précoce. Tous avaient cette moue bien reconnaissable de l’enfant roi, cette autosuffisance, cette certitude de surpasser tout le monde (…) Je m’entendais réclamer l’émission de télévision à succès des années 1980, l’Ecole des fans de Jacques Martin où (…) la timidité l’emportait souvent sur l’affirmation, la gentillesse sur l’égocentrisme et la maladresse sur le professionnalisme. Me faire regretter Jacques Martin !… Ecoutons cette précision de Louis Roussel : « La morale latente de la télévision est celle que développent certaines émissions pour les jeunes. Elle affirme après Margaret Mead que nous sommes désormais à une époque où les enfants sont en avance sur leurs parents et où la sagesse de ceux-ci consiste, au bout du compte, à prendre modèle sur eux. Comment les enfants ne seraient-ils pas sensibles à cette inversion de la hiérarchie entre générations. A la télévision, ils sont vraiment « chez eux ». »

(…) repenser à Rousseau lorsqu’il condamnait « l’enfant qui réfute » parce qu’il n’apprenait pas !

L’opposition, c’est se confronter à l’autre.
Le conflit systématique, c’est vouloir annuler l’autre.

J’assiste le plus souvent non pas à un manque dans le relationnel parents-enfant mais au contraire à une verbalisation outrancière, à un flot de paroles dès la moindre anicroche : tous les faits et gestes sont aussitôt commentés, les discussions sont longues pour obtenir qu’il fasse ou qu’il obéisse, le verbe domine, il n’y a jamais de conséquences devant les actes inadéquats.

« Mais sitôt qu’ils [les enfants] peuvent considérer les gens qui les environnent comme des instruments qu’il dépend d’eux de faire agir, ils s’en servent pour suivre leur penchant et suppléer à leur propre faiblesse. Voilà comment ils deviennent incommodes, tyrans, impérieux, méchants, indomptables ; progrès qui ne vient d’un esprit naturel de domination mais qui le leur donne… »
(Jean-Jacques Rousseau, Emile ou De l’éducation)

« Les enfants d’aujourd’hui ont un Moi faible faute d’être éduqués, et donc un Ça qui prend de plus en plus de place, et qu’il faut alimenter sans cesse par de la nourriture, de la boisson, des biens de consommation, sous peine de voir les adolescents devenir violents et injustes ; on tue pour un blouson, on blesse pour une auto, on étrangle our un sac à main. » (Christiane Olivier, L’Ogre intérieur , 1999)

Il est surtout égocentrique : moi, moi, moi !

(…) il ne prend pas soin de ses vêtements, s’en désintéresse vite et lorgne sur de nouvelles marques, compare avec les autres tyrans, exige encore…

Devant leur « tous nos copain en regardent », les parents finissent pas croire que c’est normal, l’enfant est allègrement passé de Rintintin à Terminator. Mais était-ce bien le même message ?

Pas de remerciements ou de gratuité pour aider les parents, les autres, tout se monnaye…

« Laisse-le souffler les bougies ! » C’est la demande de la mère qui craint les débordements du petit pendant l’anniversaire du grand-père. Il a d’ailleurs obtenu quelques cadeaux compensatoires : « A cet âge-là, on est un un peu jaloux, c’est normal ! »

Ils ont l’art d’abandonner toute activité, qu’elle soit sportive ou musicale dès qu’apparaît la moindre répétition ou contrainte (…) ils chercheront le sport qui ne donne que du plaisir : cette quête impossible les mènera des sports collectifs aux individuels pour finalement les faire décréter à l’adolescence : « Je n’aime pas le sport ! » Résultat : la démotivation prend toujours le pas, les conflits avec les enseignants, les entraîneurs ou animateurs sont nombreux, sans parler des rivalités avec les autres enfants.

L’enfant-tyran (…) sait le plus souvent lire avant la classe de CP.

« Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants,
Lorsque le fils ne tiennent plus compte de leurs paroles,
Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, 
Lorsque finalement les jeunes méprisent les lois, parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de rien et de personne,
Alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. »
(Platon, La République)

Je me souviens de cette liste que j’avais demandée à un adolescent de 16 ans qui ne cessait de me dire : « Mais c’est normal à mon âge ! » Je lui avais proposé de m’écrire tout ce qu’il considérait comme étant une caractéristique « jeune » et non comme je pourrais le prétendre un signe d’immaturité. Il l’avait rédigée sous forme de courrier : (…) « Alors, voilà ce qui est normal pour un jeune de notre époque : pouvoir sortir le week-end et une autre fois dans la semaine, avoir une copine, ne pas penser qu’à l’école, avoir un scooter, aimer le skateboard, s’éclater de temps en temps avec un pétard, chercher le « fun » le plus souvent possible, écouter de la musique pas ringarde, s’habiller comme on veut… »
La liste était longue mais à aucun moment je ne lisais les moyens pour obtenir tout cela : c’est ce que l’on doit avoir, le biberon de l’adolescence, un point c’est tout. Rien sur un quelconque idéal, des rêves, rien n’apparaissait non plus sur la dimension sociale ou tout simplement la question environnementale, rien sur la fratrie, les amitiés, sur les autres en général.

