Nous aimons à nous moquer -n'est-il pas vrai ?- des passions baroques de l'adolescence, mais nous ne pouvons guère nier qu'elles nous contrôlent et nous guident durant ces quelques années fiévreuses et palpitantes. Il s'agit d'un pouvoir troublant, dominateur, un pouvoir que la plupart des gens ne ressentiront plus jamais de manière aussi violente, un pouvoir par lequel, en vérité, ils ne voudront plus jamais être aussi impitoyablement menés. La vie d'adulte, pour fonctionner un minimum, exige une modération de ces extrêmes. Pourtant, de temps à autre, ils explosent -la lave faisant éclater la pierre ponce- et règnent avec la même puissance ravageuse. Qu'est-ce que le désir, le désir adulte, sinon, après tout, l'envie de recapturer les grisantes sensations de la sensualité adolescente ?
Personnellement, je n'ai jamais perdu cette capacité juvénile de sentir à l'état brut. Dieu merci. C'est ce qui me situe à l'écart de la majorité des gens, paralysés par la bienséance et les conventions, étouffés par les notions de respect et de statut. Aujourd'hui encore, je peux revivre la jalousie de mes dix-sept ans, la sentir m'étreindre la gorge, me labourer les entrailles. Une jalousie aveugle, sans objet précis : je ne considérais pas Donald Verulam comme un rival, bien plutôt comme un intrus, détruisant un couple idéal.
(…) je sentis (…) croître en moi une sorte d'amour que je ne peux qualifier que de filial. Un mélange de grande affection, de respect et de soumission bienheureuse. L'amour qui existe entre un père et un fils est spécial, il possède une nette structure hiérarchique, le fils prenant toujours exemple d'en haut pour ainsi dire. Et le père, pour sa part, élevant alors volontairement son fils à une position d'égal.
"Vous êtes mon vrai père". Je fus incapable de me retenir davantage. Je fondis en larmes. Je chialais, je beuglais de bonheur. Donald me saisit par le bras et me secoua pour me faire taire. "John ! John ! Que racontes-tu ? Où es-tu donc allé pêcher ces sornettes ?" (…) la tristesse me remplit tandis que je regardais ce visage aimable, plein de bonté. Je ne devais rien à cette noble nature. Mon destin était scellé, tout espoir d'évasion m'était refusé. J'étais bel et bien le fils d'Innès Mc Neil Todd (…)
Les gens de la sorte avec un excès d'estime de soi souffrent en proportion une fois qu'elle est menacée. Le roman que je m'étais laissé aller à bâtir et chérir avec tant d'imagination s'était révélé n'être exactement que cela et les dures vérités sur lesquelles je devais me rabattre n'étaient guère réconfortantes. »
Je commençai à spéculer sur la manière de ma mort, dans toutes le horribles versions dont je disposais. Et derrière cette peur, je nourrissais un autre profond tourment. J'étais toujours vierge et, hormis Oonagh, je n'avais même jamais encore embrassé une fille. L'idée de mourir en ayant si peu vécu, si peu expérimenté, me paraissait outrageusement injuste. Ma rencontre avec Dagmar n'avait naturellement fait qu'exacerber ce sentiment de vide en moi.
Pourquoi ne savons-nous pas nous contenter des choses telles qu'elles sont ? Est-ce un défaut humain fondamental que ce besoin constant d'améliorer sa vie ?…
Existe-t-il un profond rêve atavique que nous chérissons tous et selon lequel, aussi organisée et satisfaisante notre existence soit-elle, elle pourrait avec un effort devenir un peu meilleure ? Chimères, mirages, illusions - ne pas s'y fier.
Vous le savez, je suis l'impuissante victime de mes propres désirs (…) Non seulement Heather m'aimait bien, mais je crois qu'elle avait pour moi une admiration un peu béate. C'est une dangereuse impression à donner à un homme, surtout un impulsif chronique tel que moi, doté d'une maîtrise minimale de ses sentiments (…) Je décidai dans une bouffée d'ivresse que j'étais étonnamment beau. Rêveusement, je me passai la main dans les cheveux. D'un doigt, je me bouclai une mèche sur le front. Je le répète, j'eus une agréable érection narcissique deux bonnes minutes avant l'entrée de Heather dans la pièce.
Ce que j'envie le plus chez les gens, c'est leur capacité d'utiliser de manière positive la modération et le sacrifice. De vivre et d'être heureux avec le négatif, la route non choisie.
Ainsi que je l'avais espéré, mon nouveau travail me procura la tranquillité d'esprit que je recherchais. Il suffisait de porter un uniforme et de posséder un casque. Je sentais, de manière étrange, que la décision que j'avais prise avait eu l'effet de me soumettre volontairement une fois de plus aux contingences de l'univers. J'avais cessé de tenter de tracer une route ; je me contentais de me laisser porter par le courant.
Il était toujours extrêmement préoccupé de lui-même et de l’effet qu’il produisait sur les autres – un signe infaillible chez les vaniteux et les malhonnêtes.
Ferrier était un jeune associé dans un cabinet d’avocats, qui faisait beaucoup d’affaire avec Lone Star. Il avait près de trente ans, et il inspirait physiquement confiance. Il était grand, plus d’un mètre quatre-vingts, avec une forte mâchoire en avant et des cheveux épais bouclés, auxquels il imposait une raie. Il portait des nœuds papillon, chose que j’approuve chez les représentants des professions libérales : elle suggère des qualités humaines – la vanité, l’amour-propre, derrière l’impossibilité de l’expert. Mais, après lui avoir parlé une demi-heure, je le trouvais moins rassurant.
Il était toujours extrêmement préoccupé de lui-même et de l’effet qu’il produisait sur les autres – un signe infaillible chez les vaniteux et les malhonnêtes.
Ferrier était un jeune associé dans un cabinet d’avocats, qui faisait beaucoup d’affaire avec Lone Star. Il avait près de trente ans, et il inspirait physiquement confiance. Il était grand, plus d’un mètre quatre-vingts, avec une forte mâchoire en avant et des cheveux épais bouclés, auxquels il imposait une raie. Il portait des nœuds papillon, chose que j’approuve chez les représentants des professions libérales : elle suggère des qualités humaines – la vanité, l’amour-propre, derrière l’impossibilité de l’expert. Mais, après lui avoir parlé une demi-heure, je le trouvais moins rassurant.
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