Ces adolescents ont en général un fort potentiel, mais restent toujours en dessous de ce qu’ils pourraient obtenir côté résultat (…) L’école ne doit surtout pas être le lieu des apprentissages et des inévitables frustrations, ce doit être l’endroit où l’enfant tyran est reconnu dans sa brillance, dans ses talents naturels de beau parleur, de faux mature.

Car l’enfant tyran ne saurait se contenter d’une quelconque formation universitaire. Il lui faut du glorieux puisqu’il a toujours été considéré comme « au-dessus de la moyenne » !

Ce ne sont plus les vacances des parents avec les enfants mais les vacances des enfants avec éventuellement les parents porte-bagages et porte-monnaie.

« Les autres, c’est encore pire ! » L’argumentation est simple : il dramatise pour faire peur et obtenir ce qui devient une banalité (…) Il existe aussi la stratégie dite du partage de la responsabilité : c’est le « tout le monde le fait » !

L’enfant tyran sait utiliser tous les moyens pour obtenir ce qu’il veut, quand il veut, où il veut et avec qui il veut. Il est beaucoup plus subtil qu’on ne pourrait e croire : sa tyrannie n’est pas forcément visible, menaçante ou violente.

(…) le régime de Vichy qui voulait renforcer la famille traditionnelle par ses lois radicales comme celle du 22 septembre 1942 qui redonne le pouvoir au « chef de famille ».

Comment un parent-copain peut-il passer du partage du principe de plaisir au principe de réalité ? Car le plus souvent, ces parents ont, derrière cette pseudo-paix familiale, cédé chaque jour un eu plus d’autorité parce qu’ils ont éloigné un peu plus de frustrations de leur enfant.

Combien de fois ai-je vu des parents capituler, ne plus rien demander, ne plus questionner, encore moins exiger (…) Mais plus tard, rien ne va plus quand : «  Vous savez, il n’a pas empli son contrat : nous sommes obligés de combler les dettes sur son compte, je ne parle pas du téléphone portable, impossible de le raisonner pour les sorties et le lycée pas question d’en parler, il va droit au redoublement ! »

La crise d’adolescence pour elle-même m’a toujours paru excessive, tant les interactions familiales, sociales restent abondantes. La crise d’adolescence demeure, selon moi, mythique dans ses excès de définition. En revanche, la crise de certains adolescents ou enfants tyrans adolescents apparaît désormais non seulement comme une problématique adulte mais plus précisément comme la conséquence de cette problématique avec sa marque d’une carence éducative : l’intolérance aux frustrations.

A éviter aussi, les privations alimentaires et surtout les éternelles remarques négatives et chargées d’émotions parentales, particulièrement inefficaces, sur « ce qu’il devrait être ». 

L’acceptation de la frustration n’est pas seulement indispensable pour acquérir une future solidité devant les aléas de la vie…

(…) l’extraversion et l’égocentrisme priment. « Il est bien dans sa peau » : moi, moi, moi, mais est bien le seul !

Il nous faut réintroduire le déplaisir dans son quotidien pour qu’il s’accommode non seulement à une réalité pas toujours positive mais pour qu’il accepte aussi autrui. Savoir attendre, s’ennuyer, différer, savoir aider, respecter, savoir s’efforcer et se contraindre pour un résultat sont autant d’atouts pour la construction d’une véritable identité humaine.

M. Martin : « Je l’ai bien vu… une paire de gifles, puis des insultes… et son regard qui m’en veut… Je serais capable de le tuer… »

Albert Ellis, fondateur des approches cognitives (psychothérapies cognitivo-comportementales) propose un modèle simple pour mettre à jour des pensées ou monologues intérieurs peu ou prou conscients. A la croyance classique : Évènements —> Émotions (les émotions sont stimulées, générées par des évènements ou « situations activantes ») se substitue le schéma : Évènements —> Pensées —> Émotions (les évènements provoquent, déclenchent des pensées automatiques et ce sont celles-ci qui créent des réponses émotionnelles).

Dans les « je veux que la réalité soit comme cela, « il ou elle devrait se comporter ainsi », « je devrais faire ceci », il n’y a plus de place à la réflexion, à la souplesse qui permettent de mieux appréhender le réel.

Je ressens de la colère. Je réprimande mon enfants, le menace de futures sanctions. Mais j’oublie de lui donner une conséquence le jour même.

La réponse n’est pas la morale, la critique, le jugement négatif mais une attitude réaliste : « Je te prouve une nouvelle fois que tu ne peux pas faire ce que tu veux, tu assumes donc les conséquences de tes actes. »

(…) se dire inlassablement qu’un enfant tyran « doit retenir les leçons du passé et engranger de la maturité avec l’expérience » est tout à fait irrationnel lorsque l’on sait à quel point la récidive le caractérise. Le parent lucide, qui accepte (sans être heureux ni fataliste pour autant) une des caractéristiques de son enfant tyran, peut anticiper les futures rechutes ou récidives et s’armer de nouvelles attitudes ou conséquences éducatives, ce qui est plus réaliste.

Evitez la pensée manichéenne du « tout ou rien ».

Pas de surgénéralisation. Même si l’enfant tyran n’a de cesse de tenter de nous prouver le contraire, il existe bien des moments où nous réussissons à maintenir notre autorité (…) Généraliser nous entraîne irrémédiablement dans la spirale des prédictions négatives : l’enfant tyran est irrécupérable et ce dans tous les domaines.

Changez votre filtre mental « négatif ». La pensée ne relève que les évènements négatifs ou échecs et la mémoire enregistre prioritairement ces faits-là (…) nous risquons de nous souvenir que des aspects négatifs de la vie avec lui.

Si l’émotion rend inefficace notre volonté éducative, il nous appartient de l’atténuer en reconnaissant et en discutant les pensées qui lui sont profondément attachées.

De nombreux parents ont fait l’amalgame entre des problèmes psychologiques profonds et la pathologie de l’enfant tyran. Leur demande est bien de trouver le noyau névrotique, l’origine du mal de leur enfant quand ils viennent consulter : il existerait une cause profonde, inconsciente, chargée de sens pour expliquer les dysfonctionnements actuels. C’est possible… mais combien de problèmes éducatifs sont résolus sans psychothérapie profonde !

Dès les premières lectures, je peux intégrer très vite cette première loi psychologique ou croyance : enfant = à manier avec précaution.

Nous retrouvons là les préoccupations de la psychologie cognitive pour qui le comportement n’est pas déterminé mais est le moteur de l’évolution…

Les écrits de F. Dolto génèrent, selon nous, de nombreuses pensées irrationnelles chez les parents assidus de telles lectures (et chez beaucoup d’autres, victimes des textes vulgarisés par les magazines ou émissions de télévision) (…) « Les parents n’ont aucun droit vis-à-vis des enfants, mais seulement des devoirs. »

(…) pouvoir dire, sans émotions : « Montez dans vos chambres ! » (…) car la violence révèle l’impuissance (…) Face à la violence de la toute-puissance infantile, la colère est la plus souvent l’arme favorite du parent.

Etre conflictuel, c’est d’abord s’opposer à son principe de plaisir tout-puissant.

(…) ne tombons pas dans son fameux « je n’ai rein à faire pour demain ». Imposons-lui un temps d’apprentissage ou révision qui corresponde à son âge et au niveau de sa classe.

Félicitez votre enfant dès que vous êtes témoin d'un réel effort de sa part.

Les parents doivent (…) surtout être bien d’accord entre eux. Je l’ai déjà dit, l’enfant tyran guette vos contradictions et saura culpabiliser l’un pour mieux écarter l’autre.

« Tu est menaçant, insolent, l’argent de poche de la semaine est supprimé mais aussi l’émission télévision du soir. » Et non pas, le fameux « tu verras pour la sortie en fin de semaine » ! (…) Le « je fais faire un prix de gros » n’a que peu d’impact pour quelqu’un qui vit dans l’immédiateté et sait pertinemment que le moyen ou long terme favorise les nouvelles négociations, les reculs, les renoncements.

« La nature veut que les enfants soient enfants avant que d’être hommes. Si nous voulons pervertir cet ordre, nous produirons des fruits précoces, qui n’auront ni maturité ni saveur, et ne tarderont pas à se corrompre ; nous aurons de jeunes docteurs et de vieux enfants. » (Jean-Jacques Rousseau)

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